s a c h a

3 février 1989

L'amitié. Un vilain mot. J'avais pour définition de l'amitié un Alec, et Sacha me prouvait que j'avais tout faux. Les jours passaient et nous passions tout notre temps ensemble.

Alec, mon supposé ami, n'avait pas cherché à me joindre depuis que je m'absentais.

Sacha ne parlait que très peu de sa vie, mais elle adorait parler de toutes autres choses. Les sujets s'avéraient variés, et son point de vue sur des sujets sensibles à notre époque semblait lui tenir très à cœur. Elle n'avait pas peur de mon jugement, de mes idéaux, même s'ils étaient inverses. Elle me demandait souvent ce que je pensais, mais ne me contredisait jamais. Mon père l'aimait bien, du moins, c'est ce que j'ai deviné puisqu'il passait son temps à me demander où était Sacha lorsque je rentrais de la maison. Comme si elle habitait avec nous désormais.

-Je vais partir en voyage, dit-elle subitement alors que je lui servais un verre de limonade.

-En voyage ? Demandais-je sans contrôler la déception qui teintait ma voix.

-Oui, dans un mois.

Je soupirais en m'asseyant face à elle. Son regard avait changé, elle avait l'air... Différente. Ses yeux étaient si brillants, presque irréels.

-Tu te rends compte, cela fait déjà trois mois qu'on se connaît. 

-J'ai l'impression que notre rencontre date d'hier, mais qu'on se connaît depuis une éternité. 

Elle eut comme une petite secousse, un coup de froid que je sentais du pareil au même.

-Regarde dehors, Ghaïs. Le temps est figé. Nous nous sommes rencontrés hier, rigolait-elle.

Je pinçais mes lèvres avec mon pouce et mon index, comme pour réfléchir à ce qu'elle lançait. Mon amitié avec Sacha me renvoyait sans cesse à des réflexions poussées. La plupart du temps, j'essayais de comprendre ce qu'elle disait.

Parfois, cela n'avait aucun sens.

Parfois, je me demandais vraiment si quelque chose ne tournait pas rond chez elle.

Je n'ai jamais osé lui dire que j'ignorais ce qu'elle racontait, ni que je la trouvais timbrée. 

Après tout, on venait à peine d'être des amis.