Chapitre deuxième

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Après l'accident de ce matin, j'ai préféré me rallonger une petite heure, histoire de faire passer la nausée. Juste en voyant le verre d'eau posé à côté de mon lit, mon estomac s'est soulevé. J'ai laissé Chuck dans le couloir pour être sûre de dormir plus de trois minutes, et enfouie sous la couverture, mes yeux se sont fermés.

En posant un pied par terre, je tâte mon ventre pour calculer la probabilité que je vomisse encore. Mais pas de gargouillement ni de vertige, c'est plutôt bon signe. En revanche, un odeur âcre flotte dans la maison, m'incitant à faire un tour dehors.

"Chuck ! Viens ici mon chien !" Il rapplique immédiatement, ses pattes grinçant sur le parquet. Je l'attrape par le collier, sa balle et des baskets dans l'autre main.

A peine sortis, Chuck aboie et s'éloigne en courant. Il fait toujours le tour de la maison avant de me suivre dans le jardin, "un peu comme un chien de garde qui vérifierait qu'il n'y a pas d'intrus." je pense en souriant. Il réapparaît de l'autre côté, rassuré et se rapprochant de moi. Je m'assieds sur un banc, la balle dans la poche et Chuck vient se vautrer sur moi, exposant son corps d'athlète. Je sens tous ses muscles se relâcher quand je commence à gratter son ventre.

Le parc offre une vue imprenable sur le centre de la ville, les immeubles essayant de toucher le ciel et à leurs pieds, les rues sinueuses qui se mêlent aux grandes avenues.

Je les scrute chaque jour ces ruelles, ces impasses et ces boulevards, depuis le banc du jardin ou la fenêtre de ma chambre. Je guette une silhouette que je connaîtrai, ou juste quelqu'un.
Sûrement celui dont l'arme a traversé le coeur de mon père, mais je me refuse de dire que j'ai peur. Même si c'est vrai, maintenant j'ai peur de lui.
Il est sorti de prison hier, je l'ai vu aux infos. Il doit être fier de lui, médiatisé et célèbre grâce à son crime. J'ai l'impression qu'ils parlent plus du coupable que de la victime, et ça je ne le tolère pas. Ils font passer ça pour un simple accident, comme si tuer un innocent à cause de quelques verres de trop n'était qu'un acte anodin. 

Mon père était mon pilier, celui qui me rattachait au monde, qui me faisait vivre. Après que ma mère nous ait abandonnés, ma relation paternelle s'était renforcée. Nous sommes devenus très complices.
Quand mon père n'était pas à l'usine ou dans son bureau, nous passions autant de temps possible ensemble, à sortir, regarder de vieilles photos ou nous essayer à la peinture.
Depuis qu'il n'est plus là, je passe mes journées sur le canapé devant la télé ou dans le jardin avec Chuck, Margaux ne vient que trois jours dans la semaine. J'essaye de combler le vide mais le temps défile et je dois penser à mon avenir, celui qui me file déjà entre les doigts.

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A la fin de l'enquête qui avait été déclarée sans suite, j'avais perdu les pédales. J'avais quitté le lycée, les collègues et les investisseurs de mon père prenaient la place de mes amis, qui eux ne comprenaient pas ce qui se passait dans ma vie. Je ne leur en ai jamais parlé. Ils me connaissaient sous le nom de ma mère, Brughel, et non Stanford, le nom du père d'une jeune fille de 16 ans, assassiné. Les "amis" de mon père voulaient s'assurer que l'héritage (et donc potentiellement leur prime de fin d'année) était bien placé et sous réserve jusqu'à ma majorité, ils passaient à la maison environ deux fois par mois, prétextant une simple entrevue. Mais je savais parfaitement que dès qu'ils passaient le seuil de la porte, ils envoyaient un message au vice-PDG, que je ne peux pas encadrer. Il ne supportait pas qu'une gamine de même pas 20 ans puisse détenir une fortune dis fois plus lourde que la sienne.

Trop arrogant, trop prétentieux pour faire l'hypocrite devant moi, Rayner - de son nom - préférait déléguer cette tâche à des hommes qu'il disait moins "occupés". Il envoyait ses sbires, tous des lâches qui travaillaient pourtant avec mon père avant, et qui il y a encore quelques mois, me réclamaient des dossiers et des codes confidentiels.

C'est quand j'ai réalisé que maintenant ma vie ne serait plus jamais pareille que j'ai voulu arrêter les dégâts. Margaux, elle, était là ; elle m'avait relevé, elle qui n'avait pas eu plus de chance que moi dans la vie. Elle a remarqué ma dépression, les idées noires qui fréquemment me traversaient l'esprit. A 17 ans je me retrouvais à l'hôpital, tellement épuisée qu'on avait dû m'hospitaliser, et me prescrire des antidépresseurs. En quatre mois, j'avais repris huit kilos, de l'assurance et une meilleure mine. Ca a été mon nouveau départ.

De retour chez moi, j'envisageais la vie avec une positivité que je ne me connaissais pas. Aujourd'hui je me demande encore comment je suis revenue de là, laissant derrière moi toute la souffrance de mon adolescence pour me tourner vers l'avenir qui m'attend.

Mon père a sa place dans mon coeur et jamais rien ne la lui prendra. Et je dois avancer, avec mon passé, dans mon présent et pour mon futur.

Invincible pour toujoursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant