Mords la poussière !

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Slad avait balancé son coup de poing en premier. Sous l'impact, le mufle porcin de son adversaire s'était mu en un faciès haineux, l'enlaidissant davantage si la chose avait été possible. Ses yeux inexpressifs de bovidé s'étaient changés en petites billes noires luisantes de haines. 

Il meugla et chargea avec une vivacité surprenante. Percuté de plein fouet, Slad chancela et s'affala dans la boue. Il sentit bientôt les doigts potelés de son adversaire enserrer son cou. La foule était en liesse et savourait le spectacle. L'issue du combat était désormais prévisible. Comment un jeune garçon tel que Slad pourrait bien se défaire d'une telle masse ?

On pouvait déjà voir certains bookmakers se frotter les mains, tandis que d'autres tentaient de se frayer un chemin dans la cohue.

Zed et Julian n'avaient pas perdu une miette du spectacle.

— Regarde Julian, il fait semblant de suffoquer, c'est aussi visible qu'une verrue sur le nez d'une tenancière de bordel.

— J'ai remarqué, répondit l'intéressé en se curant le nez. Je ne vois pas pourquoi d'ailleurs, il n'a rien à gagner en simulant.

— Tu te trompes, s'il gagne trop facilement, les cotes vont souffrir et les adversaires vont se faire rares.

Les deux compères étaient des habitués de ce genre de combat de rue. Quiconque aurait fait attention à toutes les rixes ayant eu lieu ces derniers temps dans la ville, n'aurait pu manquer ces deux étranges personnages. Zed, ce grand gaillard maigrelet au nez busqué, à la longue chevelure de jais, toujours drapé dans une longue cape de lin maculée de boue, et Julian le petit dodu au regard de fouine, riant à gorge déployée, exhibant ses chicots noirâtres avec une avouée perversité.

Zed avait raison.

Bien loin d'être défait, Slad riait intérieurement. Son adversaire, bien que puissamment bâti, n'avait aucun sens réel du combat et ses prouesses martiales se limitaient à des coups maladroits et des charges bestiales.

Le jeune homme avait fait durer le suspense assez longtemps et il était temps pour lui de mettre fin au pugilat.

Avec une vitesse fulgurante, il claqua ses deux paumes sur les oreilles du gros balourd, et profitant de son étourdissement, il s'échappa de son emprise, avant de lui asséner un coup rapide sur la nuque.

Son adversaire chancela, puis s'effondra.

Le combat était fini.

La foule fut frappée de mutisme, puis finit par gronder de satisfaction.

Fier de son combat, Slad alla chercher son dû sous la forme de quelques pièces d'or. En tâtant sa bourse pleine, il ne put s'empêcher de sourire. Depuis qu'il avait commencé sa tournée dans les villages, il avait déjà accumulé un petit butin.

Après avoir échangé quelques mots avec des admirateurs, il s'enfonça dans une petite ruelle, bien déterminé à gagner la taverne la plus proche.

C'est à ce moment que Zed et Julian l'interpellèrent.

— Hé petit viens voir par ici ! cria le grand Zed.

Slad se retourna et envoya d'un ton agacé :

— J'ai pas le temps-là, je suis pressé, qu'est-ce que vous me voulez ?

— Que du bien, jeune homme, rétorqua Julian en ponctuant par un horrible sourire.

Slad resta un petit moment indécis.

— Faites vite alors, avertit-il en s'avançant vers eux.

En approchant de plus prés, le jeune homme reconnut les deux habitués de ses rixes.

— Hé ! Mais je vous connais, vous êtes les deux clochards qui assistez à tous mes combats !

— Tu entends ça Julian ce petit morveux nous traite de clochards. Zed avait pris un ton amusé.

— Oui, il n'est pas poli le gamin, répondit Julian sur le même ton.

— Bon les interrompit Slad, vous avez fini votre cirque là ? J'ai des choses plus importantes à faire que de parler à des débris...

— Tu vois ce sac plein de pièce d'or ! Zed exhiba une besace pleine à craquer.

— Et bien, continua-t-il, les clochards te l'offriront de bon cœur si tu arrives  à égratigner l'un d'entre nous en combat singulier.

— Vous rigolez là, vous pensez vraiment que l'un de vous a une chance ? J'ai affronté les meilleurs combattants de cette ville et je n'ai encore jamais perdu ! Allez, c'est ridicule, franchement vous vous êtes regardés, on vous dirait sortis d'un cirque.

Slad ne put s'empêcher de rire.

— Bon je vois qu'il faut le motiver un peu plus ce fils de chien, dit Julian en souriant. Je parie que sa grognasse de mère a beuglé comme une truie pendant que son ivrogne de père la besognait en bavant. Elle en redemandait la chienne, et pour cause, tout le quartier était déjà passé dessus sans parvenir à satisfaire son cul de braise. Dis le morveux ! Ça fait quoi d'être un enfant de putain ?

Il dévoila ses chicots et adressa au garçon un regard mauvais.


SLADOù les histoires vivent. Découvrez maintenant