Le noir

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C'est Will qui avait appelé la police, cette nuit là. Quand il appris la situation par Joshua, qui n'avait pas bougé de sa chaise et qui entamait déjà un nouveau paquet de cigarettes, il n'avait pas hésité. Et je lui en serais toujours reconnaissante.

Même si il était déjà trop tard.

La suite ne fut que vacarme. Les sirènes, les voitures de police, les ambulances. J'étais paralysée et on m'a emmenée, moi aussi, à l'hôpital. Mais ça ne servait à rien. Plus rien n'était utile, puisque Heather n'étais plus là.

Je ne pleurais même pas.

Simplement paralysée.

La suite m'a paru une éternité. Les résultats des médecins. L'arrivée de mes parents, qui m'annonçaient en même temps l'incarcération de Brian. Le retour à la maison. Le vide. La seule journée dont je me souvienne a été celle de ma visite chez ses parents, accompagnée de Will, qui ne voulait pas me laisser partir toute seule.

Quand je suis arrivée, ils m'ont prise dans leurs bras. Les deux pleuraient, et moi aussi, je pleurais, serrée contre eux, dans cette magnifique maison. Ils avaient été incapables de cuisiner, alors Will s'est porté volontaire pour nous faire à manger.

Quand on est enfin repartis, ils m'ont invitée à revenir quand je voulais, et m'ont encore une fois serrée dans leurs bras. "Tu seras toujours la bienvenue ici" m'ont ils promis. Will est resté avec moi jusqu'au lendemain. Sa présence était la seule chose qui me maintenait en vie. Je me suis blottie contre lui pour dormir, et j'ai fini par trouver le sommeil, bercée par son souffle.

Et puis, ça a été le jour. Le jour du noir.

C'était presque irréel, un état de flottement permanent. On avance, on ne sait trop pourquoi, on entend les discours de loin comme si l'on était à des kilomètres, mais on écoute pas, on essaye pas d'écouter, on se persuade juste qu'on est autre part, que ces gens qui pleurent ne sont pas là, qu'on est au dessus. Mais on est enracinés dans cette terre, est nos yeux sont attirés sans qu'on ne puisse détourner le regard.

Will m'a pris la main. Nos yeux étaient fixés sur la tombe ou reposait le corps de l'être qui m'avait été le plus cher.

"- Alors elle est là dedans, maintenant.

- Non, ça ce n'est que son corps.

Il s'est tourné vers moi, et à pointé mon cœur de son index.

- Elle est là maintenant."

J'en aurais presque ri dans d'autres circonstances. C'est le genre de phrase qu'Heather aurait détesté. Mais ça reste la vérité, tous les souvenirs que j'ai d'elle ont plus d'importance qu'un reste d'humain. J'imagine que c'est le genre de chose qu'on se dit tous pour avancer.

Puis ça a été mon tour. J'ai pris ma guitare, et me suis installée en face de tout ces gens qui étaient venu pour pleurer, soutenir, ou juste être là. J'ai accordé ma guitare. Un silence de plomb flottait. Tous me regardaient, attendaient quelque chose, une note, un mot. J'ai fini par briser le silence.


Elle rêve beaucoup, Heather.
Elle se construit un monde dans la fumée de ses cigarettes,
Qui se consument,
Lentement.
Elle passe des nuits entières à admirer le ciel et se perdre dans son immensité.
Elle sort son carnet, et peint la vie, et le monde qui peuple ses songes.

Elle est vivante, Heather.
Quand elle court,
Ses cheveux s'évaporent et s'enflamment dans la douceur du soir.
Quand elle danse,
Tout n'est qu'ondulations de corps et elle semble se perdre dans l'infini.
Une vraie déesse.
Et malgré ses clopes qu'elle enchaîne,
Sa voix serait capable de séduire le plus beau des anges.
Son chant traverse les villes et les forêts,
Mais c'est pour moi, qu'elle chante.

Elle est belle, Heather.
Elle est belle.
Mais quand ses lèvres me transportent plus loin que tout ce que je n'ai jamais vécu,
Quand nos langues s'entremêlent pour ne former qu'un seul et même corps,
Quand je sens un cœur battre et que je ne sais plus si c'est le mien,
Quand ses yeux me traversent et percent à jour le moindre de mes songes,
Là, elle est plus belle que jamais.

Elle est forte, Heather.
Quand les regards nous fixent et nous amènent à la honte,
Les incompréhensions étranges de la population qui se demande si oui,
Ou non,
Deux jeunes filles sont amoureuses l'une de l'autre,
Quand ma seule envie est de hurler qu'il n'y a rien d'anormal à ce que deux êtres se complètent,
Que la colère et la peur me submergent dans un tourbillon infernal,
Je sens ses doigts s'entremêler aux miens.
On s'allonge ensemble sur le sable,
Elle me caresse les cheveux,
Et me souffle un couplet à la lisière de mes oreilles.
Je n'ai plus qu'à me blottir contre elle, et entrer dans ses rêves.

Je l'aimais, Heather.
On parlait de nos rêves,
De notre futur commun,
De nos hontes,
De nos désirs.
On découvrait peu à peu des territoires inexplorés,
Et nous nous connaissions l'une l'autre comme personne ne nous connaissait.
Rien ne limitait nos rêves ou nos ambitions.
Tout nous était possible.
Nous voulions tout et nous l'aurions eu.

Ils l'ont tuée, Heather.
Ils l'ont battue à mort.
Elle était seule, seulement son esprit et sa voix.
Ils étaient trois et lui ont retiré son bien le plus précieux, et aussi le mien.
Pour la première fois,
Heather a eu peur.
Ils ont détruit son visage,
Enlevé sa vie,
Brisé ses rêves.
Plus de clopes pour Heather.
Plus de chants,
Plus de danse,
Plus rien du tout.
Plus rien.

Son seul défaut était d'être amoureuse.


HeatherOù les histoires vivent. Découvrez maintenant