Chapitre 12

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Zodyak fumait tranquillement sa clope en contemplant son nouveau tatouage. Une patte d'ours sur son avant-bras. La veille, il avait consulté l'avis de google, qui lui avait répondu que l'ours est discret, pragmatique, intelligent, méticuleux, patient, il sait ménager sa force tout en restant modeste, c'est aussi un grand solitaire, nerveux, irascible, reclus, routinier, taciturne et territorial.
Il en conclut que c'était son portrait tout craché et se rua le lendemain chez le tatoueur.
En réalité, il n'avait pas même compris la moitié de ces termes, et l'idée d'ouvrir un dictionnaire l'avait rendu nauséeux.
En sortant, il avait reçu ce texto. Ce mec là... Jax, ouais. Un mec de sa classe. Sa classe. Il lui avait demandé d'attendre devant le portail du lycée. Il aimait pas qu'on lui donne des ordres, Zodyak, mais bon, il lui devait bien ce service. Alors il attendait, tout penaud, devant les grilles de ce lycée qu'il n'avait dû franchir qu'une seule fois, un triste matin de septembre, sombre jour de sa vie. Il avait ressenti cette chose si commune à nous autres, et si nouvelle pour lui : l'ennui. Lorsque le doux son de la sonnerie retentit pour la première fois de la journée, Zodyak escalada les grilles devant les yeux abasourdis des pauvres petits Secondes qui passaient par là, et se jura de ne jamais y remettre les pieds.
Bon, c'était pas tout mais... Attendre quoi, en fait ?
Ca faisait bien une demi heure qu'il glandait là, le paquet de cigarette à la main.
Avait-on osé le tromper ? Lui, le grand Zodyak ? Fils des rues et patte de l'ours ?
Son portable décida de vibrer à ce moment-là.
Zodyak manqua faire tomber sa clope en fouillant sa poche.

Elle arrive. Attrape-la. Dis-lui ce que je t'ai dit.
Jax



- Hmm ?
Oh, et puis bordel, il s'en foutait, en fait.
Il eut tout de même le tact de lui répondre. Il voulait lui dire qu'il se cassait, mais quand même, c'était pas sympa de sa part. Il était bien embêté, là.

Ki sa ???



Lorsqu'il appuya pour la troisième fois sur le point d'interrogation, Zodyak comprit qu'il n'avait finalement pas besoin d'attendre la réponse.
Kayna escalada les grilles et se laissa tomber sur le sol, remerciant le ciel de lui avoir donné un postérieur compétent, pour ne pas dire protubérant. Deux fois dans la même journée. Tout de même. Elle se releva, et cette fois-ci, prit le temps de s'épousseter, non sans grommeler quelques jurons.
- Mademoiselle ? demanda aimablement une voix.
Elle leva la tête pour constater avec froideur qu'un sale type la lorgnait délibérément, un large sourire sur les lèvres.
Merde, songea Zodyak, qui c'était cette fille ? Une pirate ? Il fit un pas en arrière, puis se ravisa. Bah, ça restait une fille.
- Une clope ? proposa-t-il en lui tendant la sienne.
Une clope ? Elle opina, la lui arracha des mains, fit mine de tirer une bouffée, et finalement la jeta à terre, en prenant bien soin de l'écraser.
- Voilà ce que j'en fais de toi et de ta clope.
- Hé ! C'est Jax qui m'a demandé de t'attendre.
Kayna le toisa de haut en bas, partagée entre l'envie de rire, et de pleurer. Elle n'avait pas de temps à perdre à écouter les divagations d'un toxicomane. Elle l'écarta furieusement de son chemin, sûre de son bon droit.
Et s'écrasa littéralement sur le trottoir.
Le type la plaquait d'une seule main. Kayna se sentit plus vulnérable que jamais. Jamais Jax ne lui avait montré une telle puissance ; jamais elle n'avait combattu un mec avec autant de force. Elle se rendit à l'évidence.
- C'est bon, je t'écoute, le naze.
- Je ne te connais pas, je ne sais même pas ce qui t'arrive, mais il y a une chose que je sais, si tu es innocente, alors tu n'as rien à craindre. Tu n'as pas à fuir. Tu dois leur dire. Vas te rendre. Le roi, c'est pas toi.
Le type avait l'air sérieux. Elle ne pensait même pas qu'il en était capable.
Ce miraculeux revirement ne dura que quelques secondes.
- C'est bon ? C'était bien ? Bordel, t'imagines pas comme j'ai eu du mal à l'apprendre, ricana-t-il.
Kayna leva les yeux au ciel. Décidément, elle était entourée d'abrutis. Il s'était assis sur elle, tranquillement. Elle tenta en vain de le dégager, mais ce mec devait peser deux fois son poids. Il émit un petit soupir d'impatience, et sortit une autre clope de son paquet, veillant à la laisser hors de portée de main de sa captive.
- Laisse-moi partir, espèce de con ! rugit Kayna en se débattant jusqu'à perdre son souffle.
- Nan, dit-il simplement, en approchant le briquet de sa merde.
- Si tu ne le fais pas, les flics vont me pincer !
Zodyak sourit devant les protestations de la petite. Elle se la jouait à la dure, hein ? Mais au final, elle avait les chocottes à l'idée de se faire coffrer. Lui, Zodyak, c'était un vrai.
La prison, il connaissait.
- C'est elle ! Arrêtez-la ! lança soudain un agent de police.
- Ça... Tu me le paieras, grogna Kayna.
Avant de lui cracher à la figure.

****



Donova caressa tendrement les doigts de sa sœur. Elle avait l'air plus paisible que jamais, emmaillotée de ce drap blanc. Il déposa un dernier baiser sur son front, et sortit de la pièce, non sans un pincement au coeur de l'abandonner ainsi.
Il l'aimait. Il l'avait toujours aimée. Elle était son modèle. Sha avait toujours été douce avec lui. Il aurait même dit plus ; elle était la douceur incarnée.
Il était né d'une aventure de son père avec une prostituée, qui, peu gré du cadeau qu'il lui avait offert, le lui avait retourné, neuf mois plus tard, portant encore le bracelet de maternité.
La mère de Sha, qui était une femme douce, l'avait accepté comme s'il s'agissait de son propre fils.
Quant à son père, il ne s'était jamais pardonné son erreur.
Il y avait ce placard, où son père le cachait lors des importants repas d'affaires.
Il y avait ce précepteur, à qui l'on avait assuré qu'il était un cousin éloigné de la famille.
Il y avait ces réunions de famille, où jamais il n'avait le droit de participer.
Jamais Donova n'avait posé un pied hors de la demeure familiale, jusqu'à ce fameux jour.
Sha avait ouvert le placard, elle avait allumé la lumière. Il avait un mois de plus, et pourtant, Donova paraissait si fragile, si chétif à côté d'elle.
"Donova... j'espère qu'un jour tu comprendras que ce que j'ai fait, c'est parce que je t'aime." lui avait-elle dit d'une voix douce.
Il n'avait pas compris, du moins pas avant que le placard ne s'ouvre totalement.
Les flammes dévoraient les murs du sinistre couloir qui conduisait à sa prison secrète. Donova avait ouvert de grands yeux paniqués, il aurait volontiers crié, si sa bouche n'était pas recouverte d'un épais sparadrap, sparadrap qu'arracha aussitôt sa soeur aînée. Elle avait délié les cordes qui nouaient ses mains, tranché ceux de ses pieds, puis elle l'avait porté sur ses épaules.
"Allez, viens." Il avait hésité, puis, timidement, il avait attrapé la main qu'elle lui tendait.
Ils avaient à peine neuf ans, et Sha avait mis le feu à leur maison, songea-t-il, en souriant. Elle n'y allait jamais de main morte.
Et puis, elle l'avait posé, là, sur la dernière marche de l'escalier. Elle lui avait demandé de ne pas bouger. Tout s'écroulait autour d'eux, et il parvenait à peine à respirer, mais Sha refusait de sortir. La porte de sortie n'était pourtant qu'à quelques pas...
Elle voulait qu'on vienne les chercher.
Mais personne ne venait.
Alors Sha a fait cette chose, quelque chose qu'il n'avait pas comprise. Elle avait ramassé le goulot d'une bouteille et l'avait brisé sur son front. Il n'avait jamais eu aussi mal. L'alcool s'était répandu sur son visage, son visage qui n'avait pas tardé à prendre feu. Elle lui avait demandé pardon. Elle lui avait assuré qu'elle l'aimait. Et puis elle l'avait pris sur son dos, et ils étaient enfin sortis.
Sa mère attendait, effondrée, les pleurs dévorant son visage ; son père avait le téléphone à la main, les sourcils froncés, comme à chaque fois qu'il traitait d'affaires sérieuses. Et puis, il avait lâché le téléphone l'avait arraché des bras de Sha. Il avait stoppé le feu en le serrant contre lui. Les pompiers ne tardèrent pas à arriver. Il se souviendrait toujours du sourire de Sha lorsque l'ambulance l'avait emporté. Un sourire bien doux.
Elle avait brûlé la demeure pour qu'il puisse enfin en sortir. Elle l'avait défiguré pour qu'il puisse enfin être admiré de tous. Il ne lui en avait jamais voulu.
Suite à cet "accident", son père l'accepta en tant que fils, bien qu'illégitime, de la grande famille, et lui permit enfin d'aller à l'école comme tous les autres.
Une multitude d'opérations chirurgicales lui permirent de retrouver un visage normal, même si son oeil gauche avait perdu sa couleur océan, la même que celle de Sha, pour un gris pâle. Ca lui donnait un petit air effrayant, mais rien de vraiment déplaisant.
Depuis ce jour, Sha était devenu son modèle.
Il soupira en attendant le docteur, qui,finalement décida de se montrer.
Ce dernier ne savait pas s'il fallait sourire, ou garder un ton grave devant ce type de situation. Finalement il opta pour un visage neutre.
- Les jours de votre sœur ne sont plus en danger, déclara-t-il. Malheureusement, nous n'avons rien pu faire pour l'enfant...
Le docteur se gratta nerveusement sa barbe naissante, et poursuivit :
- Elle portait une protection au niveau de l'abdomen... Il n'y a pas de doute possible, elle n'aurait pas survécu sans.
Donova hocha la tête pour le congédier.
Sha l'avait toujours protégé, et c'était son tour, désormais.

****



Après avoir appelé les secours et assommé sa sœur jumelle d'un coup de crosse, Aïtu s'était sauvée, profitant, à son insu, de la panique qu'avait causée Kayna chez les policiers.
Elle avait couru.
Elle ne s'était arrêtée qu'un court instant auprès d'une petite mare, où elle se contempla quelques secondes.
Elle y vit un tout autre visage de celui qu'elle connaissait.
Visage qu'elle brisa en balançant furieusement son portable, avant de reprendre sa fuite.  

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