Chapitre V

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Gavin

Elle est là. Dans ma tête, dans mes nuits. Putain, elle est partout. C'est en train de me rendre dingue. J'aurai jamais dû y aller. Quelle connerie. Fidèle à elle-même, sa seringue enfoncée dans le bras, à moitié crevée. Comment elle fait pour rester vivante avec toutes ses merdes qu'elle s'injecte ? Je l'ai envoyé en cure, elle s'est tirée. J'ai payé des putains de psy à la con pour l'aider, je l'ai même rapproché de moi pour ne plus qu'elle soit seule. Rien à foutre, elle reste possédée par ses putain de fantômes. J'aurai dû rester avec Angus et me bourrer la gueule à l'anniversaire de sa connasse de sœur. Je lui aurai pourri la gueule et je me serai senti bien mieux. J'ai encore fini ma soirée aux urgences, encore pour une overdose. Encore et encore. Je suis resté avec elle jusqu'à ce matin et j'ai exigé qu'on ne la fasse pas sortir tant que cette merde était encore dans ses veines. Elle doit rester là-bas trois semaines, et je jure que si elle se tire avant, j'irai personnellement la chercher et je l'attacherai moi-même dans ce putain de lit. Si j'étais allé à cet anniversaire de merde, elle serait morte. J'aurai pu haïr d'avantage cette grosse conne d'Alison. Putain, j'aurai pu la descendre si facilement, la démolir, pour me faire me sentir mieux. Au moins, elle serait repartie à Paris et je ne l'aurai plus jamais revue, cette grosse vache. Le soleil se lève et j'ai à peine dormi du week-end. Elle est endormie dans ce lit d'hôpital qui la rend si frêle. C'est comme si l'établissement tout entier l'avait avalé. Comme si son âme avait été englouti par l'héroïne. Je me sens inutile et à côté de mes pompes, comme à chaque fois. Putain, je le fais tellement souvent que c'est devenu une habitude. Ramasser sa carcasse à moitié momifiée et la foutre dans un hôpital privé. Obligé de prendre des noms d'emprunt pour pas qu'on me casse les couilles. L'anonymat est primordial, et je ne veux pas qu'elle soit en première page de toutes ses putes racoleuses de paparazzis. Je lui dois. C'est marrant comme la vie vous fait prendre des chemins différents quand la désillusion vous tiens compagnie depuis toujours. Je la regarde dormir, elle semble paisible. Je sais que quand elle se réveillera, elle sera tenaillée par la douleur. Je l'ai tellement vu, tellement subit. Aujourd'hui, je ne peux pas rester. J'ai rendez-vous avec les gars du groupe pour mettre en place la tournée pour la promotion de notre disque. Il faut que je me bouge le cul. Elle sait que c'est moi qui l'ai emmené ici. Et je sais qu'elle va me promettre d'arrêter, qu'elle va guérir. Comme à chaque fois. Putain. Elle m'a appris une chose inébranlable, ne jamais promettre. Pas de promesse, pas d'engagement, pas de déception. Le miroir de la salle de bain me balance un reflet dégueulasse avec les néons blancs. Mes cernes sont encore plus prononcées que d'habitude. Ma barbe de trois jours ressemble plus à une sorte de paillasson et mes cheveux sont complètement décoiffés à force de passer ma main dedans. Putain, le pire c'est que je ne suis même pas en colère. Je devrai l'être parce que ça me les brisent royalement ce rituel de merde. Mais, non. Je suis apathique, complètement détaché de tout ça. Et pourtant, une douleur sourde rythme les battements de mon cœur. Une rengaine qui revient deux à trois fois par an. Une rengaine qui dure depuis trop longtemps. Je suis incapable d'y mettre fin et de la laisser tomber. Je ne peux pas. Est-ce que j'y parviendrai avant de me perdre ? J'en sais foutrement rien. Je pense pas pouvoir le faire un jour. L'eau fraîche sur mon visage me réveille légèrement, ce n'est pas le coup de fouet de folie mais ça ira. Sans oublier le nombre de café infâme que j'ai du ingérer. Je n'ai même pas essayé de baiser l'une des infirmières tellement je suis à côté de mes pompes. Elles ne sont mêmes pas excitantes alors ça m'aide. Je n'arrive pas à penser correctement avec toutes ces merdes dans ma tête. Je retourne dans cette chambre sans vie où les bips des machines brisent le silence. Il faut que je me casse, je vais devenir cinglé si je reste ici. Ça me tue à petit feu comme cette merde dans ses veines. Elle est tellement petite et faible dans ce lit, sa maigreur me colle la nausée. Je ne sais même pas pourquoi je culpabilise, putain. C'est pas moi qui lui y est collé cette seringue de merde dans le bras. Ses cheveux sales et emmêlés s'étalent sur l'oreiller immaculée. Le noir de ses cheveux tranche nettement sur le tissu. Ce n'est même pas ce qui me choque le plus. Ses cernes trop larges, trop foncées, trop creusées et ce violet trop prononcé qui lui bouffe le visage. Le même violet que sur ses veines éclatées par ses piqûres trop fréquentes. Elle est comme un fantôme, une partie d'elle déjà morte. Je pose un baiser qu'elle ne sentira pas sur son front blanchâtre. J'ai peur de la briser si je la prends dans mes bras. Alors je l'effleure aussi légèrement que possible. Je reviendrai la voir ce soir ou demain. Mais je reviendrai. Il faut qu'elle soit lavée aussi. Si les infirmières ne le font pas, je le ferai moi-même. Comme d'habitude. J'ouvre doucement la porte et me retourne.

Délictueux [En Pause] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant