Chapitre troisième

69 5 0
                                    

Chuck était plus énergique aujourd'hui que d'habitude, excité par je ne sais quoi qui lui donnait un air un peu fou, à sauter et japper partout. J'ai eu de la peine à le rattraper par son collier pour le ramener à l'intérieur, où tout est si fragile et exigu. Les labradors ont beau être grands et sociables, ils n'en sont pas moins maladroits. Le mien illustre parfaitement le modèle. Même s'il est dehors la plupart du temps, je tiens à ce qu'il passe la nuit avec moi à l'étage, j'aurais trop peur qu'il lui arrive quelque chose.

Les jours tournaient en boucle et mon dix - neuvième anniversaire approchait. Les mêmes personnes me rendaient visites, avec leurs sourires crispés qui semble traduire leur ennui. Je ne réfléchissais plus, ne pensais qu'au jour fatidique de mes dix huit ans. Ce jour où je serai libre de faire ce que je veux et de ne plus attendre que ma vie défile. Nous sommes le 17 avril, plus que 2 mois, mais encore 2 mois de vide. Du vide de mes journées.
Tu veux un exemple de journée type ? Je me lève, je lis, je me recouche, je me lève, je déjeune, je m'habille, je fais la sieste, je regarde la télé, je ne fais rien, je mange, je dors. Si je veux garder l'espoir qu'un jour je franchirai le portail pour me rendre au travail, je dois d'abord viser plus loin que le bout de mon lit.
J'avais ordonné aux domestiques de ne pas être présents de la journée, je tenais à ce que tout soit prêt avant mon lever.

En prenant cette décision j'avais bien sûr pensé aux conséquences : je devais m'occuper des tâches ménagères (qui pourrait demander à une bonne de passer l'aspirateur la nuit sans faire de bruit ?), de faire chauffer les plats et de ranger mes affaires. Et ce n'était pas tous les jours facile, pour moi qui avais eu des domestiques à mon service dès mon plus jeune âge. Papa tenait à ce que je vive comme les jeunes Ladies anglaises. Il me disait toujours qu'il ferai tous les sacrifices nécessaires pour moi autant que pour Maman, pour que ma vie soit digne d'un conte de fées. Mais elle l'aurait aisément été avec moins d'hémoglobine et de larmes.

Je savais qu'il rêvait du meilleur pour moi, et il n'y pouvait rien si il avait été assassiné en pleine rue par un fou furieux qui cherchait désespérément à se venger sur quelqu'un.
Sans personne à la maison, le silence régnait en maître. Même le parquet d'ordinaire si grinçant s'était tu pour laisser au silence son moment d'expression. Chaque pas que j'exerçais sur le sol semblait mourir, comme aspiré par une force invisible.
C'est à peine si j'osais passer ma tête à l'extérieur de ma chambre tellement cette absence de bruit me terrifiait.

Invincible pour toujoursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant