Bonne Nuit.

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Quand j'avais une dizaine d'années, j'avais un rituel étrange. En fait, on pourrait même dire que c'était terrifiant et que j'étais complètement cinglée.


Pour tout expliquer depuis le début, j'avais des poupées en porcelaine. Certaines m'avaient été offertes et d'autres m'avaient été données par ma sœur. Quoi qu'il en soit, j'avais une peur bleue de ces poupées, j'étais terrifiée à l'idée qu'elles prennent vie pour me tuer. Bien sûr, avec le recul, ça semble totalement stupide. Pourtant, je vous assure qu'à l'époque j'en faisais des cauchemars, et j'étais incapable de les jeter ou de les mettre dans un carton à la cave, car j'étais persuadée qu'elles reviendraient pour se venger et que, tant que je les gardais dans ma chambre, je serais dans leurs bonnes grâces.

Bref, tout ça pour dire que j'avais donné un nom à chaque poupée (il y en avait huit au total) et que chaque nuit je leur disais bonne nuit individuellement avant d'éteindre la lumière. Puis, rapidement, j'ai eu peur que les autres objets de ma chambre soient jaloux, alors j'ai donné un nom aux figurines, aux peluches, etc. Et, chaque nuit, je passais au moins cinq minutes à leur souhaiter une bonne nuit.

Ça va vous sembler idiot, mais j'étais persuadée que si j'oubliais un soir, l'un de ces personnages se vengerait.

Un soir, après ce rituel – qui devenait de plus en plus ennuyeux, je dois l'avouer – j'ai éteint la lumière et je me suis cachée sous ma couette pour m'endormir (mais non, voyons, je n'étais absolument pas une petite fille paranoïaque...).

Puis, j'ai entendu un bruit étrange. Une sorte de grattement. J'ai allumé précipitamment ma lumière et, alors que je m'attendais à ce que le bruit s'arrête, il a continué. Tendant l'oreille, j'ai réalisé que le bruit venait du dernier étage de la bibliothèque où se trouvaient quelques unes de mes poupées en porcelaine. Le grattement s'est arrêté brutalement.

Sur le moment, j'étais persuadée que c'était l'une des poupées. Alors, je me suis demandé ce que j'avais fait de mal, si j'avais oublié de souhaiter bonne nuit à l'une des poupées... J'ai donc recommencé le rituel du début en expliquant aux personnages de ma chambre d'enfant que j'étais désolée si j'avais oublié de leur souhaiter une bonne nuit.

Toujours effrayée, j'ai éteint la lumière.

Le grattement a repris.

J'ai rallumé la lumière, la peur au ventre et, cette fois-ci, j'ai appelé mon père. Il est arrivé dans la chambre. Sur le coup, je me suis demandé si la poupée gratteuse se vengerait puisque j'avais fait appel à mon père, mais j'avais besoin d'être rassurée.

"Il y a du bruit là, en haut du mur", ai-je dit d'une voix tremblante.

Mon père m'a alors souri et s'est assis au bord de mon lit.

"Ne t'en fais pas", a-t-il dit. "Ça doit être un oiseau sous le toit, des fois ils passent par la chaudière et on les entend. Il a peut-être fait un trou sous les tuiles pour entrer dans le grenier. J'irai voir demain dans le tuyau."

Et comme tout enfant qui croit aveuglement ses parents, j'ai pu m'endormir, totalement rassurée.

Par la suite, j'ai repensé à cette histoire en me disant que j'avais dû être à moitié endormie et que rien n'était vraiment arrivé. Puis il s'est passé quelque chose de vraiment étrange. Quelques années plus tard, je suis montée dans le grenier pour chercher un jeu de société auquel on jouait avec mon frère quand j'étais plus petite. J'ai ouvert les cartons, je les ai déplacés afin d'accéder aux plus anciens et puis j'ai remarqué quelque chose sur le sol.

Il y avait une tache sombre sur les lattes du parquet, au moins aussi grande que ma main. Et aussi des marques assez profondes de griffures. Ça n'avait rien d'une griffure d'ongles humains, on aurait plutôt dit des griffes longues et pointues.

En essayant de me repérer dans l'espace de la maison, j'ai réalisé que c'était l'endroit où se trouvait ma bibliothèque, quelques années auparavant. Oubliant le jeu, je suis descendue voir mon père qui travaillait dans son atelier. Je lui ai raconté ce que j'avais vu et j'ai repensé à cette nuit, plusieurs années auparavant, et aux grattements que j'avais entendus.

Mon père s'est mordillé les lèvres et a eu l'air inquiet. Il a d'abord prétendu ne pas s'en souvenir et puis il m'a finalement avoué qu'il s'était immédiatement rendu dans le grenier, ce soir-là, car il n'était pas très tard – 21h, dans son souvenir – et qu'en ouvrant la porte, il avait senti un courant d'air et qu'il avait entendu un mouvement, comme si quelque chose était en train de pousser les cartons pour faire son chemin. Il a allumé la lumière mais il n'a rien vu. Il a un peu avancé dans le grenier puis il a enfin compris d'où venait le vent : juste au-dessus de ma chambre, l'isolant avait été déchiré et il manquait des tuiles au toit.

Il a immédiatement appelé la police et le lendemain, alors que j'étais à l'école, une agence est venue réparer le toit. Puis, plus rien d'étrange n'est arrivé, alors on en a jamais reparlé.

J'ai frémi d'horreur en imaginant ce qui avait gratté le parquet au-dessus de ma chambre cette nuit-là.


N'ayez pas peur 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant