Louisiane 97

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Je suis très friand de récits un peu macabres et de faits divers exceptionnels. En l'occurrence, l'histoire que je voudrais vous rapporter, qui m'a particulièrement marqué à l'époque malgré mes lectures habituelles, se déroule en Louisiane, dans une petite ville à quelques kilomètres au sud de la Nouvelle-Orléans, au bord des mangroves, entre le 27 décembre 1996 et le 31 janvier 1997.
Un ami, avec qui je suis d'ailleurs toujours en contact, était parti là-bas dès la fin de ses études, en juin 1996, afin d'étudier la faune si particulière du delta du Mississippi. Il avait déjà fait un petit tour de quelques semaines au Pérou et en Colombie deux ans auparavant, donc autant dire que la chaleur, l'humidité et les moustiques ne le dérangeaient pas plus que ça. Étant au courant de ma fascination pour l'actualité morbide, il m'envoyait régulièrement, entre deux cartes postales, des articles découpés directement depuis les pages faits divers du Times-Picayune. J'ai reçu l'article suivant en janvier 1997, daté du samedi 28 décembre 1996. J'ai essayé de le traduire pour vous :


« Vendredi matin, à [j'ai supprimé le nom de la ville, mais ceux qui cherchent n'auront aucun mal à le retrouver], le réveil d'un homme de cinquante ans s'est transformé en cauchemar quand celui-ci a constaté qu'il avait été amputé d'une jambe pendant la nuit. La victime témoigne : Je sortais d'un sommeil profond, je n'avais absolument pas mal. Je dormais sur le côté, et quand j'ai ouvert les yeux, j'ai vu la jambe coupée sur le tapis, à quelques mètres du lit. Je n'ai pas tout de suite réalisé que c'était la mienne, je croyais que j'étais encore en train de rêver. Mais à mesure que je devenais plus lucide, j'ai commencé à paniquer. J'ai essayé de me relever, et c'est à ce moment que j'ai compris qu'il me manquait quelque chose. Le quinquagénaire a été découvert par son fils quarante minutes plus tard, et immédiatement pris en charge par le service d'urgence de l'hôpital [je supprime encore, désolé]. L'amputation semble avoir été réalisée par un chirurgien professionnel, ayant utilisé du désinfectant et de l'anticoagulant avant de bander le moignon. Les médecins du service d'urgence n'ont presque pas eu à prodiguer de soins supplémentaires, et se sont contentés d'administrer de fortes doses d'analgésiques à la victime. La police rapporte que le domicile de cette dernière ne présente aucune trace d'effraction. »

Cette nuit-là, j'ai eu un peu de mal à dormir, je dois l'avouer. Mes souvenirs de l'époque sont assez flous, mais je crois que j'essayais de m'imaginer ce que pouvait provoquer la vision d'une jambe arrachée au pied du lit, baignant dans une mare de sang. À plusieurs reprises au cours de la nuit, je tâtais mes cuisses pour vérifier qu'elles étaient encore là. Et j'ai fait tout une série de cauchemars dans lesquels je me faisais découper en morceaux dans mon lit par des créatures étranges et des silhouettes inquiétantes.
J'ai fait part de mon intérêt pour cette affaire à mon ami, et celui-ci m'a envoyé dès la semaine suivante deux nouveaux articles, datés respectivement du samedi 4 janvier 1997, et du vendredi 11 janvier de cette même année :

« L'affaire de l'amputation mystérieuse se poursuit. La semaine dernière, un homme de [Nom de la ville, encore] se réveillait amputé de la jambe gauche à son domicile. Hier matin, le même homme, pourtant toujours à l'hôpital, où il poursuit sa convalescence et où il s'apprêtait à commencer, d'ici quelques jours, ses premiers exercices de rééducation, s'est à nouveau réveillé avec une jambe en moins. Comme la première fois, l'opération a été menée de manière quasi-professionnelle, écartant tout risque d'hémorragie, et le pronostic vital n'est pas engagé. Les infirmières qui étaient de garde rapportent qu'elles n'ont vu personne, ni entendu quoi que ce soit au cours de la nuit. La victime n'a pas voulu s'exprimer. »

« Suite à sa seconde amputation nocturne, [le nom du mec, il commence à devenir célèbre], 50 ans, habitant de [la ville], avait été placé sous protection policière. Deux agents des forces locales, armés, se succédaient afin de garder la porte de sa chambre, à l'hôpital [Supprimé]. Pourtant, ce matin, [Nom du mec] a été une nouvelle fois retrouvé amputé d'un membre. Ses cris ont alerté son garde du corps et le personnel de l'établissement. Le bras droit a été sectionné et posé sur une table à quelques mètres du lit du patient. La blessure est comme à l'habitude parfaitement bandée, désinfectée et coagulée. Rappelons que [Nom du mec] subit depuis trois semaines, chaque vendredi matin, l'horreur d'une nouvelle amputation. La police ne privilégie aucune piste pour le moment, bien que le caractère criminel de ces actes ne fasse aucun doute. »

Nous avons longtemps conversé de l'expérience horrible de cet homme avec mon ami, cherchant à comprendre quel pouvait être le profil psychologique du « chirurgien fou » (c'est comme ça que nous l'avions surnommé), ou comment il avait pu faire ce qu'il avait fait au nez et à la barbe de la famille, des infirmières et de la police. Bien sûr, mon ami épluchait les pages faits divers du Times-Picayune, curieux de connaître le destin de la victime, mais aucun autre article n'a paru en cette période. Il s'est aussi penché sur une presse beaucoup plus locale, notamment sur le journal de l'agglomération dont faisait partie la ville, théâtre de ces événements.
Je n'ai connu la fin de l'affaire qu'en février 1997, quand mon ami m'a envoyé la dernière et unique mention de l'homme amputé. En effet, son nom apparaissait dans la rubrique nécrologique du journal local, daté du 31 janvier 1997. Un vendredi. Ni lui ni moi ne savions vraiment comment interpréter cette information. Était-il décédé des suites de ses blessures ? De ce que la presse avait rapporté, c'était peu probable. L'autre option était malheureusement limpide. J'avais du mal à imaginer le calvaire qu'avait pu subir cet homme, surtout après m'être repenché sur la chronologie de l'affaire : depuis le 10 janvier, trois semaines s'étaient écoulées.

#Laura :)

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