Chapitre 5

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- Elle n'est pas prête, je vous dis! cria l'une des filles.
- Elle apprendra, répondit la plus grande.
- Tu n'en sais rien! Elle ne réussira assurément pas les autres exercices!
- Serais-tu en train de vendre la peau de Cerbère avant de l'avoir tué? continua une autre.
- Bien sûr que non... Je suis juste réaliste.

Au sommet du Mont, dans un ancien temple, les Muses discutaient d'un ton animé. Huit filles, toutes différentes, mais identiques en tous points.

- Tu sais que c'est risqué. Les dieux sont mécontents et Zeus exige que la dernière soit remplacée, dit Euterpe.
- Nous avons fait un choix judicieux. Elle remplira sa mission pour le bien de l'Olympe, ajouta la plus grande.
- Qu'est-ce que tu en sais, Calliopé? Tu es une experte en mortels, maintenant?
- Non. Mais je pense qu'Érato aurait préféré que nous soyons d'accord.
- Elle a été tellement idiote! Elle n'aurait pas dû s'aventurer en Enfer! - Maintenant, elle est morte et nous sombrerons avec l'Olympe! dit celle avec un masque de tragédie.
- Mes soeurs! N'abandonnez pas. Amaryllis est notre seul espoir. Elle ne connaît pas encore sa propre identité et elle n'a que trois pierres, dit Calliopé, la plus grande.
- Ha! Je préférerais encore finir dans l'estomac de Cerbère plutôt que d'abandonner! cria celle au masque de comédie.
- À moi de conclure cette rencontre, alors: nous nous reverrons une prochaine fois, mes soeurs. Melpomène, Thalie, je vous souhaite bonne chance.
- À toi aussi, ma soeur, dirent ces dernières en coeur.

    Six des huit filles quittèrent la salle principale vers les autres pièces, sauf Thalie et Melpomène qui s'emboîtèrent le pas vers la forêt.

***
    Amaryllis se promenait dans les bois avec la seule impression que tout ce cirque ne s'arrêterait jamais, qu'on se moquait d'elle et que la réalité n'était qu'une magnifique illusion aux courbes parfaites. La boîte à musique dans ses mains était ouverte sur trois pierres: la perle, la topaze et l'opale. Toutes ses impressions sur la boîte à musique avaient changé pendant la nuit; elle avait grandement réfléchi sur sa vie et sur ce qui lui arrivait maintenant. Elle comprenait mieux, mais sans vraiment avoir de réponses claires.

    Elle venait de prendre sa douche dans le lac et elle sentait l'eau douce. Elle passa sa main dans ses cheveux blond blé.

Elle s'arrêta près d'un arbre en entendant un ricanement. Bizarrement, ce rire venait du haut de l'arbre. Amaryllis attendit un instant, mais quand le rire reprit, elle leva les yeux et vit qu'à la cime de l'arbre, deux filles portant des masques de théâtre la regardaient.

- Elle est arrivée! Elle nous a trouvées! dit la première.
- Tais-toi! Elle t'a entendue! dit la deuxième.
- Avec toi, le plaisir est toujours au rendez-vous...
- Tu me connais, voyons...
-!Ha! Que c'est drôle...
- Tu m'énerves quand tu ris!
- Tu m'énerves quand tu cries!

    Les filles donnaient une impression d'entente fraternelle. Comme si, malgré leurs différences, elles arrivaient à ne pas se détester.

- Allez! Ne reste pas plantée là et monte, jeune fille! dit la plus joyeuse à Amaryllis.
- Ou reste plantée là, et on ne se connaît jamais!
- Arrête, tu lui fais peur!

«Deux inconnues dans un arbre mesurant six mètres de hauteur qui portent des masques de théâtre. Maintenant que j'y pense, c'est étrange.»

    Amaryllis hésita un encore peu, mais la curiosité l'emporta sur la crainte.

- Attendez! Je monte.

    La jeune fille empoigna la branche la plus basse et commença à grimper. Son talent naturel dans les grands espaces lui permettait de réaliser des choses que seul une acrobate aurait pu faire. Avec force, Amarillys se hissa jusqu'au sommet et s'assit à côté de celle portant un masque de comédie. Les filles s'exprimèrent chacune à leur tour en enlevant et en remettant leur masque au moment de prendre la parole.

- Je m'appelle Thalie!
- Moi, c'est Melpomène... dit celle portant un masque de tragédie.

Amaryllis, dit simplement la jeune fille.

    «Voilà bien entendu deux nouvelles Muses», pensa Amaryllis.

- Tu as l'air courageuse, dit Thalie.
- «Tu as l'air courageuse»... mima Melpomène avec mépris.
- Mais cesse donc, j'essaie de l'encourager!
- Non.  Tu t'empêtres, te ridiculise.  Tu m'embêtes, à la fin!
- Souris, un peu!
- Je ne fais que ça, sourire!
- Tu ne fais aucun effort.
- Pfff...

    Amaryllis les observa se quereller, les yeux grands ouverts. Elle devait avouer que ces Muses l'amusaient. Jamais elle n'avait vu  une vraie dispute, mais maintenant, c'était fait.

- Écoutez! J'aimerais que vous répondiez à mes questions, dit Amaryllis pour calmer l'atmosphère.
- Je t'écoute, dit Thalie en remettant son masque souriant.
- Voilà: je veux savoir pourquoi vous êtes huit et quel est le rapport entre votre existence et la boîte à musique?
- Thalie, réponds. Tu sais combien je suis nulle pour expliquer, dit Melpomène.
- D'accord.  Alors, nous étions neuf, car Zeus et Mnémosyne, qui est en fait sa soeur, ont eu neuf filles appelées les Muses Piérrides et...

    Amaryllis l'interrompit d'un signe de la main.

- Oh, là! Vous êtes en train de me dire qu'un homme qui s'appelait Zeus a eu neuf filles avec sa propre soeur?

    Thalie marqua une pause et regarda Melpomène.

- En voilà une qui ne connaît absolument rien aux moeurs antiques, répondit Melpomène, un peu ennuyée.
- Je comprends toujours mal: vous voulez dire que vous êtes les filles de ce Zeus et de cette Mnémosyne?
- Exactement!  Et tu as toi-même un rôle extrêmement important à jouer dans cette histoire.  Il est temps désormais que tu le saches.
- Attendez! Je n'ai pas envie d'être mêlée à vos balivernes! J'essaie seulement de savoir d'où je viens!

    Amaryllis ne comprenait plus: ces histoires de Muses étaient beaucoup plus compliquées que ce qu'elle avait appréhendé au départ.

    Amaryllis descendit de l'arbre, frustrée. C'était trop pour elle qui n'avait jamais rien connu de plus que la froideur d'hiver de sa grotte. Elle poussa nonchalamment les lierres et entra tête baissée dans sa maison. Quand elle releva les yeux, Thalie et Melpomène se tenaient devant elle, leur masque à la main.

- La colère n'est pas une qualité, Amaryllis, dit Melpomène.
- Laissez-moi tranquille! Je ne veux plus de vos pierres!
- Au moins, tu dois continuer ta quête. Prends ceci.

    Thalie lui tendit un magnifique rubis aux reflets de feu.

«Le quatrième secret est celui-ci: Née du feu de la vie, elle s'enflamme telle une merveille. Garde-la avec toi. Quatre sur  neuf, il t'en reste cinq à chercher.»

    La Muse remit son masque de comédie et s'évapora. Melpomène, qui était restée en arrière, s'avança. Elle feignit un sourire.

«Le cinquième secret est celui-ci: Née des feuilles et des fleurs, elle redevient la graine. Elle est unique alors, ne la perds pas. Cinq sur neuf, il t'en reste quatre à mériter.»

    Elle lui donna à cet instant un péridot vert, remit son masque de tragédie et s'évapora, laissant Amaryllis seule. Encore sous le choc, cette dernière regarda dans sa main la pierre rouge et la pierre verte. Elles semblaient se compléter l'une et l'autre. De sa nouvelle besace, Amaryllis sortit la boîte à musique -en prenant bien soin de préserver le sommeil de Wapi, qui avait choisi le sac de cuir comme refuge- l'ouvrit et y rangea les pierres. Elle en observa le contenu.

    «Une rose pâle, une jaune, une rose foncée, une rouge et une verte; c'est joli.» pensa-t-elle.

    Malgré son désir d'en finir immédiatement avec toute cette histoire, elle rangea délicatement la boîte à musique dans son sac et s'assit sur le sol. Wapi grimpa par dessus le petit enclos en feuilles tressées qu'Amaryllis lui avait fait et alla se blottir contre la jeune fille pour piquer un autre somme.

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