Ici Cassy, votre animatrice favorite, en direct du même caillou fumant depuis son fameux crash ici-bas.
Mon petit silence radio de cinq jours était un peu forcé. Disons que je suis tombée sur un os, ou plutôt trois.
Remontons le temps, vous voulez bien ?
La fois dernière, je dégommais les palmiers-raquettes histoire de collecter quelques éléments carbonés et autres isotopes bien utiles au fonctionnement de tout mon bazar. La bitza était opérationnelle ; je venais de choper des modules et un scanner tout neuf en retrouvant l'un de mes caissons dans la nature — caisson qui ne contenait pas vraiment la prétendue précieuse cargaison que je devais transporter avec mon copain Pili... Passons, j'y reviendrai plus tard. Il ne manquait plus que le carburant, et mon extracteur faisait son taf comme un chef, à aspirer les isotopes C par paquets de cent pour en remplir mes réservoirs.
Eh bien figurez-vous que là, alors que je minais tranquille et que je m'imaginais déjà redécoller d'ici la nuit, trois foutus drones me sont tombés dessus.
Ils sont arrivés en pioupioutant à n'en plus finir, ont d'abord scanné les palmiers que je venais de piller, puis se sont tournés vers moi, leur sale petit rayon bleu braqué droit sur mon casque.
J'étais carrément éblouie alors j'ai pas fait gaffe. J'ai redirigé mon laser d'extraction vers l'un de ces insectes mécaniques.
Je pensais pas que ça causerait tant de problèmes que ça, je veux dire... Ces drones-là, ce sont des coriaces, d'habitude. Avec Pili, on en a déjà croisés sur des lunes exploitées par la fédération Gek, et c'est arrivé qu'on en frôle un ou deux avec nos rayons, pour voir, mais on a jamais constaté de réaction hostile. Un coup de laser par inattention, ça leur laisse à peine une petite tache roussie sur la carlingue. Pas de quoi en faire un drame, voyez ?
Ben non.
Cette fois, j'étais tombée sur un caractériel.
A peine mon laser avait-il caressé sa tôle que lui et ses deux copains sont passés en mode furax. Leur rayon bleu est devenu rouge, leur "pioupious" se sont faits agressifs. Un message d'alerte s'est affiché sur mon interface : ces salauds de drones appelaient du renfort !!
Il fallait que je fiche le camp d'ici. J'ai anticipé la suite des événements et je me suis mise à courir en zigzag, au milieu du troupeau de bestioles qui caquetaient beaucoup plus fort, totalement paniquées.
Les drones ont balancé la sauce, sans se soucier de la faune. Le troupeau s'est dispersé, et moi je courais toujours, dévalant la pente pendant que ces putains de drones tiraient toujours. Encore heureux qu'ils n'avaient pas eu le temps de verrouiller leur cible, sinon j'aurais déjà été en train de bouffer les pissenlits par la racine. J'ai sauté derrière une pile de rochers ; leur mitraille a réduit son sommet en poussière, alors j'ai repris ma course en avant, toujours en descente, et puis... Et puis je me suis pris les pieds dans un tapis de fleurs jaunes, parce que leurs fichues racines sortent de terre et sont entortillées, et... Bref, je me suis rétamée, explosant mon nouveau scanner au passage. Mon casque, lui, a subi un choc violent. Mes voyants sont passés direct dans le rouge, l'étanchéité avait sauté. Une jolie fissure d'un pouce de long zébrait maintenant l'écran de ma combinaison. Alerte, alerte, transformation en œuf mollet imminent. Vous voyez le tableau ?
J'étais loin de ma bitza, j'avais couru en sens inverse, et si je ne réglais pas très vite le souci de casque, j'allais mourir rôtie puis asphyxiée. Ou bien le contraire, mais j'étais pas du tout chaude pour vérifier dans quel ordre ça allait m'arriver.
Me restait tout au plus trente secondes de survie. Je n'entendais plus les drones derrière moi, ils avaient dû me lâcher après la pile de rochers. Alors j'ai bondi pour me relever, et j'ai recommencé à courir comme une dératée, fourbie, exténuée. Je crois que j'ai battu le record de Pili aux 100 mètres, ce jour-là – et lui, il triche, avec ses six jambes de sprinter. En bas de la pente, dans une sorte de petite cuvette entourée de falaises vertigineuses, j'ai repéré ce qui pouvait me sauver la vie : un abri. Une sorte de croisement entre une boite de conserve et un camping-car débarrassé de ses roues, peint en jaune et bleu. À côté, quelqu'un avait posé un petit drapeau de la fédération Gek.
J'ai activé le jetpack pour les derniers mètres, et heureusement, parce que je n'avais pas vu la faille qui séparait la pente de la cuvette. J'ai décollé en retenant ma respiration et je suis arrivée sur les marches de l'abri. J'ai presque arraché la poignée en ouvrant la porte, puis je me suis confinée à l'intérieur et je me suis étalée sur le sol en faisant l'étoile de mer.
Les voyants de ma combi hurlaient à qui mieux-mieux. Selon eux, je venais de crever dans d'atroces souffrances, étouffée par 65,6° C.
J'étais fichtrement contente qu'ils se soient trompés.J'ai ôté mon casque et ai profité de la température clémente de l'abri. À l'intérieur, j'ai trouvé de la bouffe lyophilisée, de quoi me soigner et réparer mon équipement. J'y suis encore, ce soir. J'ai préféré rester dans le coin pour voir si je pouvais réparer le matériel de radio.
Ce n'est pas très grand, mais ça suffit bien pour une personne seule de mon gabarit, ou trois Geks. Il y a d'ailleurs trois couchettes de petite taille, très confortables – en me recroquevillant un peu, je dors au poil –, une petite radio encore hors d'état de marche, des combinaisons de rechange adaptées aux Geks, du matériel de laboratoire dans une petite alcôve... Je pense que les anciens habitants de cet abri devaient mener une exploration de la zone : les Geks sont friands de tout ce qui se rapproche de près ou de loin à du catalogage biologique.
Visiblement, ils sont partis depuis longtemps mais au moins, ils m'ont laissé un module d'encyclopédie, qui rassemble tout ce qu'ils savaient et ont appris de cette fichue planète.
Je peux maintenant donner un nom à ce caillou : Onnonaduw. Et même le situer dans l'espace. On progresse.Cassy - DU. 16-2108 - T° C : 63,1° C (ext.) / 21° C (int.) - Loc. : Onnonaduw, système Oibosolumill (Euclide).
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Echos stellaires
Ficção CientíficaJournal de bord de Cassy, une baroudeuse de l'espace qui vient de se crasher sur une planète inconnue. Ill. de couverture : Lars Kristensen