Mon père n'a jamais assisté à aucun de mes conseils de classe. Du plus loin que je me souvienne, la seule fois où il a semblé s'impliquer dans ma scolarisation fut le jour où j'ai été exclu pour avoir frappé un camarade de classe. En réalité, il avait été contraint de venir me chercher en plein travail, en plein milieu d'une journée, car ma mère ne répondait pas au téléphone. Il était en colère, et m'avait fait une leçon de morale devant mes professeurs et le directeur. Je n'étais pas particulièrement dérangé par le fait qu'il me passe un savon, mais pour une fois, il se comportait comme un père. Alors, je profitais de ce moment d'attention pour être un fils qui se faisait gronder. Rien d'autre qu'un fils, et non un inconnu vivant sous le même toit à qui on demande seulement de lui passer le sel lors d'un repas.
Puis un jour, vous faites l'erreur de frapper un camarade de classe, et on vous le fait payer en tuant votre mère. Je ressentais une certaine injustice, je suppose, car je me suis mis à haïr tout le monde. Je ne supportais pas respirer le même air et partager quoi que ce soit avec qui que ce soit. C'est un état d'inertie qui semblait de jour en jour, me rendre de plus en plus casanier et renfermé. Je n'étais pas un très beau parleur à l'époque, et je doute que ces incidents aient pu m'être bénéfiques. Mon père me reproche souvent d'être trop méfiant avec les autres, de les juger trop vite. Pour moi, l'observation est la clé pour lier une quelconque amitié. Des paroles s'envolent, les mots finissent par se perdre. Mais la mémoire, l'observation, c'est encré en moi et je leur fais confiance. Je sais que je ne déformerais rien ainsi. Peut-être est-ce lâche de ma part, un moyen de me protéger du mal que je semble voir un peu partout. Mais c'est ce qui m'aide à me représenter la vie, à essayer de la vivre correctement. Au fond, nous vivons notre vie peu importe nos choix et nos décisions. Elle se passe là, maintenant, et j'ai beau me vanter de ne pas vivre une petite vie parfaite sans rebondissements, je sais pertinemment que tout se déroule en ce moment même. Que je le veuille ou non. Les feuilles n'arrêteront pas de tomber, les gens n'arrêteront pas de manger et pisser, alors à quoi bon se prendre la tête ?
Depuis cette Sacha, je me mets à penser autrement. Voir les choses différemment, et tout semble dénué de sens depuis qu'elle me retourne le cerveau. Je n'arrêtais pas de penser à elle, et depuis que je l'ai rencontré, mes rêves sont toujours teintés de cauchemars. Je ne pense pas que ce soit relativement lié à elle, mais mon manque de sommeil m'empêche réellement d'être très agréable dernièrement.
Je soupire en regardant à travers la fenêtre du bus, j'ai l'impression que l'on est piégé dans ce temps hivernal. Je ne me rappelle pas avoir vu un seul rayon de soleil ces derniers temps. Tous les jours se ressemblent et depuis lundi, je m'ennuie à mourir. Alec ne fait que réviser et me raconter les nouvelles dont la source provient soit d'un journal, soit d'une émission télé. Il me paraît dernièrement un des plus inintéressant personnage du lycée. Je me suis souvent demandé s'il serait bien de lui parler de Sacha, mais je pense qu'il ne serait pas emballé que je lui parle d'une fille. J'imagine déjà sa réaction, ce petit gars qui n'a jamais embrassé ou pensé à une fille, mais qui a toujours préféré s'intéresser aux films de guerre et d'espionnage. On est mal barré.
La fin de la semaine s'achève sur une note mélodramatique : Alec est tombé des escaliers après un cours de Biologie. J'insiste sur dramatique, car c'était supposé être ce week-end notre super plan pour éviter de dîner avec ma grand-mère. Si le plus amer des gâteaux devait être une personne, ce serait sans aucun doute, grand-mère Lissa. Une vipère, prête à se lancer sur sa proie une fois dans son champ de vision. De la pire espèce, une grande amnésique des bonnes choses mais une incroyable Einstein pour se rappeler les pires défauts des autres. Maintenant, je ne pouvais même plus compter sur ce stupide Alec. C'est alors que j'aperçu Sacha, marchant sur le trottoir à quelques mètres. Elle devait aussi probablement rentrer chez elle, un sac de cours sur le dos. J'entrepris d'arriver à sa hauteur et omettre de la saluer.
-Il faut absolument que tu m'aides en faisant marcher ta merveilleuse imagination à des fins purement justes et vertueuses.
Vous savez, vous avez deux choix lorsque vous avez une famille. Le premier n'est pas de les apprécier énormément, mais de pouvoir supporter ces fameux repas de famille sans faire de crises ni broncher lorsqu'on vous fait clairement comprendre que vous êtes un raté. Le deuxième est un peu délicat, car non seulement vous ne pouvez pas supporter votre famille, mais ces repas ont tout de même lieu et rien ne peut vous empêcher de perdre votre sang-froid. Je savais pertinemment que c'était la deuxième option qui m'attendait. Alors même si mon dernier choix était de supplier Sacha: j'étais armé, prêt, paré.
Ma détermination était sans pareille, et Sacha l'entendit et le comprit. J'étais peut-être tellement réticent que j'en oubliais presque que Sacha n'avait jamais tenté d'être désagréable. Elle voulait juste être mon amie.

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s a c h a
Historia Corta❝Sacha ne m'a pas changé. Elle a bouleversé tout mon monde.❞ i n c l a s s a b l e