14 Janvier 1989

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  Lorsque j'entendis des voix bien trop familières provenir d'en bas, je pris l'initiative de déposer  le livre que je m'apprêtais à lire pour descendre. Mon fabuleux père avait décidé que discuter avec une jeune fille aux cheveux étranges qu'il n'avait jamais vu auparavant était une bonne idée. Arrivé dans le salon, je me raclai la gorge afin de gagner leurs attentions.

-Tiens, Ghaïs viens voir mon garçon ! 

-Je n'ai pas envie de voir, non.

-Ne fais pas le rabat-joie, je te dis, il faut qu'on parle...

-Je vais dehors, et toi tu me suis, répliquais-je en pointant Sacha du doigt.

-C'était un plaisir de vous rencontrer, Monsieur.

-Le plaisir est pour moi, je suis content de voir que Ghaïs peut avoir d'autres amis qu'Alec. Bien que je n'ai rien contre, c'est juste que vous êtes si charmante et vous êtes une fille...

Sacha rit par cette remarque, et je commençais à m'agacer.

-Oui, on a compris. On y va.

Une fois dehors, à peine mit-elle un pied sur le gazon que ma colère m'envahit.

-Tu n'as rien à faire ici, et encore moins avec mon père. T'approches pas de lui, il est instable.

-Je le trouve moins instable que toi, Ghaïs.

Je sentis la colère s'emparer de moi, et j'aurai juré que si elle en avait dit un peu plus, elle aurait été retrouvée morte dans notre jardin.

-Sérieusement, ne rajoute plus rien et sors d'ici.

Mon agacement était si visible, qu'elle prit la sage décision de me tourner le dos et s'avancer. Je me félicitai intérieurement pour avoir été aussi directif. Puis, avant de disparaître et toujours dos à moi, elle me lança :

- Je t'aime bien, Ghaïs Jordan.

-Pas moi, dis-je avec un sourire crispé.

Elle avait déjà disparu.

*

Nous étions assis sur des tabourets, dans le café du coin, et nous n'avions rien d'autre à faire que commander des cafés pour nous réchauffer. En ce mois de janvier, un froid particulier nous obligeait à essayer désespérément de se réchauffer, mais aussi de nous occuper, car lorsqu'il fait un froid aussi glacial et que l'on habite dans une ville aussi petite, tous les choix étaient fortement restreints.

Nous étions donc coincé avec Alec et nos conversations devenaient barbantes.

-Tu penses que tu vas réussir les prochains tests en biologie ? Je ne t'ai pas vu étudier alors...

-Je ne vois pas pourquoi j'échouerais, Alec. Ce n'est pas quelque chose qu'on doit étudier jour et nuit.

Même si j'étais parfaitement conscient que j'allais rater ces tests, cela faisait mal à ma fierté de l'avouer. D'autant plus à Alec. Le plus gros crâneur de l'histoire des notes.

-Tu as raison. Dis, tu as entendu parler de la catastrophe aérienne de British Midlands ?

Non, Alec. Bien sûr que non. Je ne lis pas les journaux, excuse-moi de ne pas être aussi brillant et cultivé que toi. J'ignore même pourquoi je continue à être ton ami. Peut-être pour éviter d'être seul au lycée, pendant les sorties et probablement le reste du temps. Tu es comme un papier collant que j'ai du mal à retirer, mais dont j'ai besoin parce que ce même papier collant pourrait aisément servir d'anti-sèche. 

-Vas-y, raconte.

-Il assurait la liaison Londres-Belfast, un Boeing-737, et s'est écrasé à l'aéroport d'East-Midlands. J'ai entendu dire que c'était une inversion des circuits qui a provoqué un incendie. 

-Incroyable, dis-je sans trop contrôler mon timbre de voix.

-Il y a eu 44 morts.

-Oh.

  Je suis rentré chez moi, quelques minutes après cette conversation. Sur le chemin, je n'ai pas été surpris de croiser la folle dingue. Elle rentrait sûrement chez elle, des sacs à la main.

-Bonjour, me salua-t-elle.

-Salut. Je crois que c'est la première fois que tu m'abordes aussi normalement.

-Je rentre des courses. J'ai acheté des frizzy pazzy, t'en veux ?

-"Le chewing-gum qui craque et qui claque ?" rigolais-je.

-Tu ferais un bon imitateur, j'en suis sûre.

Elle me tendit un paquet, que je ne refusais pas. Je n'en avais pas mangé depuis si longtemps. Peu importe si elle avait mis du poison dedans.

-Que fais-tu dimanche ? Elle me demanda subitement.

Une fois en possession du paquet, je pris de la distance et avant d'emboîter de le pas, je lui répondis : 

-Je t'évite.


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