C'est curieux comme on oublie les odeurs quand on passe son temps dans une combinaison à renifler sa propre sueur.
Dans l'ancienne bicoque des Geks, je me suis habituée au fumet ambiant, mais je dois dire qu'au début, mes narines ont souffert. Imaginez : ces reptiles de l'espace ont une façon bien à eux de brailler. Ils ne se limitent pas aux sons, oh non. Lorsqu'une émotion entre en jeu, ils font appel à des jets gazeux pour mieux se faire comprendre. Vous avez pigé ? Ils lâchent des caisses par dizaines sous votre pif. Avec Pili, quand on pouvait anticiper nos rencontres avec des clients Gek, on s'équipait toujours de pince-nez et on embauchait un traducteur. Avec ça on ne risquait pas de dégueuler sur nos interlocuteurs ! Valait mieux passer pour des gougnafiers que de perdre bêtement un contrat. Et pour les jours sans pince-nez, on gardait sous le coude un petit décodeur olfactif, sorte de dico spécial Geks qui faisait le lien entre le gaz et sa définition émotionnelle : "J'ai le cafard" : bim, fragrance de chaussettes sales ; "Je suis en rogne" : bam, parfum de chat crevé ; "Je suis très content" : bam, effluve de vomi après une belle murge, etc.
Du coup, en déverrouillant l'abri et en enlevant mon casque, j'ai plongé tête la première dans un magma odorant, qui ne rêvait que d'une chose : être respiré après des mois (des années ?) de confinement. Le parfum de cuir tanné que dégage la peau d'un Gek était là à m'attendre, stagnant, parfaitement dégueulasse, additionné de mille autres fumets plus ou moins identifiables. Et je peux vous dire, rien qu'à l'odeur, que ces Geks étaient très très heureux de vivre sur ce foutu caillou.Malgré tous mes efforts pour la retaper, la radio de l'abri n'a rien voulu savoir. Je n'ai même pas réussi à obtenir le plus petit des grésillements. Pas grave : dans quelques heures, Onnonaduw et ses températures extrêmes seront le cadet de mes soucis. Je vais enfin me barrer d'ici.
J'ai passé ces derniers jours à faire des allers-retours entre l'abri et ma bitza, pour faire le plein de carburant. Entretemps, les foutus drones sont revenus. Pendant mes balades et mes sessions de minage, ils me tournaient autour comme des mouches à merde autour d'un cadavre, alors j'ai fait bien gaffe à ne plus les mettre en joue, en ne rallumant le laser qu'une fois qu'ils étaient à bonne distance. J'ai perdu un temps fou à prendre toutes ces précautions, bien sûr, mais ça valait le coup : les drones venaient me scanner plusieurs fois par jour et, voyant que je ne bronchais pas, ils finissaient par me ficher la paix.
Me voilà aujourd'hui réfugiée dans mon cockpit préféré, qui sent bon l'aluminium et le verre blindé. J'ai décidé de passer ma dernière nuit avec ma bitza, plutôt que dans l'abri.
J'ai la banane, mesdames et messieurs des étoiles : le départ d'Onnonaduw est proche.Cassy - DU. 16-2408 - T°C : 62,4° C (ext.) / 19° C (int.) - Loc. : Onnonaduw, système Oibosolumill (Euclide)
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Echos stellaires
Science FictionJournal de bord de Cassy, une baroudeuse de l'espace qui vient de se crasher sur une planète inconnue. Ill. de couverture : Lars Kristensen