Humanité (En pause pour l'instant)

Chapitre 1

     Sharon et l'automate se fixèrent un long moment, aucune ne cherchant à briser le contact visuel. Pendant le cours instant où la jeune femme avait regardé les écrans, l'Androïde s'était assise, surprenant l'ingénieuse en provoquant une rencontre visuelle. Ne voyant pas trop comment engager la conversation avec l'automate, qui guettait visiblement ses réactions, Sharon décida de tenter une approche classique.
-Bonsoir.
-Bonsoir.
La jeune femme haussa un sourcil en entendant la voix de l'Androïde : elle semblait presque... humaine ; elle ne résonnait pas autant que celle des autres Androïdes.
-Je m'appelle Sharon Vaughan. Je suis censée m'occuper de toi.
     L'Androïde pencha la tête sur le côté, confuse, en entendant le nom de l'ingénieuse.
-Votre nom de famille me paraît familier.
L'automate vit une ombre passer dans le regard de son vis-à-vis, comme si elle cachait quelque chose d'important. La voix de la jeune femme était douce lorsqu'elle reprit la parole.
-Tu étais en veille profonde. Qui a activé ce mode ?
-Personne, répondit immédiatement l'automate.
-Que veux-tu dire ? demanda Sharon en fronçant les sourcils, perplexe.
     La jeune femme vit de l'hésitation passer dans le regard de l'Androïde, ce qui la surprit : les Androïdes n'étaient pas programmés pour ressentir quoi que ce soit. Il y eu quelques secondes de silence avant que l'automate ne réponde :
-Je me suis moi même placée en mode "veille profonde".

Je vois. C'est ce que je n'osais pas supposer. Mais j'ai vu cette Androïde hésiter, alors pourquoi ne pourrait-elle pas avoir la volonté de se mettre en veille profonde ? Elle commence à ressentir des choses... Ça n'aurait pas dû arriver... C'est ma faute, je n'aurais jamais dû accepter ce contrat.

Sharon planta son regard dans celui de l'Androïde, et déclara :
-Tu es défaillante. Selon les règles, tu devrais être détruite. La jeune femme vit de la peur passer dans les yeux de son vis-à-vis, et ajouta. Mais je vais t'aider.
La peur se trouva remplacée par de la surprise.
-Pourquoi ?
Sharon sentit son cœur se serrer à cause de la culpabilité, tandis qu'elle répondait :
-Parce que ce qui t'arrive est ma faute.
L'Androïde inclina la tête, visiblement perdue.
-Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.
La jeune femme secoua la tête.
-Je t'expliquerai une fois que nous serons sorties d'ici. Elle adressa un léger sourire à l'automate. Et au fait, tu peux me tutoyer tu sais.
L'Androïde la fixa quelques secondes, puis hocha lentement la tête.
-Comme tu veux. Mais comment comptes-tu me faire passer les portes du bâtiment ? La jeune femme ouvrit la bouche pour répondre, mais son vis-à-vis ajouta. Et je ne pars pas sans Avarosa et mon arc.
Sharon hocha la tête, compréhensive.
-Je sais comment te faire sortir d'ici, sans le moindre problème et avec ton équipement.

     Quelques minutes plus tard, elles marchaient toutes deux dans les couloirs de ProjectIndustry. L'Androïde avançait aux côtés de la jeune femme avec une démarche raide et mécanique, bien loin de la démarche souple que les Androïdes de l'entreprise avaient habituellement. Le but était que l'automate paraisse non fonctionnelle, et Sharon était plutôt fière du résultat.
La jeune femme cherchait le responsable du stockage, qui pourrait leur fournir l'équipement de l'Androïde. Cependant, tandis qu'elles atteignaient l'espace de stockage, Sharon craignit que l'homme soit déjà partit. Après tout, il était déjà tard, comme le démontrait le ciel noir visible dehors, et la jeune femme était certainement l'une des dernières personnes encore présentes dans les locaux.
Pourtant, alors qu'elles avançaient dans la zone réservée au stockage, quelqu'un les interpella :
-Hey, Sharon !
La susnommée sursauta et se retourna pour faire face à son interlocuteur, un jeune homme aux cheveux noirs qu'elle connaissait bien.
-John ! Tu m'as fait une de ces peurs !
-Ahah, ce n'était pas volontaire, pour une fois !
Ils rirent brièvement, puis le jeune homme montra l'Androïde, qui s'était lentement placée aux côtés de Sharon, d'un mouvement de tête.
-Tu as réussi à réactiver n°20 ?
-Non. La jeune femme secoua la tête. Quand tu es parti, j'ai regardé l'état de sa carte mère, et je l'ai trouvée carbonisée. Je l'ai juste programmée pour qu'elle me suive en lui implantant une carte mère provisoire. N°20 a tout bonnement eu une surchauffe, elle est foutue.
-Ils ont pourtant dit qu'elle n'avait aucun problème technique... Comment ont-ils pu rater ça ?
-Ils l'ont seulement scannée, pas démonté comme je l'ai fais. Il y eu un court silence, puis elle reprit la parole. Tu sais si Kyle est encore là ?
-Tu veux récupérer son équipement ? Comme elle hochait la tête, il expliqua. Kyle est parti en urgence, une affaire de famille à régler. Mais il m'a demandé de le remplacer pour ce soir, donc je vais t'aider à tout récupérer.
-Merci.
-Tu récupérera aussi son corps, non ?
Sharon le regarda brièvement, puis hocha lentement la tête.
     Ils marchèrent quelques instants en silence, puis la jeune femme soupira :
-J'espère que tu ne connaîtra jamais ça, John.
Le susnommé tourna la tête vers elle.
-Tu parle de l'Invocation ? Pourtant, c'est un honneur de pouvoir ramener l'un des grands Champions de la League.
-Tu trouve que c'est un honneur de devoir participer à ça ? Elle désigna l'Androïde d'un geste de la main. Regarde ce que nous en faisons : des robots, qui n'ont aucune idée de ce qu'ils sont en réalité. Tu trouve ça glorifiant ?
Sharon ressentait une incompréhension grandissante qui, elle le savait, ne lui appartenait pas. John s'arrêta et se tourna vers sa collègue.
-Nous leur offrons une seconde vie.
Sharon lui fit face.
-T'appelle ça une vie ? Leur mémoire est effacée, leur corps remplacé, et ils passent cette "vie" à obéir aux ordres. Et s'ils font mine de récupérer leur volonté, ils sont considérés comme défaillants et détruits. Pardonne-moi de ne pas appeler ça "une seconde vie".
Sharon jeta un coup d'œil à l'Androïde dont elle ressentait toujours l'incompréhension : elle conservait son air neutre, continuant à jouer son rôle d'automate défectueux malgré la confusion qui agitait son esprit. Sharon tourna la tête vers son ami.
-Tu sais John, j'ai parlé avec elle lors de l'Invocation : je l'ai regardé dans les yeux lorsque nous avons passé le Pacte. Et tu sais ce que nous promettons dans celui-ci ? Entraide et respect mutuel : chacun promet d'être là pour l'autre. Elle serra les poings. Pour respecter ma part du marché, il aurait fallut que je ne laisse pas ça lui arriver.
     Il y eu quelques secondes de silence, puis John demanda :
-Tu pense vraiment ce que tu dis ?
-Oui.
Il fit un signe de tête vers l'Androïde.
-Alors... Tu ne la détruira pas ?
-Non.
Le jeune homme se remit à marcher, obligeant sa collègue à le suivre pour continuer la conversation. Comme il semblait perturbé par sa réponse, l'ingénieuse reprit la parole :
-John, qu'aurais-tu fais à ma place ? Es-ce que tu l'aurais détruite et serais passé à autre chose ?
Sharon s'était placé devant le susnommé, de façon à lui couper la route et l'obligeant ainsi à s'arrêter. La jeune femme planta son regard dans celui de son vis-à-vis, et remarqua une lueur d'hésitation dans ses iris brun. Il réfléchit pendant quelques secondes, avant de secouer la tête :
-Non, je pense que je ne l'aurais pas détruite.
Ils restèrent immobiles, se fixant, puis John reprit :
-Si le patron pose des questions sur n°20, sache que je te couvrirai.
On ne peut plus reconnaissante, Sharon souffla, en le prenant dans ses bras :
-Merci, merci beaucoup.
Le jeune homme lui rendit brièvement son étreinte, avant de s'écarter.
-Dépêchons-nous, moins de temps tu passera à te balader dans les couloirs avec elle, moins il y aura de risque que le patron nous tombe dessus.
Hocha la tête, et suivit son ami dans les longs couloirs aux murs blanc de l'entreprise. Monsieur Smith avait en effet pour habitude de faire le tour des locaux chaque soir, afin de vérifier que la sécurité était bien fonctionnelle.
     Quelques minutes plus tard, ils s'arrêtèrent devant une pièce hautement sécurisée, sur laquelle le numéro 20 brillait d'un éclat bleuté. Après que John eu passé le badge d'accès du responsable du stockage et rentré le code spécifique à cette salle - Kyle avait marqué chaque code sur une feuille, pliée et rangée dans la protection plastique de son badge - la porte coulissa silencieusement, leur libérant le passage. Les lumières de la pièce s'allumèrent, dévoilant ce qu'elle contenait. Au centre de la salle se trouvait un cristal géant, posé sur un brancard, dans lequel le corps d'une jeune femme était visible. Cette dernière semblait dormir paisiblement, un arc de glace et un carquois posé sur son ventre, et ses mains placées au-dessus. Posés sur le dessus du cristal, un arc technologique et un drone brillèrent légèrement lorsque l'Androïde entra dans la pièce à la suite de Sharon. Celle-ci sentit son cœur se serrer sous la culpabilité, tandis que l'incompréhension et la surprise de la création technologique l'envahissait. La voix de la jeune femme bionique résonna dans son crâne :
-Sharon, que se passe-t-il ?
Entendre l'Androïde lui parler de cette manière montra à l'ingénieuse qu'elle retrouvait inconsciemment ses habitudes de Championne : il était urgent qu'elle lui explique la situation, afin qu'elle comprenne ce qui lui arrivait.
-Je t'expliquerai tout, je te le promets.
Alors qu'elle lui communiquait ces mots, l'ingénieuse ressentit les doutes de l'automate : elle commençait à douter d'elle, à se méfier. La jeune femme ne pouvait pas en vouloir à l'Androïde - il était normal qu'elle se pose des questions, et que les réponses évasives qu'elle lui donnait ne la rassuraient pas quand à sa volonté de l'aider - mais elle se sentit néanmoins peinée à l'idée que l'automate se méfiait d'elle.

Si elle doute de moi maintenant, comment réagira-t-elle lorsque je lui expliquerai la vérité ?