Chapitre 8

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L'eau, à la fois glacée et chaude, lui frappait lourdement la tête, les épaules et le dos. Elle sentait la lourdeur de toute cette eau sur ses cuisses et protégeait Wapi du mieux qu'elle le pouvait sous ses bras et sa tête. La force avec laquelle elle s'était propulsée la fit sortir de cette douche rapidement. Quand elle leva les yeux, Amaryllis ne pensa qu'à une chose: Wapi. Elle regarda si Wapi avait été mouillé et se rendit compte qu'en réalité, malgré qu'il soit tout aussi trempé qu'Amaryllis, il faisait mine de beaucoup s'en amuser.  La jeune fille en rit.

«Quelle douche! Et dire qu'il va falloir y retourner pour rentrer!»

Alors qu'elle tentait tant bien que mal d'essorer ses cheveux et sa robe, Amaryllis vit qu'une des Muse l'observait avec un sourire heureux.

Amaryllis?
C'est moi, répondit celle-ci, toujours occupée à se débarrasser de l'eau en trop.
Je suis Clio, la Muse de l'histoire. Tu as trouvé le livre, la fenêtre ouverte et la chaloupe, à ce que je vois... Tu as froid?
Un peu.... Mon hérisson frissonne aussi, je le crains.

    Elle regarda Wapi qui s'ébrouait maladroitement, un peu surprise de continuer de lire sur son museau une gaieté inaltérable.

En fait, Wapi semble s'en tirer bien mieux que moi, se ravisa-t-elle.

Clio lui apporta une couverture de laine qu'elle mit sur ses épaules. Amaryllis se leva et sortit de la chaloupe pour mettre un pied sur le sol caillouteux de la grotte creusée derrière la chute. Ce sol semblait vraiment stable, et c'est précisément ce qui le rendait mystérieux. L'eau de la chute s'étendait sur quelques mètres au sol de la grotte, puis une sorte d'escalier permettait de monter vers la caverne aux murs peints de multiples couleurs formant un étrange arc-en-ciel. L'émerveillement s'empara immédiatement d'Amaryllis. Elle s'approcha des murs et effleura les dessins humains témoignant de toute l'histoire du monde, des hommes des cavernes aux Grecs antiques.

Il y a eu beaucoup de civilisations avant nous? demanda Amaryllis.
Des centaines. Tu ne peux même pas imaginer...
C'est vraiment incroyable! L'histoire de notre monde a l'air bien complexe, une fois étalée sur ces murs.
C'est ce qui la rend magique! continua Clio en frôlant les dessins de ses doigts fins.

    Amaryllis prit Wapi dans ses bras et le déposa sur un petit coin d'herbe, ce qui le rendit une nouvelle fois heureux. La jeune fille sourit en le voyant trépigner de joie.

Amaryllis, dit Clio, tu as rencontré sept Muses: Euterpe, Muse de la musique, Uranie, Muse de l'espace et du temps, Terpsichore, Muse de la danse, Thalie, Muse de la comédie, Melpomène, Muse de la tragédie, Polymnie, Muse de la rhétorique et moi, Clio, Muse de l'histoire. Tu es presque arrivée au bout de ta quête et c'est pour cela que j'ai le droit de te montrer la vérité.
La vérité? Vous parlez sérieusement? Je veux dire... voilà une éternité que j'attends ce moment! avoua-t-elle, toute excitée.
Je sais que c'est important pour toi, et c'est pourquoi je dois te mettre en garde; ce que tu vas voir risque de te faire peur autant que cela pourrait te faire sourire.
Je suis prête.
Très bien.  Je vais maintenant te raconter l'histoire... de toute l'humanité.

***
    Clio avait placé ses mains tout près des tempes d'Amaryllis et, tout de suite, cette dernière s'était sentie transportée dans le temps. Elle se voyait vivre toutes les époques et toutes les années passées depuis le début de l'existence des hommes. Elle entrevoyait des dragons sans ailes, le soleil, une météorite, de l'eau. Chaque seconde, une nouvelle période de la Vie lui apparaissait. La guerre, la douleur, la peur, les catastrophes, les extinctions. Les humains sous leur jour le plus horrible et le plus beau. Elle voyait des vêtements, des danses, des chants, des prières. Puis, elle vit une enfant. Une petite fille qui baignait ses pieds dans l'eau cristalline du lac. Amaryllis se revoyait quand elle avait trouvé sa maison, quand elle avait été obligée de voler de la viande à des renards roux. Elle se voyait grandir jusqu'au moment où elle était rentrée chez elle quand elle avait entendu la boîte à musique.

      Quand elle ouvrit les yeux, Clio était assise à côté de Wapi pour le caresser. Amaryllis était encore ébranlée; elle venait de voir la plus magnifique et la plus horrible des choses.  Son coeur battait encore à tout rompre, comme si elle venait de courir trois heures durant. Clio se leva et tendit un parchemin en rouleau à Amaryllis.

Il t'aidera pour la fin de ta quête, tout comme cette émeraude.

    La Muse lui tendit une magnifique émeraude d'un vert éclatant.

Merci... Je trouverai les neuf pierres. J'y suis déterminée à présent.
Tu as beaucoup évolué durant cette aventure, Amaryllis. Je suis contente que tu me fasses confiance.
Je comprends mieux à présent. Mais je n'ai pas fini: je trouverai la dernière Muse.
J'ai confiance en toi.

Pendant qu'Amaryllis rangeait le parchemin dans son sac et qu'elle mettait l'émeraude dans la boîte à musique qui contenait à présent sept magnifiques pierres, Clio s'approcha du mur au fin fond de la caverne et resta devant, sans bouger.

«Le septième secret est celui-ci: Elle a traversé le temps jusqu'à toi, façonnée par les dieux et les titans. Unique comme chaque seconde qui passe, pas une ne revient. Ton histoire, c'est à toi de l'écrire. Sept sur neuf, trouve les deux autres.»
   
    Amaryllis regarda la Muse de l'histoire passer fluidement à travers le mur peint. Clio ne jeta qu'un dernier sourire derrière elle avant de totalement disparaître. Amaryllis se remémora sa rencontre avec Euterpe et la façon dont elle avait posé ses pieds sur l'eau.

«Les Muses ont vraiment des pouvoirs incroyables!»

Un seul instant passa et Amaryllis se retourna pour revenir à la chaloupe. Mais celle-ci n'était plus là. Il n'y avait plus d'eau, plus de grotte aux murs colorés. Devant elle se dressait l'immensité de la forêt. Ses arbres majestueux étaient bel et bien ceux qui avaient bercé son enfance. Amaryllis jeta un coup d'oeil derrière elle. Elle y vit sa grotte fermée par les feuilles de lierre. Elle ne comprenait pas comment tout cela était possible, comment elle ait pu se retrouver chez elle alors qu'il y a à peine quelques instants elle se trouvait sous la chute d'eau du lac.

«C'est impossible... Je suis chez moi!»

Elle regarda à ses pieds et vit que son petit Wapi lui tournait autour, comme s'il voulait monter. L'orpheline le souleva et le posa sur son épaule, où le petit hérisson avait l'habitude de s'installer. Amaryllis se retourna, tassa délicatement les feuilles et se dirigea vers son lit de couvertures. Elle fit descendre Wapi afin de pouvoir se coucher. Amaryllis s'étala sur le dos et regarda profondément le plafond de sa caverne. La jeune fille réfléchissait à tout et à rien. Elle faisait des liens imprécis qu'elle-même ne comprenait pas. Elle poussa un long soupir et ferma les yeux pour s'assoupir.

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