Chapitre 2

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Le lendemain était un samedi, heureusement d’ailleurs car Elisabeth était épuisée. Elle resta longtemps étendue sur son lit, à tourner et retourner ces trois petites phrases qui la bouleversaient tant. Tant de questions se bousculaient dans sa tête ! Elle chercha alors ce qui lui permettrait de se calmer : un petit cahier bleu nuit en cuir relié, que ses parents lui avaient offert pour le dernier noël qu’ils avaient passé tous ensemble. Sur la couverture la gravure, qu’ils avaient choisit pour elle, était toujours là :

« A Elisabeth, notre fille chérie, pour qu’elle n’oublie jamais que les mots sont la plus puissante des armes ».

   Elle caressa machinalement l’inscription puis l’ouvrit. Depuis le jour où elle l’avait reçu en cadeau, elle y avait transcrit tout ce qui lui passait par la tête : des poèmes dont elle était l’auteur ou non ; des histoires qu’elle n’avait jamais terminées ou encore des citations qu’elle ne voulait pas oublier. Elle feuilleta le petit livre jusqu’à tomber sur la citation qu’elle recherchait : 

« Pour être hanté, nul besoin de chambre, nul besoin de maison, le cerveau regorge de corridor plus tortueux les uns que les autres, Emily Dickinson. »

   Cette femme avait le don de trouver les mots justes pour décrire ce qu’elle ressentait. Attrapant son vieux stylo fétiche, elle écrivit bientôt frénétiquement.

Même la mort finit par se lasser,

De toutes ces âmes torturées,

 

Je déploierai bientôt mes ailes,

Comme les magnifiques hirondelles,

 

Je m’envolerai alors,

Loin du crépuscule, vers l’aurore,

 

Oubliant les malheurs, oubliant tout,

Tout de ma vie, tout de nous.

   Elle signa comme toujours ces quelques vers avec un E majuscule et entreprit de le décorer de petites plumes grises et blanches. Quand elle remit son cahier à sa place, elle se sentit apaisée. Jouissant de ce nouvel état d’esprit, elle se prépara puis profitant de l’absence de sa grand-mère prit la route en direction de la seule librairie de la ville : Chez Altman, de père en fils

   Elisabeth adorait cette boutique et même si la devanture aurait bien besoin d’un bon coup de peinture, l’intérieur était magique. Des livres s’étalaient partout, les petites allées cachaient toujours un trésor ; la lumière tamisée rendait l’endroit chaleureux et les propriétaires un peu farfelus étaient toujours prêts à vous aider.

    Monsieur et Madame Altman était un heureux couple d’une soixantaine d’années, assez petits et portant tous les deux des lunettes rondes. Madame Altman portait toujours des robes sobres mais avec des collants aux couleurs étonnantes, un vrai feu d’artifice à elle toute seule. Monsieur Altman, lui, ne quittait jamais ses bretelles rouges, bien visibles au-dessus de sa chemise. A chaque fois qu’elle les voyait, Elisabeth ne pouvait s’empêcher de faire un rapprochement affectueux avec les personnages fictifs de Twiddel Dee et Twiddel Dum. Ces deux frères jumeaux étranges mais courageux dans le roman d’Alice au pays des merveilles. Ce conte que sa mère lui lisait parfois le soir avant de s’endormir. 

   Le couple connaissait très bien Elisabeth, car elle leur rendait visite très souvent, pour acheter au gré de ses envies, poésie, romans ou polar. Mais aujourd’hui Elisabeth avait une tâche précise à accomplir : elle venait acheter les livres figurant au programme de ces deux cours de littérature. Madame Altman, comme à son habitude, vint la saluer et lui proposa gentiment son aide, qu’Elisabeth accepta avec reconnaissance.

A tire-d'aile (complet)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant