Grisaille

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"- Non mais je rêve! Chéri, vient voir ça!"

Quand je suis rentrée chez moi ce soir, ma mère venait de découvrir un paquet de tabac dans la chambre de mon frère. J'imagine qu'il n'est pas nécessaire de préciser dans quel état ça l'a mise quand elle a découvert que le seul enfant responsable qui lui restait venait de se faire faire un tatouage. Et si, elle, était en colère, ce n'était rien comparé à celle dans laquelle entrerait mon père qu'on venait de tirer de son match de rugby.

Pour faire simple, mon père a hurlé, ma mère est partie, et je suis montée dans ma chambre, que je ne quitterais certainement plus avant un bon moment.

Je me suis allongée sur mon lit, exaspérée. J'ai fixé le plafond pendant une demi-heure avant que ma mère ne se décide à venir me voir.

"- Luna? Je peux entrer?

- Non."

Bien évidemment, elle est tout de même entrée, et s'est assise près de moi.

"- Pardon, chérie, d'avoir prévenu ton père, c'est une vraie brute. Mais il le fallait, tu comprends?

- Non, je ne comprends pas.

- Mais enfin Luna, tu es rentrée à la maison avec un tatouage sans nous en avoir parlé, tu ne pensais tout de même pas que j'allais laisser passer ça?

- Non, mais de la à me hurler dessus, je ne comprends pas. Après tout c'est ma peau, j'en fais ce que je veux.

- Oui mais on est tes parents, c'est notre devoir de te protéger.

- Mais je n'ai pas pris de risques! Et puis je suis tout à fait capable de me protéger seule!

- Je sais, chérie."

Elle m'a caressé les cheveux, un geste signifiant clairement que non, elle ne savait pas.

"- Alors, c'est quoi, ma punition?

- On en a discuté, avec ton père, et on a décidé de te priver de sortie une semaine."

Une semaine sans Heather.

Une semaine sans plage.

Une semaine sans rêves, sans rires, sans cheveux qui ondulent et sans voix qui s'élèvent, sans glaces cerise-pistaches et sans concours de ricochets, une semaine sans vie.

*****

J'étais partie à minuit de la maison. J'avais passé la porte sans bruit et j'avais couru tellement vite que les battements de mon coeur ne me suivaient plus. J'ai toujours détesté courir, et mes jambes me rappelaient très clairement que mon entraînement était à revoir. Mais je voulais être le plus loin possible de chez moi, et le plus près possible d'Heather. Alors je courais.

Quand je suis arrivée chez elle, j'ai tout de suite voulu faire marche arrière. J'avais peur qu'elle me prenne pour une folle et ne me rejette. J'avais peur de la déranger, et surtout, je ne voulais pas qu'elle pense que j'étais assez faible pour m'enfuir dès le premier soir. Je me suis donc assise sur le trottoir, et j'ai attendu que quelque chose se passe.

J'ai regardé les étoiles pendant ce qui m'a semblé être une éternité. Et puis j'ai entendu le bruit d'un scooter se rapprocher. Prise de panique, je me suis précipitée derrière le buisson de la maison d'en face. Geste totalement ridicule, après réflexion, mais j'avais peur qu'on ne devine la raison de ma présence. Mais je suis tout de même restée cachée et j'ai attendu qu'il passe. A ma grande surprise, c'est devant sa maison qu'il s'est arrêté. De ma cachette, je parvenais à voir à peu près sans être vue. Un homme un peu plus vieux que moi est descendu et à sorti son téléphone. Il a discuté quelques secondes avec quelqu'un avant de raccrocher et de s'assoir sur le trottoir. Je commençais à avoir froid et j'avais terriblement envie de quitter ce lieu avant qu'il ne se passe quelque chose de louche dont je n'aurais pas envie d'être témoin. J'allais me décider à partir, quand elle est sortie en refermant la porte derrière elle.

MA Heather.

J'ai commencé à trembler. C'est à ce moment précis que j'ai commencé à comprendre que ce que je verrais ne me plairait pas. Néanmoins, j'ai continué à observer. Heather avait les bras croisés, et présentait une expression que je ne lui connaissait pas, une sorte de nervosité dont je n'aurais jamais soupçonné l'existence chez elle. L'homme se rapprochait peu à peu, mais elle ne bougeait pas. Elle restait droite et gardait ses bras croisés. Elle n'a même pas bougé quand il lui a caressé la joue. Quand il l'a prise dans ses bras, elle n'a pas bronché, et elle a seulement fermé les yeux quand il l'a embrassée.

Je n'ai pas bougé non plus. Seules les larmes ont coulé, sans bruit. Je n'ai pas reniflé, je n'ai pas battu des paupières, je n'ai émit aucun son. J'ai seulement pleuré, longtemps, et je me suis arrêtée bien après le départ de l'homme. Alors, seulement, je me suis levée, et je suis rentrée chez moi.




HeatherOù les histoires vivent. Découvrez maintenant