12 Janvier 1989

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-Encore toi, je rêve ?

-Je ne te suivais pas.

Je n'avais pas vu cette fille depuis mardi. A vrai dire, je ne pensais jamais la revoir. Quelle chance de croiser une fille aux cheveux roses à un musée, puis au cinéma ?

Ils passaient Batman de Tim Burton en avant-première, pour rien au monde j'aurais raté ça. Alec, un type que je considère comme un des amis le plus proche, avait beaucoup trop à faire avec ses parents. Il ne m'a donc pas accompagné, puis ce n'est pas comme si j'avais le choix après Alec.

-Pourquoi tu es ici ? Demandais-je en haussant la voix, lui montrant mon désagrément.

-Au cinéma, tu me poses réellement la question ?

Elle a haussé les épaules, et m'a offert un sourire espiègle. Si je n'avais pas été seul, j'aurais probablement rejoint des amis pour ne pas supporter encore une seule seconde ce dialogue avec cette détraquée. Elle était aussi seule, étonnant me suis-je dit.

-J'ai un goût très prononcé pour les futures œuvres d'art. Après Beetlejuice, je me suis promis de voir tous les films de ce Burton. Michael Keaton est aussi doué qu'une Winona Ryder, c'est forcément un film dont on va parler dans trente ans.

-Tu n'as même pas vu le film, ai-je soupiré.

-Tu verras.

Je me suis retrouvé à une tête de proximité entre son siège et le mien, et nous avons acheté des pop-corn. Ils n'étaient ni sucré, ni salé. Sacha avait demandé à mélanger les deux assaisonnements. J'étais obstinément contre, évidemment. Mais ce n'était pas plus mal. Quand le film a commencé, elle a pratiquement bondit de son siège pour se redresser. J'ai souri à cette vision, puis quand elle m'a regardé, j'ai feins de m'étouffer avec la poignée de maïs que je venais d'avaler. Un homme a soupiré bruyamment derrière nous, Sacha a rigolé un peu plus fort sans cesser de le regarder. La salle était bondée, et je me suis demandé si cette fille avait raison.

Quand la bande son finale est arrivée, j'en ai eu la confirmation. Les goûts cinématographiques de Sacha étaient fiables, je n'avais pas de doute là-dessus. Keaton jouait incroyablement bien.

-Tu rentres chez toi ?

-Où veux-tu que j'aille ? Bien sûr.

-Allons en ville, j'aimerais te présenter des amis.

J'ai décliné l'offre, mais nous avons parlé un moment. Elle m'a donné le nom de son établissement, j'ai appris que la maison de campagne verte que ma mère admirait tant appartenait à la famille de Sacha. La ville étant petite, chaque maison était facilement visualisable. Elle m'a demandé ce que je comptais faire de mon week-end, ce à quoi j'ai répondu :

-Rien. Sinon, ce ne serait pas un week-end.

Elle a rigolé, sincèrement. Le son défaillant de son rire a déclenché chez moi une chose inexplicable. Je suis devenu mou. J'avais cette impression que des mains se posaient sur moi et décidaient de me modeler comme bon leur semblait. Ce rire avait déclenché en moi une sorte d'éveil passionnel. Il me faisait étrangement penser à deux couples qui se fixaient intensément, comme un élan de désir immense qui s'installait, le sorte d'élan qui disait "prends tout ce que j'ai", "je te donne tout ce que je suis", et c'était puissant. La sensation la plus étrange provoquée par un simple rire, je trouvais ça ridicule. Nous avons marché un long moment jusqu'à chez moi. J'habitais plus loin, et Sacha insistait pour m'accompagner. Au fond, je l'ai interprété par le désir de découvrir où était ma maison. Cela m'était égal, la compagnie de Sacha n'était pas aussi désagréable qu'elle n'en avait l'air.

La voiture de mon père n'était pas garée devant la maison, je l'ai instantanément soupçonné de rester dans le bar le plus proche. J'ai invité Sacha à entrer, elle a accepté.
Ma maison était ordinaire, comme toutes les maisons de cette petite agglomération. Sauf la maison verte.

Sacha s'arrêta au milieu du couloir qui la menait à ma chambre, fixant une croix religieuse suspendue au mur. Avant qu'elle ne dise quoi que ce soit, j'ai pris la parole.

-Ma mère croyait en tous ces trucs.

Elle se retourna. J'espérais qu'elle n'avait pas relevé la phrase au passé.

-Et toi, tu crois en "tous ces trucs" ?

-Non. Je ne crois pas tellement à ce quelqu'un qui peuple ce là-haut. Mais j'aime me persuader qu'une fois mort, on ira au paradis.

Je riais nerveusement. Elle s'approcha un peu plus de moi, le regard vide.

-On ira pas au paradis Ghaïs, nous sommes déjà dans le jardin de l'enfer.

s a c h aOù les histoires vivent. Découvrez maintenant