Quand la vie te joue un tour

92 6 0
                                    

« Chérie...Chérie ! Il faut que tu te lèves, maintenant, le vernissage est dans une heure. » 

Je m'éveillais, doucement,tirée sans doute d'un merveilleux rêve dont je ne me souviendrais sans doute pas, comme d'habitude. Je souris, assez niaisement, à ma mère, en m'étirant, avant de me soulever, d'un coup. Une heure !Je fonçais dans la salle de bain, sous les éclats de rire de mes parents. Ils étaient drôles, eux ! Ce n'était pas eux qui exposaient, qui serait ouvertement critiquée par quelques journalistes présents pour couvrir l'événement. Bon, ce n'était pas le vernissage du siècle, ce n'était qu'une petite galerie, mais quand même, il y en aurait ! Je me passais de l'eau sur le visage et me fixais dans le miroir. J'avais vraiment une sale tête.Ma mère entra derrière moi, prit la brosse et entreprit de me coiffer. Rien de bien difficile, heureusement qu'avec mon mètre cinquante, j'étais assez petite pour ne pas l'embêter dans ses mouvements. Pas besoin de mots, dans ces moments là. Elle savait que cela me détendait. 

Elle y passa bien dix minutes avant de natter mes longs cheveux sur le côté droit et d'y piquer une rose blanche. Je la vis me sourire dans le miroir, sourire que je lui renvoyais. Elle m'embrassa sur la joue et prit ma main quelques secondes.

« Prépare-toi,ma puce. Je sors ta robe. » 

Elle sortit, aussi doucement qu'elle était entrée. Il me fallut une bonne quinzaine de minutes pour me maquiller, de même pour me changer. J'avais opté pour une robe ivoire assez, légère. Un bustier incrusté de perles,une jupe de voilage qui me tombait sur les genoux. Je mis ma chaîne en argent, le cœur offert par mon chéri tombant parfaitement au dessus de ma poitrine. J'étais à la bourre. J'avais interdit à mes parents de m'accompagner, je voulais faire adulte, ce qu'ils avaient compris. Jonathan m'attendait depuis dix minutes sur le parking. Il ne me fit aucun reproche, déposant juste un léger baiser sur mes lèvres, sa façon à lui, mignonne comme tout, de me dire bonjour.Puis, rapidement, nous partîmes en direction de la galerie.


La soirée était une réussite, pour moi du moins. Le jeune galeriste,un peintre lui aussi, d'une petite trentaine d'années, était ravi.Les quelques petits critiques d'Arts présents avaient formulés leur admiration devant quelques unes de mes œuvres, et à vrai dire, je n'étais pas mécontente. J'avais fait le tour de la salle, au bras de Jonathan, un grand sourire aux lèvres. Je n'avais pas eu à parler, le galeriste l'avait fait pour moi, me présentant comme une jeune prodige, que je ne pensais pas être. Mais cela semblait vendeur. 

Jonathan, en homme d'affaire, avait invité son patron et était allé le saluer. Il m'avait présentée, bien sûr,mais la discussion entre eux s'éternisait et parler finance, ce n'était pas mon truc. Rêveuse, je fis le tour de la petite galerie,un petit four à la main, le verre vide. Mais, ça il valait mieux,sinon j'allais finir pompette ! Et pour la seconde fois de la journée, mon cœur rata un battement. Pourquoi ? Je ne le connaissais même pas. Mais il était là, habillé d'un simple jean noir et d'une chemise blanche, une cigarette coincée derrière l'oreille. Je l'observais alors qu'il examinait avec une attention rare une de mes toiles, le port du Havre. Il était si sérieux, muni de sa loupe, traquant chaque détail de mes coups de pinceaux. Une sacrée coïncidence, pas vrai ? Je le vis discuter avec Christian, le galeriste, et je décidais de m'approcher pour officiellement me présenter à cet inconnu, qui non seulement m'avait aidé cet après-midi, mais en plus avait été invité à mon vernissage.

« Ses peintures sont magnifiques,elles sont très travaillées, c'est certain. Mais, elles manquent cruellement d'émotions, je trouve. » 

Cela me stoppa net dans mon élan. Il ne me connaissait même pas, comment pouvait-il ainsi juger mon travail ? Était-ce encore un de ses journalistes d'art frustré qui critiquait en mal tout ce qu'il  voyait ? Je pris une grande inspiration, retenant mes larmes. Il fallait que je m'en doute, certains ne seraient pas tendres avec moi.Du calme, Dinah. J'allais tourner les talons pour rejoindre Jonathan.J'avais besoin de son contact pour me reprendre.Mais...

« Mademoiselle Patrick ! »

Christian m'avait remarquée, bien malheureusement pour moi. Et bien entendu,il se retourna vers moi, un petit sourire en coin, ses yeux noirs pétillants. 

« Dinah, je te présente Camille Aarons. Tu as sans doute entendu parler d'elle en cours, non ? » 

Camille Aarons... LE Camille Aarons, commissaire priseur d'Art connu pour avoir vendu une collection privée estimée à plus d'un milliard de dollars, réunissant plusieurs peintres connus comme Renoir ou Monet. J'ouvris de grands yeux en le regardant. Il me tendit la main, pour la seconde fois de la journée, et je la serrai, abasourdie. 

« Je ...Enchantée de vous rencontrer, c'est vraiment un honneur, je... »

Je ne savais plus où me mettre en réalité. C'était étrange,parfois, comme la vie nous jouait des tours. Il avait la main douce et chaude. Une main qu'il remit malheureusement bien trop vite dans sa poche. Il me sourit, assez franchement, ce qui me surprit, à vrai dire. Les gens dans ce milieu étaient souvent mielleux et hypocrites. Il n'avait sans doute pas besoin de ça vu sa notoriété dans le milieu, mais je préférais me méfier. 

« Tuas du talent, petite. Peut-être assez pour percer. »
Il sortit une carte qu'il me tendit. 

« Appelle-moi, OK ? » 

Puis, il tourna les talons, salua Christian et se dirigea vers la sortie. Le galeriste le fixait, les yeux brillants et soupira d'un air totalement gaga.

« Camille Aarons, dans MA galerie. Elle est vraiment aussi chouette que le disent les magasines, vraiment. » 

Oui, elle avait l'air chouette, c'était certain... Attendez, elle ? Seconde surprise de la soirée ! Je déglutis et le fixais. 

« Elle ? » 

Il me regarda à nouveau, apparemment ébahi de ma propre incrédulité.Je regardais de nouveau vers la porte par où elle venait de disparaître.

« Elle est aussi mannequin pour femme androgyne comme elle, bien qu'elle ne soit pas très connue pour ça.Apparemment, tu t'es laissée abuser par son apparence, je me trompe ? » 

Il eut un petit rire et s'éloigna.Je restais là, debout, dans ma petite robe blanche, à fixer cette porte. Je ne sus combien de temps je l'observais ainsi. Ce fut Jonathan qui me tira de ma torpeur, en posant sa main sur mon épaule. 

« Chérie ? Il se fait tard, nous nous levons tous les deux demain. » 

Il était vingt-trois heures. J'acquiesçais d'un signe de tête, serrant le ticket cartonné qu'elle m'avait laissé. Jonathan me laissa devant chez mes parents, et, pour la première fois de ma vie, j'eus du mal à trouver le sommeil. Pourquoi mon cœur battait-il si fort ?Pourquoi me venait-elle toujours à l'esprit alors que je la connaissais à peine. Tant de questions sans réponses qui me tourmentèrent jusqu'à ce que je m'endorme, aux alentours de quatre heures du matin. 

EllesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant