Il a fallu que je mette un pied dehors pour voir une nouvelle fois le ciel se fracasser sur ma tête. J'ai vécu quatre années à attendre qu'il réapparaisse, qu'il m'explique, qu'il me rassure. L'espoir permet aux pauvres de tenir n'importe quel choc. Il m'a maintenu ces années durant. C'était bien le seul truc qui me permettait de ne pas tomber dans de la déprime intense et me jeter sous un train. En réalité, si la pensée de mon père et de cet espoir, n'était pas là, mon âme aurait décroché pour rejoindre la Géhenne.Le bonheur de son retour s'est transformé en un malheur insaisissable.
Un pas, un seul pour me retrouver devant un fantôme. Le deuxième que je vois en deux mois. J'aurais préféré qu'il reste enterrer dans son monde. Tous l'espoir que j'épuisais auparavant en un éventuel retour ; je le maudis. Le temps d'un instant aucun son ne s'émet de ma bouche, ni ne parvient à mes oreilles. Otage d'une étrange surdité, je suis. Seul mes yeux cascadent le long de son visage. Ils essaient d'attraper une lumière, n'importe laquelle, qui confirmerait que c'est lui. Mais il y a aucun doute. C'est lui. En chair et en os
Ses mains se chargent de prendre en partie ma nuque et son front se retrouve contre le mien. Je reste stoïque. Je me contente de respirer. Je sens que quelque chose lui échappe. Il suffit souvent d'un simple geste pour comprendre qu'il y a une fissure quelque part. Il suffit souvent d'un simple geste pour comprendre qu'un cœur ne bat plus de la même manière. Il suffit souvent d'un simple geste pour comprendre qu'il y a un fossé difficile à recouvrir entre deux âmes.
Je ferme les yeux momentanément pour ressentir autre chose ; une odeur, un souvenir, n'importe quoi qui me ferait dire que le Malik d'avant est toujours là. Rien. Une vacuité dure à avaler. Même son souffle semble différent. Sentir son souffle contre ma peau me broie les membres. Une sueur froide cascade sous mon dos. Je la sens couler lentement le long de ma colonne vertébrale. Ma vue se mouille progressivement. Je sens mes paupières lourdes et sur le point de flancher. Je me sens pas bien.
Il se sépare de moi comme pris par un électrochoc. Il sort de la pénombre à l'affût d'une luminosité quelconque. On aurait dit qu'il avait été piqué au plus profond de lui-même par la noirceur du moment. Un taux d'injures se succèdent l'une après l'autre. Je bouge pas. J'écoute. Écouter est bien la seule chose qu'il me reste après être restée sourdes. Au rythme de ses mots mon cœur frappe contre les parois de ma cage thoracique et ma respiration s'accélère. Ma main gauche se porte à ma bouche.. je tremble. Je fais tout pour masquer ces tremblements en l'attrapant. Je sers de toutes mes forces.
Silence.
Là où je me trouve devient soudainement comme une tombe. Je me sens enfermée entre quatre murs. Claustrophobe, je sors de cet endroit. Au même moment, il revient vers moi plus déterminé que jamais. Cette fois-ci, les lampadaires me rendent compte de son état. Son regard me trouble. Son physique m'assomme. Ses cheveux sont plus long, une barbe mal rasée... La seule chose intacte reste son style vestimentaire ; il n'a ni troqué ses capuches, ni ses joggings, ni ses baskets.
Il renifle. Il me regarde comme si c'était la première fois qu'il me voyait. Il m'épie comme si je lui étais inconnu. Il tremble tout comme moi mais en fois mille. Il ronge ses ongles d'une manière qui laisserait croire qu'il a perdu la notion des choses. Comme s'il avait perdu la raison. Ses yeux brillent tristement.
- Je dois te parler, m'avoue-t-il.
- ...
- Je pouvais pas attendre plus longtemps. C'était plus fort que moi. J'attendais juste le bon moment pour pouvoir t'approcher. Je pouvais plus attendre.
- ...
- Je veux qu'on se marie. Tu te rappelles la famille que tu voulais, je veux te la donner. On va vivre heureux. Je vais tout faire pour que ce soit le cas. Il faut que tu viennes avec moi Mia. Je vais t'élever vers le haut. Tu s'ras traitée comme la femme que t'es. Mon ascension, je veux que tu sois avec moi pour la voir. Viens avec moi.