L'ennui. Vous avez le week-end.

6. Lire

Dakota était tranquillement allongée dans le canapé du salon commun, chez Soraru. Mihawk était assis dans un fauteuil en face d'elle et l'observait parfois sous la forme de petits coups d'œils lancés à répétition au dessus de son journal. Ça ne la dérangeait pas plus que ça, elle était un peu ailleurs. A la base, comme elle s'ennuyait, elle avait décidé de lire un peu.

En effet, les genoux pliés, la tête calée sur des coussins eux mêmes appuyés sur l'accoudoir, elle lisait La Face Cachée de Margo de John Green et était plongée dans son bouquin. Oui, c'était étrange, mais une fille comme elle aimait lire. Elle adorait ça même. C'était un formidable moyen d'évasion, à son avis, et elle ne comprenait pas les personnes qui détestaient ça. Ok, un bon gros film d'action à la Mad Max Fury Road, ça occupait, mais bon... rien ne valait le plaisir de lire.

L'imagination qui travaillait, le cerveau qui plantait le décor et qui animait le tout comme une pièce de théâtre bien orchestrée... et le lâcher prise. Le décrochage. Le moment où l'on se trouve complètement plongé dans un autre monde, à l'abri de tous les malheurs de la vie réelle. Quel bonheur, cette petite bouffée d'air frais, cette légère atmosphère d'insouciance qui flottait autour de soi jusqu'à ce qu'il arrive une merde dans le bouquin lui même. Là on ne riait ni ne souriait plus du tout.

Pour la rousse, c'était ça le talent des auteurs : arriver à faire éprouver différents sentiments à son lecteur. Il fallait choisir les bons mots, les placer dans le bon ordre, pour que tout passe crème, comme un dans les mécanismes de boîtes à musique. Rien ne devait cafouiller, rien ne devait sonner faux. L'ensemble devait être harmonieux au point que l'on y pense même plus, à la manière d'une musique de film. Il fallait que ça colle, que ce soit cohérents.

Là dessus, Green ne l'avait pas déçue. Elle avait dévoré Nos Etoiles Contraires en deux jours environ, engloutit Le Théorème des Katherine en 1. Les deux romans avaient été des révélations, des petites perles au milieu d'un océan de billes ordinaires. Ils l'avaient fait rire comme fondre en larmes. Green était un sadique et visiblement fier de l'être. Il y avait toujours un truc qui avait fait réfléchir la jeune fille plus que de mesure dans ses œuvres. Pourquoi est-ce que Une Impériale Affliction se terminait ainsi ? Qu'arrivait-il à Hazel ? Que devenait l'entreprise de Hollis au final ?

Tant de questions sans réponses... elle soupira. Bientôt, de nouvelles questions en rapport avec le livre jaune entre ses mains allaient fleurir dans son esprit. Des questions inutiles, en plus. Elle secoua la tête et se re concentra sur l'énigme de la porte. Putain Q, fait un effort, c'est évident... sermonna-t-elle intérieurement le protagoniste.

Alors qu'elle rageait, une main bronzée vint lui prendre son livre des mains. Elle grogna.

"Du calme petit chien ! Rit son copain

-Rends moi ça !

-Viens le chercher...

-Zoro..."

Il plaça l'objet des convoitises de la lycéenne bien haut au dessus de sa tête, amusée. Elle se mit sur ces pieds et sautilla quelques instants avant de perdre l'équilibre et de tomber en arrière. Le sabreur la rattrapa et la redressa en souriant.

"T'es vraiment pas douée...

-La ferme...

-C'est pas gentil ça..."

Il regarda l'ouvrage et haussa les sourcils.

"T'aimes lire ?

-Bah oui, pourquoi j'aimerai pas ?

-Je sais pas, je t'ai jamais vu lire avant...

-C'est pas passionnant de regarder quelqu'un lire."

Il haussa les épaules et elle le détailla une fois de plus. De sa cicatrice jusqu'à son nom, tout, et vraiment tout, pouvait faire de Zoro un personnage de roman. Il avait des cheveux verts, trois boucles d'oreilles, un bel œil gris, une cicatrice sur le second et une large sur tout le torse, le teint halé. Trois sabres pendaient à son côté, ses vêtements étaient carrément stylés, il s'appelait Zoro, il rêvait de devenir le meilleur sabreur au monde et pour couronner le tout, il était second des Mugiwaras, un grand équipage pirate. Ça faisait pas mal de choses.

Avec ses airs distants et austères, il n'était pas proche de beaucoup de monde, hormis son équipage. D'ailleurs, elle ne doutait pas que certains pensaient à fuir devant l'épéiste s'il venait à leur parler. Le nombre de personnes qui s'adressait à lui en tremblotant ou en bafouillant était assez impressionnant, étant donné que Zoro ne faisait la plupart du temps pas exprès d'avoir l'air en béton armé. Enfin, il ne fallait pas le mater pendant des heures pour s'apercevoir que ses muscles étaient plutôt bien définis et qu'on regretterait de chercher la bagarre avec lui.

Elle sourit. Elle pourrait envoyer un scénario à Green au final. Elle voyait déjà son résumé :

Zoro est un homme plutôt baraqué avec des faux airs à Rambo, mais en plus beau. Le problème, c'est que sous ses muscles, se trouve un cœur en or désireux de se faire accepter de la société. Pourtant, malgré tous ses efforts, les gens continuent d'avoir peur de lui et de le fuir. Quand tout cela prendra-t-il fin ? Faut-il vraiment se fier aux apparences ? Zoro est au bout du rouleau... pourquoi est-il ainsi rejeté ? Plus il s'approche de la chaleur humaine, plus elle semble lui échapper...

La jeune fille imaginait déjà le livre premier des ventes, mais visualiser la couverture fut le coup de grâce. Un cactus sur fond violet... Elle explosa de rire sous les yeux surpris de son petit ami.

"On peut savoir ce qui te fait rire ?

-Mmmh... Non, désolée !

-Je le saurai, alors autant me le dire maintenant.

-Non !

-Tu as choisis la voie de la difficulté, petite fille !

-De quoi tu p..."

Il se jeta sur elle avant qu'elle ai pu finir, la faisant pousser un petit cri. Ils s'étalèrent sur le canapé, lui sur elle, lui tenant les poignets.

"Tu me le dis maintenant ?

-Non.

-Je te sens faiblir.

-Non...

-Allez, accouche.

-Pfff... Faut lire du John Green pour comprendre...

-T'espérais sérieusement que je gobe ça ?

-Bah... oui ?

-Tss, petite ensorceleuse...

-Je dois le prendre comment ?

-Comme ça" répondit-il en ricanant.

Elle n'avait pas compris jusqu'à ce qu'il plaque ses lèvres aux siennes. Conclusion >> comme un compliment. Un très beau compliment, à en juger la tournure que prenait le baiser. Un petit toussotement interrompit Zoro qui n'avait rien fait de trop trop méchant jusqu'à présent. Bah quoi, une main au creux des hanches, c'était pas non plus une main aux fesses, fallait pas déconner !

-Il y a des hôtels pour ça. Fit remarquer Mihawk.

Le vert sourit, au contraire de la rousse qui prit une teinte rouge écrevisse en se redressant.

"Tiens tiens, Œil de Faucon...

-Ça fait longtemps, Roronoa.

-Pas tant que ça en fait.

-Tu ferais mieux de t'entraîner au lieu de batifoler...

-Si tu le dis."

Le shichibukai soupira avant de replonger dans son journal alors que le couple sortait du salon main dans la main. Il était beau, l'ennui de la jeunesse... Qu'est-ce que ça allait être, le débat de son ami prof de philo...