Bon sang.
J'ai l'impression d'avoir pénétré dans le trou du cul d'un Fouson en pleine période de rut. Il fait complètement noir ici, et mon capteur de température hurle : il indique vingt degrés de plus qu'à l'extérieur. J'active ma torche pour avoir un peu de lumière, mais le rayon n'arrive même pas à percer la couche opaque et stagnante de fumée. La chute de météores doit être très récente ; je ne vois que ça pour qu'il y ait encore autant de purée de pois à l'intérieur de l'usine.Sous mes bottes, le sol couine. Il y a quelque chose qui colle à mes semelles, on dirait que je marche sur des limaces ou des mollusques. En baissant le rayon de la torche, je comprends tout de suite : les algues bleues et touffues que j'ai remarquées plus tôt dans les petites mares de Triirasefli ont déjà envahi les lieux. Des rapides, celles-là. Elles doivent aimer ce qui crame.
Je coupe les thermodétecteurs qui me cassent les oreilles, puis tous les autres capteurs de ma combinaison à l'exception de l'audio : je veux me concentrer sur ce que j'entends, pouvoir repérer Pili avec mes esgourdes, s'il est perdu au milieu de cette purée. Pour l'instant, à part ma respiration et le bruit de mollusque écrasé, je ne détecte rien.
Le bout de mon canon se cogne contre un écran hors service, plusieurs consoles de contrôle, des caissons de labo. À chaque fois, je contourne l'obstacle et je continue tout droit, jusqu'à ce que je tombe sur une nouvelle écoutille. Là, je mets la main sur le verrou et le neutralise d'un coup de laser, traverse un sas vide que la fumée s'empresse de venir remplir. À l'autre bout, une nouvelle porte à déverrouiller, un nouveau boulot pour mon canon.
Je me retrouve dans ce qui semble être la pièce principale du complexe. Sur ma droite, j'aperçois les couleurs de l'extérieur : la grande porte d'entrée, rondelle éventrée par une grosse poutre métallique, ne s'activera plus jamais. C'est un chaos rempli de débris, ici. Au dessus de ma tête, quelque chose grésille : des câbles ont été arrachés et des étincelles en sortent. Une partie du toit s'est écroulée, défoncée par les cailloux de l'espace : des éclats de roche noire, encore fumants, parsèment toute la salle, comme les algues locales, qui s'en donnent à cœur joie pour refaire la déco.
Au centre, une console a résisté au cataclysme. Elle ressemble à un mini-champignon atomique, avec un gros voyant rouge qui clignote sur le dessus. C'est sans doute celui que j'ai aperçu en faisant le tour de l'usine.
Je braque ma torche sur la console et remarque de nouveau les traces de sang Xien. Pas de doute : le copain Pili, avec ses six genoux blessés, s'est traîné jusqu'ici avant de filer. Vu l'état de son bolide, il cherchait peut-être un terminal en état de marche pour envoyer son message de détresse. Je m'approche pour examiner la console de plus près. Quelqu'un a trifouillé les dossiers système juste avant la destruction de l'usine. Pili ? J'y comprends que dalle, c'est du charabia, du jargon scientifico-merdouilleux. Qu'est-ce qui aurait pu intéresser mon ami dans ces machins... Est-ce qu'il se serait reconverti dans l'espionnage industriel sans m'en parler ? Je zieute les derniers fichiers ouverts pour tomber une nouvelle fois sur des coordonnées. Coup de bol : l'adresse pointe vers un autre coin de Triirasefli. J'aurai pas à aller bien loin.Quand j'essaie de faire demi-tour, je n'arrive plus à décoller mes panards du sol.
Chierie ! Les algues, ces foutues algues attaquent ma combinaison. Elles ont déjà grignoté le titane des deux premières couches et la doublure apparaît ! Si elles traversent ça, je suis cuite... Quelle abrutie tu fais, Cassy. Pourquoi t'as coupé tous tes capteurs, hein ? Je les rallume pour les entendre hurler de nouveau : dégagement chimique dans la combinaison. Et merde ! Saletés de plantes alien, qu'est-ce qu'elles sont en train de... Oh là là, pas besoin... j'ai pigé : c'est du somnifère, j'ai envie de... roupiller... Il ne faut pas, il ne faut pas que je d...Cassy - DU. 16-2412 - T°C : 51,7° C (int.) - Loc. : Triirasefli, système Oibosolumill (Euclide)
VOUS LISEZ
Echos stellaires
Science FictionJournal de bord de Cassy, une baroudeuse de l'espace qui vient de se crasher sur une planète inconnue. Ill. de couverture : Lars Kristensen