Chapitre 4 : Première hâlte

307 24 0
                                    


Progressivement le jour mourut. Les ombres s'allongèrent. Le vert, le brun, le bleu, le blanc, l'ocre et l'orange se retirèrent du paysage pour ne laisser qu'une large palette de gris. Le ciel se faisait lentement de velours que venaient piqueter, un à un, le diamant des étoiles.

Lorsque les feux du crépuscules eurent fuit à l'horizon, Thorïn ordonna la halte tant attendue pas Bilbo. Ils s'arrêtèrent près d'un ravin, au bas duquel un ruisseau coulait ses méandres paresseux.

On attacha les poneys, on alluma un feu, on déballa les vivres et les ustensiles. Les outres de vin circulèrent tandis que Bifur mettait à mijoter son ragoût.

Hayderys se laissa tomber avec un soupir de soulagement entre les racines d'un frêne. A peine avait-elle étendu ses jambes lasses, que la fatigue de la marche s'abattit sur elle. Elle s'adossa le plus confortablement qu'elle put au tronc de l'arbre, contemplant distraitement la Compagnie qui s'affairait.

Bilbo vint lourdement s'asseoir à côté d'elle alors qu'elle entreprenait de défaire les lacets de ses bottes. Il la regarda lutter pour les retirer, l'une après l'autre, puis rouler en boule ses chaussettes et les y fourrer.

- Ampoules ? S'enquit-il.

- Sur chaque doigt de pied ! Geignit-elle.

Même après des années en temps que telle, Svarting peinait à adopter certains mœurs des bipèdes. Le port de chaussures en faisait partie. Inconfortables, elles enfermaient désagréablement le pied et empêchaient de bien appréhender le sol sous ses pas, affectant son équilibre et sa furtivité.

Au Pays de Touque, qui n'était qu'herbe tendre et terre meuble, elle allait pied nus, à l'instar des Hobbits. Mais il lui avait fallu se chausser pour le voyage, sans quoi elle aurait eu à souffrir des cailloux aux arrêtes coupantes, des mauvaises herbes urticantes, des ronces, des épines, et de tout ce qui était à même d'entamer ses délicates plantes de pieds.

Ainsi le cuir neuf de ses bottes ne s'était jamais fait à ses pieds, et en une seule journée, les lui avait méchamment cloqués.

- Que n'ai-je des pattes de Hobbit ! Pesta-t-elle.

Bilbo n'avait jamais eu ce souci, lui.

Son ami ne releva pas l'étrange choix de vocabulaire, accoutumé à ces – inexplicables mais sans importances – erreurs de langue.

Lancés sur le sujet, ils commencèrent d'énumérer tous les désagréments du voyage. Le Hobbit était plus sincère et plus inspiré dans ses plaintes, mais ils entretenaient surtout la conversation pour patienter le temps que le repas soit servi.

Enfin, ils virent venir vers eux Fili et Kili, une écuelle dans chaque main. La joie de recevoir la sienne s'évanouit aussi vite que la vapeur qui en émanait quand Hayderys vit flotter des bouts de viande dans l'épaisse mélasse de graisse, de jus et de légumes. Rien que l'odeur lui donna un haut-le-cœur.

S'efforçant de ne pas grimacer, elle trilla sa portion du bout de sa cuillère pour dégotter les morceaux de navets et de pommes-de-terre.

Bilbo avait déjà engloutit la moitié de sa bolée quand il comprit le problème de son amie. Effaré, il dévisagea tour à tour Fili et Hayderys – Kili s'étant levé pour aller leur chercher du pain sitôt qu'il avait finit son repas.

- Un souci, Maître Cambrioleur ? S'enquit le blond.

Embarrassée, l'hybride ne s'irrita même pas de l'ironie avec laquelle il avait prononcé le titre. Elle se racla la gorge.

- Je... hum... les Fées ne mangent pas de viande.

La consternation qui agrandit les yeux du Nain ne devait pas être très différente de celle qu'elle avait éprouvé se découvrant cette spécificité héréditaire, peu après être devenue Hayderys. Elle avait tout essayé : crue, cuite, mijotée, farcie, bouillit, laquée, poêlée, grillée, rien n'y faisait. Dès qu'il s'agissait d'avaler de l'animal mort, un écœurement mêlé de culpabilité lui retournait l'estomac. Un comble pour un Dragon.

HayderysOù les histoires vivent. Découvrez maintenant