Dur d'être si naïve

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Ce mot... Il n'était pas signé, mais cruellement, j'espérais qu'il était d'elle. Ce n'était pas l'écriture de Jonathan, mais une écriture penchée, pleine de courbes. Pour moi une écriture bien féminine. Mon cœur rata un battement. C'était elle ! J'en étais quasiment certainement ! On va dire à 99% !pourquoi ? Alors que je voulais la pousser hors de mon esprit,il y avait toujours quelque chose qui finissait par la faire revenir,malgré moi ! D'un côté, j'étais relativement mécontente,c'était vrai. Mais seulement en surface. Au fond de mon cœur,j'avais espéré ce moment depuis l'instant même où je l'avais bousculée dans la rue. Il fallait vraiment que j'arrive à l'oublier. Avant que Fanny ne le voit, je froissais le papier et le jetais dans la poubelle à côté. Je n'irai pas. Je me rendais parfaitement compte de la nature déplacée de ma passion pour elle.Ça ne m'apporterait rien de bon, j'en étais persuadée.

Je m'avançais de nouveau vers les filles et secouais la tête,doucement.

« C'est cette histoire de désir qui me turlupine... Je ne sais pas quoi en penser et comment orienter ma peinture dans ce sens. »

Fanny fit la moue. Je lui avais coupé le sifflet, là, elle ne savait pas quoi répondre, à mon avis. Pour une fois que c'était elle et pas moi ! Blandine me sourit, apparemment confuse. Et, à mon grand étonnement, ce fut Sarah qui prit la parole, tout en s'essuyant les mains avec son tablier, déjà bien taché par son travail.

« Je pense que ce n'est pas une question de pensées, en fait. Ça doit être un mode de vie. Si elle nous a invitée hier, je pense que ce n'est pas un hasard. Surtout que tu nous as clairement raconté qu'elle avait dit que tes œuvres manquaient d'émotions.Indirectement, elle te cherche à t'enseigner comment faire, je pense. Libères toi de tout ce qui peux t'emprisonner. Penses à tes désirs, réalises ceux que tu peux faire, rêve les autres, et fais en ton œuvre. C'est comme ça que je le vois, maintenant. »

Fanny sourit, et moi, je me plongeais dans mes pensées. Elle n'avait peut-être pas tord. Cela me laissais tout de même sceptique, toute cette histoire. Un mode de vie ? Réaliser ses désirs ?Nan ! Je ne pouvais clairement pas me laisser aller à ça,c'était hors de question ! Je fis la moue. J'avais appris à me brider avec le temps. Malgré le fait que j'ai tout eu matériellement parlant, mes parents étant aisé, il m'avait toujours appris que je ne pouvais pas non plus tout avoir et que mes désirs farfelus, il fallait que je les laisse de côté pour être une fille bien.J'étais née dans une famille aisée avec des principes stricts et très carrés. Bon, ils acceptaient la peinture, mais il fallait pas non plus trop en demander. S'ils savaient ce que je pensais... Et sur une fille... Déjà que Jonathan et moi leur cachions le fait que nous n'avions pas qu'une relation platonique, alors ça. Je me ferai sans doute rapidement reprendre.

Je soupirai et haussais les épaules une fois de plus. Un mode de vie...Non, je ne pouvais pas, cette histoire de désirs allait bien trop loin pour moi, en fait. Trop loin pour mes pensées et mes idéaux.Je voulais me marier, avec Jonathan et avoir des enfants de lui. Et si ma peinture ne plaisait pas à une commissaire-priseur difficiles,je m'en moquais, elle plairait à d'autres ! Et ceux qui n'étaient pas contents pouvaient très bien aller se faire voir !Fanny termina sa clope et nous rentrâmes dans le bâtiment. Une fois devant ma toile, je pris mon pinceau et me mis à peindre.


Il était six heures et demie, début de soirée tout à fait normal, ou presque me concernant. Normalement je devrais être rentrée. Mais non. Et devinez où je suis ? À la galerie, bien sûr !Mais quelle conne ! Je n'avais pas réussi à me contrôler,finalement. Je n'arrivais pas à lutter contre moi-même. En fait si... Je n'y arrivais pas parce que ça la concernait, elle !J'avais parlé un peu avec Christian. Mais elle se faisait attendre.La galerie fermait à dix-neuf heures. Plus qu'une demie-heure.

« Dinah ? »

Je me retournais et du me maintenir de toutes mes forces pour ne pas montrer à quel point j'étais déçue. Ce n'était pas elle. Quel doux rêve qui s'effaçait subitement devant moi. Ce n'était pas signé. Mais quelle idiote, je vous jure ! Ce n'était que Julie, une camarade de promo... En fait, en plus d'être une camarade de promo, c'était également une connasse prétentieuse prête à descendre tout le monde. Voire pire. Qu'est-ce qu'elle foutait là ?Ah, en fait peut-être que...

« Le mot, c'était toi ? »

A mon grand désarroi, elle acquiesça. Je commençai doucement à me méfier. Elle était spécialiste des coups bas en tout genre. Elle avait déchiré une toile de Fanny, il avait de cela un peu moins d'un an, en mettant ça sur le dos d'un pauvre garçon, qui depuis avait été réhabilité faute de preuves. Mais tout le monde savait que c'était elle qui avait fait le coup pour avoir la meilleure note de la promotion. Qui me fut attribuée, au final. Elle ne l'avait manifestement pas encore digéré.

« Qu'est-ce que tu me veux ? Tu ne pouvais pas directement me parler à la fac ? »

Elle sourit, le genre de rictus assez diabolique que l'on voit sur tousles méchants dans les films, en particulier les polars. Et bien, en réalité, c'était assez terrifiant. Je pensais que c'était juste un effet de scène des acteurs, mais apparemment non. Même dans la vraie vie, les gens le faisaient. Et franchement, venant d'elle, je m'attendais au pire. Instinctivement, je reculais d'un pas.

« Je suis allée voir ton exposition. Tout aussi pathétique que je l'avais pensé. Tu ne sais peindre que des paysages terre à terre ?Ma pauvre, tu resteras dans ce genre de petites galeries toute ta vie, si tu continues ! C'est pathétique ! Et puis, après tout, tes peintures manquent cruellement d'émotions, hein ? »

Puis elle éclata de rire. Comment savait-elle ? Je ne l'avais dit qu'à mes parents, Jonathan et les filles... M'aurait-on trahi ?

« Je fais tout pour m'améliorer ! Et puis, que je sache, dans toute la promotion, et même dans l'école toute entière, c'est MOI qui ait été choisie pour exposer. Alors tu peux toujours causer, je serai toujours meilleure que toi. »

Elle eut ce regard, si mauvais, si violent. Et tout ce passa avec une rapidité déconcertante. La gifle, la première. Je vacillais. Elle m'attrapa par le col, leva la main, je fermais les yeux, prête à la recevoir...

 « Hey !Ça va pas ?! »  

EllesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant