Derniers Instants

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Souffle. Respiration. Air. Bouffée. Inspiration. Expiration. Soupir. Inhalation. A la fin de ma vie, que se passerait-il ? Pourrais-je faire de ses mots mes derniers instants ? Pourrais-je en avoir la faculté ? Que se passera t-il exactement ? Aurais-je un dernier soupir, ou serais-je en cours de sa création ? Aurais-je le temps de finir sa traversée ?
Tant de questions. Aucune réponse.



En ce Lundi matin, la jeune fille trépignait. Elle observait à travers la fenêtre blanche la venue de ses parents. Loin d'eux, enfermée dans cette prison de verre, elle ne pouvait qu'attendre, comme si son destin se résumait à ce verbe, attendre. Assise dans son fauteuil rouge, sa place habituelle, elle regardait le monde d'en haut. Elle ne savait plus si elle était vraiment sur Terre où si elle était déjà au ciel. Entre les deux, se répondait-elle, elle-même après plus mure réflexion. Cette chambre d'hôpital représentait avec exactitude sa situation. Coincée entre ciel et Terre, détenue loin des autres, ne se sachant plus réellement si elle était humaine. Comment en était-elle arrivée là ? Se demanda t-elle comme toujours. Cette question résonnait dans sa tête chaque jour, chaque heure et pourtant, avec le temps, elle ne trouvait jamais de réponse répondant clairement à son attente. C'étaient toujours les mêmes interrogations, toujours la même routine, toujours aucune solution à ses propres énigmes. Chaque jour elle retentait, n'abandonnait jamais cherchant ses erreurs dans ce qu'elle avait fait la veille.


La réponse apparût d'un coup, du moins l'alternative, lorsqu'elle vit un oiseau s'élancer tout droit sur sa fenêtre puis glisser le long. Elle le regarda entrer en contact avec le sol, se demandant à elle-même qu'elle était sa destinée, était-il seulement encore en vie ? Ou avait-il rejoint le ciel en quelques secondes ? Avait-il vu venir sa mort ? Soudain, alors qu'elle continuait de porter son regard sur lui, cherchant le moindre mouvement, l'idée germa. Abandonner. Se laisser échouer tel un habitant des mers décédé, sur la plage, se laisser mourir, arrêter de se battre. A quoi bon essayer de combattre lorsque l'on en a pas les capacités ? Ce serait comme foncer droit dans un mur sans protection, ce serait laisser une jeune fillette de dix ans se battre contre un homme de vingt ans. Impossible. Elle le savait, depuis le début les signes étaient là mais elle les avait simplement ignorés, refusant d'y croire. Comment croire à une guérison improbable ? Comment croire à sa propre mort ? Comment voir son propre monde s'écrouler et ne se laisser aucune chance de le rebâtir ?


Marine, c'est impossible, pensa t-elle, tu fonces littéralement droit dans le mur. Pourquoi chercher à continuer à te battre si tu en es dans l'incapacité ? Pourquoi ne pas déclarer forfait et arrêter de croire en tes rêves incertains ? Elle avait toujours refusé d'y croire, elle se frayait des fausses idées, présumant que si elle se le répétait encore et encore cela finirait par se concrétiser, par se réaliser. Aujourd'hui, elle devait faire face à la réalité, elle suivait depuis son entrée ici, un mirage, quelque chose qui la menait par le bout du nez et qui la trompait, quelque chose de faux.


La porte de sa chambre blanche s'ouvrit calmement, représentant son entrée vers son futur, son entrée vers ses quelques instants futuristes, cette porte lui amenait de quoi concrétiser, le départ de son idée. Elle plongea ses yeux sur le regard fatigué de sa mère, Prudence, qui à tout juste 45 ans avait le visage cerné et ridé par le problème de sa fille. A cet instant, Marine eu pitié d'elle, pitié qu'elle aussi suive un rêve irréalisable. Les cheveux frisés et abîmés de sa mère semblaient ne pas avoir étés coiffés depuis des semaines, comme si sa mère en avait oublié l'existence. Prudence, son café à la main s'assit sur le lit de sa fille tentant tant bien que mal de ne pas le renverser. Un instant, Marine se demanda ce que deviendrait sa mère, arriverait-elle à l'oublier ou pire à lui pardonner ? Prudence bût une gorgée de sa boisson enveloppée dans un vulgaire morceau de carton, elle se brûla les lèvres mais ne sembla pas s'en soucier. Elle ne se préoccupait que d'une chose, plutôt que d'une personne, sa fille, Marine, dont l'état s'aggravait de jour en jour, dont le traitement ne fonctionnait pas et dont les espoirs faiblissaient à chaque nouvelle visite. Doucement, elle entrouvrit la bouche, tentant d'y sortir une phrase d'excuse, à la place, elle offrit à Marine des informations inutiles.

- Il fait froid aujourd'hui, encore plus que d'habitude, il neigera ce soir, tu te souviens comme tu aimes la neige, Marine ?

Evidemment, Marine s'en souvenait, comment aurait-elle put oublier ces choses dont elle raffolait avant mais qu'elle ne pouvait plus toucher à présent ? Comment oublier que depuis son plus jeune âge, jusqu'à ses 14 ans, année où son corps avait arrêté de lui dire oui à tout, elle courrait sur les surfaces blanches, comment oublier qu'elle perdait dans ces moments-là toute sa maturité ? Comment oublier qui elle était avant ? Comment se défaire de cette image paisible dont elle était dotée auparavant ? Comment laisser son ancienne vie de côté ? Marine ne répondit pas.

- Ton père et Marie sont au distributeur de café, ils ne se sentent pas très bien.

Marine repensa au visage de sa soeur Marie, étudiante en deuxième année en fac de lettres, qui essayait tan bien que mal à jongler entre les cours et les visites à l'hôpital. Elle s'enquit, Marie avait-elle seulement le temps de voir sa meilleure amie Lola et son petit ami Léo ? Il était évident que non. Marine coupait les ponts avec tout son entourage pour passer ses des derniers instants avec sa petite soeur, malade depuis quelques années. L'étudiante ne s'était pas fait de faux espoirs, elle était lucide, intelligente et ne croyait pas aux fins heureuses. Depuis toujours, les deux soeurs s'étaient entendues à merveille, malgré leur caractère différent -Marie était sérieuse tandis que Marine aimait faire la fête- elles s'aimaient. Elles ne pouvaient imaginer un monde l'une sans l'autre, elles ne pouvaient tenter de rebâtir leur univers sans l'autre, que deviendrait Marie, elle, qui avait juré que si sa soeur cadette venait à quitter ce monde, elle le quitterait avec elle ? Pourrait-elle se reconstruire et oublier ses pensées qui menaient toutes au suicide ? Serait-elle se débrouiller, seule sur cette Terre, sans une soeur pour la taquiner ou gravir les marches de la vie avec elle ? Marine ne sût alors plus quoi penser. Elle ré-offrit un coup d'oeil à l'oiseau, presque écrasé sur le sol. Sa perte avait-elle changé la vie à quelqu'un si ce n'est à la jeune fille de l'hôpital ? Non, alors pourquoi doutait-elle ? Elle se racla la gorge, tourna son regard vers sa mère pour la première fois depuis que celle-ci s'était installée à ses côtés et dit :

- Maman, je veux mourir.

Derniers InstantsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant