Chapitre 6

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Le jour pointait le bout de son nez comme il le faisait chaque matin, mais aujourd'hui, c'était un autre jour: c'était le premier jour d'automne. Étrangement, les feuilles n'étaient pas encore tombées; elles refusaient totalement de quitter leur branche. Puisqu'Amaryllis ne fêtait ni Noël, ni Pâques, ni Hanouka, ni rien, elle avait décidé de fêter les Saisons. Chaque saison avait une certaine signification pour Amaryllis: le printemps représentait la naissance, l'été représentait l'enfance, l'automne signifiait l'adolescence et l'hiver représentait l'âge adulte. Aujourd'hui, c'était l'automne: l'adolescence. Elle voulait vraiment chercher les autres pierres et ainsi voir ce qui arriverait. C'était son objectif. Doucement, Amaryllis ouvrit la boîte à musique et regarda dans le miroir. Son reflet n'était pas là, comme lors de la première fois qu'elle l'avait ouverte. C'était décourageant, mais de ne pas savoir la couleur de ses yeux, c'était ce qui la désespérait le plus. Les pieds trempés dans l'eau cristalline du lac, Amaryllis chantait. Le bruit assourdissant de la chute n'arrivait pas à la faire taire. Tout à sa mélodie, Amaryllis regardait les feuilles jaunies des hêtres. C'était serein. Derrière elle, elle sentit une présence désormais familière.  En se retournant, Amaryllis ne fut pas surprise d'apercevoir une nouvelle Muse avec qui elle engagea cette fois elle-même la conversation.

Aujourd'hui, c'est le premier jour d'automne. C'est très important pour moi.
Ça l'est pour moi aussi, dit la Muse.

    Amaryllis remarqua que cette fille ne ressemblait pas vraiment aux autres. Au lieu d'être souriante et gaie, elle était très sérieuse. Sa voix était forte et imposante, on aurait dit une actrice. Elle avait les yeux tout blancs et la pupille noire, flottant dans ce qui semblait être une absence d'iris.  Elle portait la même toge blanche que les autres Muses, mais elle y avait ajouté un long voile blanc qui s'étendait du haut de sa tête jusqu'au sol.  On aurait dit un voile porté par les femmes nouvellement mariées.  Comment Amaryllis aurait aimé porter une aussi belle parure!

Je suis Polymnie. Suis-moi.

    Amaryllis la suivit sans poser de question jusque dans la grotte et s'assit près de son petit Wapi, ce dernier s'endormant au moindre rayon de soleil.

Tu as trouvé le livre, commença Polymnie.
Oui. Mais je ne sais pas le lire; c'est un peu embêtant.
La lecture et l'écriture sont des arts. Si tu veux, je peux t'en montrer la base, proposa Polymnie.
Eh bien... pourquoi pas? Aujourd'hui, c'est le jour pour moi d'apprendre et de devenir plus adulte, alors pourquoi ne pas commencer par la lecture?
Tu es beaucoup plus intelligente que tu ne le crois. Tu feras de grandes choses, Amaryllis.

    La Muse fit apparaître le livre sur l'Olympe qu'Amaryllis cherchait plus tôt. C'était mystérieux, mais la jeune fille s'était habituée aux merveilles réalisées par ces Muses. Polymnie tourna délicatement les pages jusqu'à celle traitant des Muses Piérrides. Elle sourit en effleurant le dessin d'une des Muses portant une couronne de myrtes.

Qui est-ce? demanda Amaryllis.
C'était Érato. Elle est morte et c'est la raison des tensions dans le monde des dieux.
Elle était une Muse importante?
Non.  Elle était juste vraiment au goût de certains dieux...
Oh. Comment est-elle morte? demanda Amaryllis en gardant un ton bas.
Elle est morte, c'est tout. Elle était l'une de mes soeurs, c'est pour cela qu'il m'est difficile de raconter son histoire.
Les Muses ressentent aussi des émotions, comme les humains? Enfin, je veux dire... Vous êtes humaines, n'est-ce pas?

    Polymnie rit d'un rire léger.

Tu en sauras davantage bien assez tôt.

    Elle serra les dents, en signe de frustration. Amaryllis en avait assez de ne pas avoir de réponses claires. Elle jeta un oeil à la boîte à musique qu'elle tenait dans ses mains et ça lui donna une idée.

Dites-moi la couleur de mes yeux, dit-elle d'un ton soudainement impératif.

    Polymnie prit un air troublé.

La couleur de tes yeux...?
Oui. Ils sont de quelle couleur? Répondez, j'en ai vraiment assez de cette intrigue. Pourquoi le miroir dans la boîte ne les reflète pas?

    Polymnie avait l'air de se sentir intimidée, mais sa voix puissante la rendait peu impressionnable.

Les humains savent qui ils sont, mais toi, tu n'en as aucune idée.
Mais je suis humaine! Comme les Autres!  protesta-t-elle au bord des larmes.
Alors, pourquoi n'es-tu pas allée vivre avec eux, dans leur village?

    Amaryllis resta sans mot. Elle ne savait plus quoi dire.

Ils... je... c'est que...
Parce que tu n'es pas comme eux. Tu es spéciale et tu le découvriras bientôt. Sois patiente.
Mais... et mes yeux?
Je ne peux te le dire pour l'instant, je m'excuse; mais, si tu veux bien, continuons notre étude.

    La jeune orpheline se tut. Elle avait honte du ton qu'elle avait employé pour s'adresser à Polymnie. Après tout, la Muse était plus âgée qu'elle.

Elles étudièrent les mots, les phrases, les syllabes et les lettres muettes jusqu'au moment où, le soir tombant, Wapi se réveilla. Polymnie le caressa doucement et ils devinrent vite amis. Amaryllis était reconnaissante à Polymnie de lui enseigner la lecture et l'écriture, mais elle ressentait envers elle une puissante colère. Ce serait si facile de simplement lui dire «Verts», ou «Bleus», ou même «Bruns», mais la Muse semblait résolue à garder son secret.

    «Pourquoi tu ne me le dis pas, tout simplement? Tu ne sais pas ce que c'est que de ne pas connaître son identité! J'ignore comment je sais mon nom. Je le sais, c'est tout, c'est comme quelque chose que j'ai toujours su. Est-ce si difficile de comprendre combien le fait de ne pas savoir ce que je continue d'ignorer sur moi me trouble?»

Toute cette colère ne venait pas vraiment d'elle. Elle n'avait pas l'habitude de ressentir des émotions-là C'était vraiment une chose qu'elle n'avait jamais connue: la peur, l'envie, la colère, elle ne les avait senties qu'une seule fois dans sa vie: maintenant. Elle regrettait presque de ressentir ces émotions d'amertume envers une personne aussi gentille que Polymnie. Au moins, elle réussissait à le garder en elle et à continuer d'apprendre et d'écouter.

Puisque le jour était parti, la lumière l'était aussi. Il devenait de plus en plus difficile de lire dans l'obscurité, et quand la Lune apparut, Polymnie se leva prestement et sortit dehors. Amaryllis la suivit.

Tu es très douée en lecture, Amaryllis. Tu fais des progrès.
Merci. Mais qu'est-ce que je vais pouvoir lire à part la biographie des dieux Grecs?
Tu verras.

    La robe et le voile blanc de Polymnie s'illuminèrent sous la lueur lunaire.

Je dois partir...

    Amaryllis l'interrompit par une question.

Est-ce que je suis une Muse?

    Polymnie répondit sans hésitation.

Peut-être que oui, peut-être que non. Ton destin n'est pas encore tracé.

    «Le sixième secret est celui-ci: Provenant des Enfers, de la chaleur extrême, le diamant était charbon, mais plus maintenant. Ses formes reflètent l'éclat d'où il provient. Il est rare, c'est le plus précieux. Six sur neuf, il t'en reste trois à mériter.»

    La Muse passa son voile sur son épaule et elle s'évapora en lumière étoilée. Amaryllis se coucha doucement par terre et sombra dans les bras de Morphée.

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