Chapitre 8 : Le don d'Hayderys

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  Le temps n'existait plus, il n'y avait plus que l'instant. Maculé de sang, barbouillé de terre, il ne pensait pas à s'arrêter, ne voyait pas venir la fin de la bataille, ne s'en préoccupait pas. Il brûlait seulement d'anéantir les infâmes créatures qui se dressaient face à lui. Ces charognes qui osaient le défier en pénétrant sur ses terres. Il voulait venger chaque Nain qui tombait près de lui.

Soudain, par dessus le fracas de l'acier et les clameurs monta un long beuglement triomphal. L'attention se tourna vers le massif orque pâle au cuir couturé de cicatrices. Il se dressait, torse nu, féroce, ivre de sang, sous la lumière diffuse du soleil. Une masse d'arme au poing gauche. La tête du Roi dans l'autre.

Thorïn eu le sentiment qu'on venait de le précipiter dans un lac de neige fondue.

Ses oreilles bourdonnèrent. D'un seul coup il lui sembla que le calme régnait, alors qu'autour de lui la bataille faisait toujours rage.

Azog jeta son trophée avec mépris. La tête roula, auréolée d'une crinière grise, jetant des giclées de sang dans son sillage, avant de s'immobiliser sous les pieds des combattants.

La fureur du Prince Nain explosa.

Un mugissement monta du plus profond de son ventre. Il rugit à en sentir ses côtes vibrer, à s'en irriter la gorge, d'un hurlement fauve alimenté par une rage noire.

Thorïn se retrouva à lutter de nouveau. Un fer de lance fusa vers lui, il brisa la hampe avec plus de force que nécessaire et ouvrit la gorge de son assaillant. Sa lame en rencontra une autre, glissa le long du fil, plongea dans un défaut de l'armure, tandis que le bord de son bouclier défonçait le heaume d'un orque imprudent. Il poursuivit son chemin, n'accordant qu'une once attention à ceux qui tombaient sous ses coups, les yeux rivés sur Azog entre ces cils collés de sueur et de poussière. C'est à peine s'il avait conscience que le nombre de ses pairs se réduisaient autours de lui. Tandis que les orques semblaient se multiplier sur sa route, les Nains reculaient, abandonnés par Thraïr, privés de Thror, privés de meneur.

Et Thorïn fut devant l'orque pâle. Dévoré de haine, aveuglé par sa propre fureur. Désertée de toute raison, il se rua sur lui. Azog se ramassa, tourna sur lui-même avec un sourd grondement de gorge. D'un ample et puissant mouvement, la masse s'abattit. L'acier sonna, le choc se répercuta au cœur de ses os tandis que le bouclier du Prince Nain était arraché à son poing.

Il ne vit pas venir le second coup mais sentit la douleur dans son bras droit alors que son épée lui échappait. Il perdit l'équilibre, violemment projeté en arrière par l'impact. La mer d'affrontements et le ciel inondé de lumière se confondirent, tournoyèrent un temps infini tandis qu'il dévalait la déclinaison rocheuse de laquelle il avait été jeté.

Son omoplate rencontra la terre. Sa chute prit fin, le laissant sur le dos, le souffle coupé. Au-dessus de lui, Azog brandit sa masse à deux mains puis bondit. D'instinct, la main de Thorïn s'abattit sur une épaisse branche de chêne et l'étreignit. Il roula sur lui-même, en même temps que la tête à huit arrêtes le manquait pour s'écraser sourdement contre le sol.

L'héritier de Durin poussa un nouveau rugissement, ivre de rage. En un instant, il fut sur ses pieds. Déjà, l'orque assenait un nouveau coup et Thorïn ne trouva rien d'autre à faire que d'user du tronçon pour s'en protéger. Le vieux bois protesta sous ses paumes, mais tenu bon. Prit de folie meurtrière, Azog frappa une deuxième fois, et le bouclier de chêne tînt encore. A la troisième, ce fut Thorïn qui céda. Ses jambes se dérobèrent sous lui, incapables d'accuser le choc prodigieux auquel elles étaient soumises. Il ne lâcha cependant pas son écu de chêne.

Son être entier était tendu vers un unique objectif : vaincre. Il se releva, perclus de douleur mais supporté par un acharnement farouche. Son glaive était revenu dans sa main alors qu'il était à terre. Les dents serrées, ahanant, il esquiva un énième coup, et Azog, infatigable, souleva une fois de plus sa masse.

Ils rugirent simultanément, unis dans leur volonté d'anéantir l'autre, dans leur détermination à porter le coup fatal. Masse d'arme et glaive fendirent lourdement l'air.

L'attaque de Thorïn porta la première.

Il y avait mit tout ce qu'il lui restait de force, y avait déversé toute sa fureur.

Cuir, chair, tendons, os, la lame trancha l'ensemble d'un seul coup. Le membre coupé cracha un geyser de sang qui l'éclaboussa. Azog recula, hurlant de douleur.

Par la suite, la folie de la bataille atteignit son paroxysme.

Soudain les guerriers Nains se trouvaient au grand complet derrière l'héritier de Durin, et sur un cri de ralliement amplifié par une vigueur nouvelle, Thorïn mena la charge. Ils fondirent sur les orques qui se repliaient, entraînant leur champion vaincu. Les cris de triomphe résonnèrent jusqu'au cœur de la Moria alors que les Nains décimaient les rangs de leurs ennemis. Les cœurs battaient à tout rompre dans les poitrines, brûlants d'un désir inaliénable de revanche. Ils déferlaient comme la colère déferlaient en eux.

Mais malgré leur prodigieuse unité, malgré leur hargne, ils continuaient à tomber sous les coups de l'ennemi.

Les Nains chargèrent et périrent. Ils poursuivirent et périrent. Ils vainquirent et périrent.

Un déchaînement d'émotions s'était abattu ce jour-là sur le peuple des Montagnes : De la plus funeste détresse à la plus incandescente des rages à la plus noire des peines. Elles s'immisçaient dans l'esprit d'Hayderys, qui survolait ce jour depuis un autre temps. Et l'hybride crut bien être broyée de l'intérieur par d'aussi violent mouvements de l'âme. Puis, au moment où il lui sembla ne pas pouvoir tenir plus longtemps avant qu'un gouffre fatal ne s'ouvre en elle, tout cessa.

Pas tout, songea-t-elle en s'apercevant que flambait toujours un cœur supplicié. Mais c'était autrement plus supportable que mille.

La jeune femme n'était plus aux Portes de la Moria, mais sous des étoiles et des pins en flammes. Les lueurs pourprées dansaient sur le visage de Thorïn, qui se ruait vers un immense orque pâle monté sur un ouargue blanc. Elle le regarda la dépasser, ses semelles écrasant l'humus fumant au rythme des palpitations de son cœur, et sentit le dégoût et la fureur de l'héritier d'Erebor passer sur elle comme une vague de chaleur. Ceci n'est pas encore arrivé, déduisit-elle du crochet qui luisait au bout du moignon d'Azog. Mais si l'orque est en vie, où est-il à présent ?

Cette fois, son don se fit obligeant, et son esprit quitta la nuit de feu pour filer vers une autre nuit. Les étoiles reculèrent dans le ciel. Hayderys fila avec elles jusqu'à une autre nuit. Les ressentiments qui avaient manqués de la consumer ne se faisaient plus sentir, et le silence régnait parmi les ruines solennelles qui l'entouraient. Résidus d'un ancien édifice qui avait du être majestueux en son temps, il n'en restait désormais qu'une ligne de piliers et d'arches couronnant une butte. Juché sur les débris comme sur un trône, un immense ouargue couché dans son dos tel un dossier de fourrure immaculée, Azog s'adressait en langue noire à une meute d'orque.

Où donc cette scène se situait-elle ? S'agissait-il du présent ? L'hybride obtint une partie de réponse lorsque l'ouargue blanche émit un grondement ténue et releva sa lourde tête pour braquer sur elle ses prunelles jaunes Alerté, Azog suivit son regard, mais ne sembla rien détecter, car ses yeux de requins reflétèrent une lueur vaguement perplexe. D'abord prise d'une envie de ricaner, la jeune femme fut brusquement transit lorsque son regard cessa de voguer et s'arrêta à l'emplacement de sa présence immatérielle.  


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Je sais que ce chapitre n'a pas beaucoup fait progresser l'histoire, mais il était néanmoins important pour l'intrigue. J'espère que vous l'avez apprécié !

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