Chapitre 6

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  Après l'annonce du professeur, Aïtu avait viré au blanc le plus pâle. Un blanc à faire rougir la lune. Arya lui avait d'ailleurs lancé un regard terrifié, mais tout le monde semblait avoir oublié le dernier texto du Roi. Elle n'avait pas besoin de le relire, chaque mot se répétait continuellement dans sa tête, un peu comme une mélodie infernale.

Ordre n°4 : La fille n°3, Aïtu, doit faire sa déclaration à la personne qu'elle aime.

--END--



A la personne qu'elle aimait... hein ?
Elle ne pouvait pas le dire. Non, elle ne pouvait pas. C'était leur secret.
Un secret qui ne devait pas être découvert. Un secret que seules partageaient Arya, Kayna et elle.
Plongée dans ses pensées, elle avait à peine capté la nouvelle arrivée. C'était Sarah. Elle qui avait semblé si forte la veille, peinait à se maintenir debout. Elle refusa néanmoins l'aide proposée par Baptiste. Elle serrait les poings, et tentait tant bien que mal de retenir ses larmes ; mais elle ne parvenait pas à relever la tête.
- Sarah, vous ne devriez pas... Je veux dire, vous auriez dû rester à l'hôpital, gémit le professeur, complètement dépassé par les événements.
- Taisez-vous. Ma soeur... Ma soeur est morte... Je... Je n'ai pas pu la sauver... Ce jeu... Ce jeu... Il est bien réel !
Elle s'était effondrée sous le poids de ses propres paroles. Le chagrin et la culpabilité, un bien mauvais mélange.
- Lorsque je suis allée me coucher... elle était en pleine forme... Elle... Elle m'a souri... Et lorsque je me suis réveillée... Son visage... Ce n'était même plus un visage... Elle.... Elle avait frappé à ma porte... Si seulement elle avait pu crier...
Aïtu déglutit. Elle ne l'avait jamais vraiment appréciée, mais il fallait reconnaître que c'était terrible.
Elle ne voulait pas subir le même sort.
- Ma soeur a été assassinée... Et je n'ai même pas pu la sauver, répéta Sarah, en état de choc.
Le suicide virait soudain à l'assassinat.
Pourquoi le professeur avait-il menti ? Etait-ce pour les "protéger" ?
Il semblait s'être évanoui sur son bureau.
Anna la serra dans ses bras et l'aida à se relever. Pour la première fois, elle put les regarder dans les yeux.
- Si je suis revenue ici, c'est pour lutter. Personne d'autre ne doit mourir pour ce jeu. Personne d'autre. Obéissez-lui, même si ça n'a aucun sens. Obéissez-lui, et personne ne mourra. Embrassez qui il veut, déshabillez-vous à son bon vouloir, couchez avec n'importe qui, mais surtout... Ne désobéissez pas. Ce petit jeu ne pourra pas durer indéfiniment, nous finirons bien par trouver qui en est l'auteur.
Le discours de la déléguée jeta un grand froid dans la classe.
- Elle a raison, acquiesça Anna, qui que soit ce maudit roi, nous le ferons tomber. Que dit le quatrième ordre ?
- Il dit qu'Aïtu doit faire sa déclaration d'amour, fit Kayna d'une voix détachée, ce qui lui valut plusieurs regards noirs.
- En effet, confirma-t-elle, tentant de garder son calme.
Personne ne devait savoir ce qu'elle s'apprêtait à faire.
Elle devait protéger son secret.
- Fais-le, ordonna Sarah devant son hésitation.
Elle se trouvait désormais au centre de la pièce, elle était le centre de tous les regards. Elle inspira un bon coup, et lâcha dans un souffle :
- La personne que j'aime c'est...
Elle voulut continuer, mais sa voix s'était arrêtée. Plus aucun son ne voulait sortir. Elle se massa automatiquement la gorge. C'était ce qui lui arrivait toujours lorsqu'elle avait honte.
- La personne que j'aime c'est Jax, déclara-t-elle, une fois calmée.
C'était ce qui lui arrivait lorsqu'elle mentait.
- Vraiment ? Tu aimes cet idiot ? demanda Naith, dubitative.
- Eh bien, oui... J'imagine que je l'aime...
Elle n'osait pas le regarder dans les yeux. Elle surprit tout de même le regard intrigué que Kayna lui lançait. Un regard qui voulait dire : Menteuse.
Jax se frotta le menton, faisant mine de réfléchir. Mais personne ne taquina le couple déclaré. Il fallait dire que l'heure n'était pas aux plaisanteries.
Les minutes passaient, et enfin quelqu'un fit remarquer ce que tous n'osaient pas remarquer.
- Nous n'avons pas reçu le texto, pourtant...
Comment était-ce possible ?
Comment pouvait-il savoir qu'elle mentait ?
Elle n'était plus pâle mais livide. Pire encore, blâfarde.
Elle était un cadavre vivant.
Comment ?
- Ca suffit, maintenant, la gronda Arya.
Comment était-ce possible ?
- Tu dois leur dire, cette plaisanterie a assez duré, dis-leur, insista-t-elle devant sa résistance.
Qui ? Et pourquoi ?
Elle n'évita pas la gifle de son amie.
- Aïtu ! Ta vie vaut mieux qu'un secret.
Ses neurones s'agitaient dans tous les sens, en quête d'une solution, passant par des tas de suppositions grotesques et biscornues.
Non, vraiment, elle n'avait pas le choix.
- Je...
Les mots ne sortaient pas, comme toujours.
Elle se rapprocha d'Arya et tendit une main vers son visage avant de l'embrasser. Un baiser très bien accueilli par sa partenaire.
Lorsqu'elles se séparèrent, son portable vibra. Cherchant à tout prix à se dégager des brimades de ses camarades – qui semblaient tous surpris – Aïtu s'écarta du groupe, et frémit en lisant le nouveau message.

Jeu du roi : L'ordre a bien été exécuté. Cependant, pour avoir osé mentir au roi, la fille n°3, Aïtu, recevra un gage.--END--



- Laissez-la tranquille !
C'était la voix de sa soeur, Alix. Elle en fut agréablement surprise. Celle-ci s'était dégagé un chemin pour parvenir à elle. Elle semblait gênée.
- Je ne savais pas pour Arya... Mais... Je suis tellement contente pour vous deux. Je comprends soudain mieux pourquoi elle avait tenté de m'embrasser, un jour, ricana-t-elle joyeusement.
- Roh, c'est bon, ronchonna Arya après qu'Aïtu lui ait lancé un regard noir.
- Alix... Tu ne diras rien à papa, n'est-ce pas...?
Les deux soeurs retrouvèrent soudain tout leur sérieux. Elle savait lorsqu'Alix mentait. Tout simplement parce qu'elle savait lorsqu'elle-même mentait.
Et Alix ne mentait pas.
- Tu n'avais pas besoin de me le demander, soeurette.
- Je voulais juste m'en assurer.
Alix lui adressa un clin d'oeil complice qu'elle ne lui rendit pas, bien trop enfoncée dans la bourbe de ses pensées.
Sa soeur jumelle elle-même ne connaissait pas son secret.
Qui d'autre que Kayna et Arya pouvait en connaître l'existence ?
Son regard se posa sur celle qu'elle avait considéré comme son amie dès ce fameux jour. Kayna l'observait aussi, le sourcil de son oeil bleu en l'air.
Qu'allait-il se passer, à présent ?  

King's Game : le jeu infernalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant