Prologue

199 14 6
                                    

« Aéroport, aérogare et pour tout l'or m'en aller. » Mylène n'aurait pas pu choisir de mots plus appropriés. La foule en mouvement perpétuel devant moi, une valse savante de mélange de genres et de gens. Tout âge, nationalité, genre et style en parfaite coordination. D'autres reviennent, certains repartent, et les derniers attendent. Un peu comme moi. Je reviens pour repartir et j'attends que l'on m'attende quelque part. L'époque de l'enfance est révolue. J'aurai dix-neuf ans dans exactement six jours. Et pour la première fois depuis cinq ans, ma mère ne sera pas là. Elle reste en France à cause de son boulot dans une boîte de production mondialement reconnue. Alors je vais passé l'été en famille, chez mon père. Je suis enthousiaste à l'excès. La dernière fois qu'il m'a vu remonte à trois ans. Et je ne ressemble plus à la petite fille ronde qu'il a laissé partir à bord d'un avion pour Paris. Assise en tailleur à même le sol, je regarde le balai incessant du monde vivant. Le casque sur mes oreilles, la musique colle parfaitement à leurs mouvements. Je souris pour moi et je dessine sur mon calepin des visages, des expressions, des sourires, des larmes. Le genre humain me fascine autant qu'il m'effraie. Je pars pour la Floride cet été. Je n'y ai pas mis les pieds depuis tellement longtemps que j'ai peur de m'y perdre. L'immensité de ce monde et toutes ses ouvertures me donnent le vertige. Je suis une véritable aventurière au cœur tendre. Je pourrai parler d'amour et de romantisme pendant des heures et dans la seconde d'après prendre la ville d'assaut sous mes pas en grimpant sur tous les obstacles qui se dressent sur mon chemin. Ma ville va me manquer pendant ces longs mois. Je la connais par cœur pour avoir escalader et arpenter ses monuments et ses rues. J'ai des amis à Tallahassee, on a gardé contacte malgré la distance. Et surtout mon père, mes frères et sœurs, et ma belle-mère sont là-bas. Il me tarde de les voir malgré cette appréhension qui me gagne. Je suis partie en tant que petite fille mal dans sa peau, je reviens en jeune femme sûre de moi. J'ai validée ma première année de licence en Sciences Humaines et Sociales à l'Université Descartes. J'envisage de devenir interprète ou traductrice. Je suis parfaitement bilingue. Ai-je oublié de mentionner que mon père est une ancienne rock star qui est maintenant un pionnier dans la découverte et le lancement de jeunes artistes ? Je regarde l'heure, mon avion devrait arriver d'une minute à l'autre. Je ramasse mes feuilles éparpillées autour de moi et mes crayons. Et époussette mes vêtements. Larry vient à ma rencontre. Il était au service de ma famille bien avant ma naissance. Sa démarche sûre, son port de tête droit, sa coupe courte limite militaire et son regard alerte. Il n'a pas changé, si ce n'est quelques cheveux gris en plus. Il peut paraître déstabilisant et froid la première fois qu'on le rencontre, en vérité c'est un cœur d'artichaut. Sa carrure fend la foule avec aisance, ce constat me fait sourire. Il est impressionnant autant par sa taille que par son allure, et les gens se décalent quand il arrive à leur hauteur. Appuyée à la vitre derrière moi, je lui fait un signe de la main. Il écarquille les yeux de surprise et je me jette dans ses bras en riant.

- Bonjour oncle Larry !

- Tu as tellement grandi ! Une jeune fille aussi jolie ne devrait pas rester seule dans un endroit pareil.

Je souris d'avantage entre les bras de mon oncle par adoption. Il a toujours été très protecteur envers nous. Un homme ours au cœur de guimauve. Il attrape mon sac à dos et pose une main sécurisante sur mon épaule.

- Tu es venu seul ?

- Tu connais ton père. Je te mentirai si je te disais qu'il n'y a pas de fête qui t'attend là-bas pour ton arrivée.

Évidemment, dès qu'il s'agit de faire du bruit et de pousser les enceintes à leur maximum,mon père est toujours partant. Une pointe de déception obscurcie mon euphorie. Maman n'est pas venue me dire au-revoir. Elle sait à quel point elle est tout mon monde, et que j'appréhende ce départ comme si il s'agissait d'une épreuve orale du Baccalauréat. Je jette un coup d'œil aux alentours mais je ne la voit pas. Larry me sourit tendrement et nous nous dirigeons vers un terminal en retrait. Avant de franchir la porte, des bruits de talons martèlent le sol. Ma mère, à bout de souffle, traverse le hall à une vitesse folle. Je cours dans sa direction, elle est venue.

- Mon bébé ! Tu vas tellement me manquer ! Promets moi que tu prendras soin de toi !

- Je te promets maman. Tu vas me manquer encore plus.

Nos yeux brillants de larmes se croisent, la dureté de ses iris marrons fond comme du chocolat sous l'émotion. J'aime cette femme plus que tout au monde,et je pourrai décrocher la galaxie en entier pour elle. Mon maintien, mon soutien, la plus belle partie de moi. Une chance, qu'à leur divorce, mes parents soient restés en bon termes. On peut circuler entre Paris et Tallahassee quand le cœur nous en dit.

- Embrasse tes frères et ta sœur pour moi. Et salue ton père et Mary aussi. Je te rejoins dans deux mois. Deux mois ma puce.

- Les plus longs de ma vie. Je t'aime tellement, maman.

On s'étreint encore une dernière fois, laissant nos larmes exprimées nos émotions respectives. Elle salue Larry et me glisse une petite boite dans la poche de ma veste.

- Ouvre la quand tu seras dans l'avion. Fais bon voyage, ma chérie.

Je la presse une dernière fois et tourne les talons vers le jet privé spécialement de sortie pour me faire traverser l'océan. Larry adore maman. Ils se connaissent depuis toujours, et je ressens son émotion à chaque fois qu'ils se rencontrent. Comme des frères et sœurs. Le jet est,comme d'habitude, rutilant et sobre à la fois. Tout en bois et en cuir crème sur les sièges. Je m'installe sur l'un d'eux, côté hublot. Une hôtesse me propose un rafraîchissement, je commande un Coca. Elle est chaleureuse et son sourire illumine son visage mate. Une jolie fille.

- Tu as tout ce qu'il te faut ? Me demande Larry

- Oui, tout va bien. Un peu nerveuse.

Il hoche doucement la tête, quand l'hôtesse m'apporte ma boisson, suivie de prêt par le commandant et le pilote, qui nous salue à leur tour. Je déteste la sensation des avions qui décollent, comme si le sol ou le ciel allait nous aspirer tout entier. Alors je ferme les yeux, et ouvre la boite de ma mère. Une chaîne en or blanc, finement ciselé, avec un pendentif en forme de cage avec un cœur en diamant incrusté dedans. Sur la carte est inscrit « La chance n'est pas pour toi, tu en as déjà. L'amour oui. Je t'aime. » Je pleure à chaude larmes. Elle me manque déjà alors que Paris rétréci de plus en plus sous mes yeux. Tallahassee, me voilà !

Délictueux [En Pause] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant