Chapitre 9 : La vérité au fond des coeurs

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  Elle ouvrit tout à coup la bouche pour aspirer une grande goulée d'air, prise d'un violent tressaillement. Ses yeux -ses véritables yeux- s'ouvrirent sur un couvert de pins vaguement illuminés par la lueur d'un feu, devant lequel se découpait un visage grave ombragé par un large chapeau d'où pendaient des cheveux filasses. Des mains étaient crispées sur ses épaules avec une poigne de rapace. Quelque-part, hors de son champ de vision, Bilbo demandait :

- Et l'orque pâle ? Que lui est-il arrivée

Ce à quoi Thorïn répondit en sifflant d'une voix sourde :

- Il a rampé jusqu'au trou d'où il était venu. Ce monstre est depuis longtemps mort de ses blessures.

Alors seulement Hayderys parvint à rassembler ses pensées. Elle réalisa qu'elle était couchée sur un tapis d'aiguilles, un jambe tordue comme si elle y était tombée à la renverse, et que celui qui l'agrippait aussi vivement pour vriller ses prunelles bleues dans les siennes n'était nul autre que Gandalf. Puis elle prit conscience des martellements affolés de son cœur dans sa poitrine et de son impérieux besoin d'air. Elle prit une nouvelle inspiration, puis balbutia :

- Gandalf ? Que... ?

- Qu'avez-vous vu, Hayderys ? Interrogea celui-ci dès qu'il s'aperçut qu'elle recouvrait ses capacités.

Elle fronça les sourcils, soudain méfiante. Se redressant sur un coude, elle donna une saccade pour qu'il libérât ses épaules, ce qu'il fit sans la lâcher des yeux.

- Comment savez-vous ? Souffla-t-elle.

- Ce qui fut, ce qui est, ce qui sera. Les Fées ont le don de voir tout cela. Je ne me doutais pas qu'il vous avait été transmit jusqu'à ce que je vous vois reculer loin de nos compagnons et vous écrouler ici-même. Vous étiez en transe et il m'était impossible de vous ramener. Qu'avez-vous vu ?

La jeune femme jeta un coup d'œil aux Nains attroupés à quelques pas de là. Elle n'en voyait que leur dos, car ils s'étaient tous levés, muent par le profond sentiment d'allégeance que le récit de Balïn avait réveillé en eux.

- Hayderys, la pressa le Magicien.

Elle reporta son attention sur lui.

- Il est vivant, souffla-t-elle.

L'air méditatif, Gandalf se recula et porta sa pipe à sa bouche. Ses yeux trahissaient une intense réflexion dont elle ne pouvait deviner l'objet. Cependant, il ne manifesta aucune surprise, pas plus qu'il ne lui demanda de qui elle parlait. Hayderys s'assit en tailleur, vérifia que la Compagnie ne pouvait pas l'entendre, puis s'insurgea à voix basse :

- Vous saviez ?

Le lieur de sort se contenta d'acquiescer lentement du chef.

- Vous saviez et vous ne le lui avez pas révélé ?!

Il cracha quelques bouffardes avant de se décider à se justifier :

- Disons que je m'en doutais fortement, mais il m'était impossible d'en être sûr. J'ai préféré ne pas alarmer Thorïn tant que cela n'était pas absolument nécessaire.

Elle le dévisagea, sidéré par son affront. Les Magiciens étaient bien tous les mêmes ! Et pourtant...

Pourtant alors que son don de clairvoyance venait de la plonger dans un état vulnérable, c'était vers lui qu'elle avait inconsciemment reculé pour mettre son corps physique en sécurité. Son instinct avait toujours été infaillible, et il avait vraisemblablement estimé que pour le cas présent, c'est auprès de Gandalf qu'elle serait le plus en sécurité. Manipulateur, menteur et trop malin à mon goût, mais pas foncièrement mauvais donc...

Hayderys se leva précautionneusement. Il lui semblait que le vacarme des combats sonnait encore à ses oreilles tel un bourdonnement lointain. Son sang chantait dans ses veines comme si la transe de la bataille peinait s'estomper. Une bataille à laquelle elle n'avait prit aucune part, mais qu'elle avait vécu à travers l'esprit des Nains. Et en particulier....

Son regard se posa sur Thorïn, qui exhortait ses compagnons à se reposer afin de reconstituer leurs forces pour la route qu'ils avaient à parcourir. Se sentant observé, l'héritier d'Erebor finit par se tourner vers elle. Cette fois, Hayderys ne chercha pas à se dérober face à cette figure sévère et inquisitrice qui se découpait du feu à contre-jour. Depuis sa position, elle scruta son regard, fouillant les deux éclats de glace qu'étaient ses yeux. Ce fut sans surprise qu'elle y découvrit ce qu'elle cherchait.

Le guerrier acharné de sa vision. Celui dont le désir de protéger les siens disputait férocement son cœur à la haine de ses ennemis. Celui qui se dressait pour combattre alors même qu'il était écartelé de l'intérieur.

Les Nains étaient décidément des créatures coriaces.

La jeune fille replaça une mèche volante derrière son oreille pointue. Demain, se promit-elle, elle aurait une conversation avec Thorïn Oakenshield.  

HayderysOù les histoires vivent. Découvrez maintenant