Enchaîné - chapitre 6

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17 avril, 2014


      Vingt-trois heures et dix-sept minutes. Comment pouvait-on passer autant de temps dans une bibliothèque. N'avait-elle nulle part où aller? Des gens à voir, des amis, des sorties à faire? Tout le monde avait des passe-temps. Pourquoi pas elle? N'avait-elle pas besoin de sommeil? Il en aurait bien eu besoin, pour sa part.


      Il avait passé une semaine à la suivre au pas, à retenir chaque endroit où elle avait mis les pieds, combien de temps elle y était restée, ce qu'elle y avait fait. Il avait vu chaque visage à qui elle avait sourit, avec qui elle avait parlé. Il savait leur nom, leur adresse, leur liste de cours. Tout. Il connaissait son emploi du temps à l'école, en plus de celui au café où elle travaillait sur la trente-quatrième rue. Elle voyait à peine l'homme que tout le monde appelait son «copain». Ils ne se voyaient jamais chez lui, toujours chez elle. Ils allaient souper tous les jeudi soirs, peu importait combien de travail elle avait. Elle gardait contrôle d'une situation agréable qui était vouée à se terminer éventuellement. Elle étudiait beaucoup. Souvent seule. Comme ce soir.


      Assise à une table, elle prenait des notes à même un dossier qu'on lui avait remis. Elle avait demandé à voir des copies de témoignages classifiés qu'on lui avait refusés. Pierce s'était bien assuré qu'elle n'aurait pas les réponses nécessaires pour mettre son enquête sur pied. Toutefois, elle ne s'était pas arrêté à cette porte fermée. Elle trouvait ce qu'elle voulait dans d'autres dossiers, indirectement. Elle était brillante. Presque trop.


      Pierce avait raison. C'était presque du gâchis de la voir mettre ses talents au profil de l'anthropologie. Elle aurait pu être utile dans les services secrets. Il lui aurait appris beaucoup. Le soldat aussi.



      Rumlow eut un mouvement pour se replacer. Il se tenait en équilibre sur les deux pattes arrières de sa chaise, ses pieds reposant sur le rebord du toit. Ses bras étaient croisés sur son torse, ses yeux ne quittant pas la petite lumière verte de la septième table. La jeune femme se levait régulièrement pour disparaître entre les rayons bourrés de livres. Elle revenait immanquablement avec un nouveau dossier beige qu'elle ouvrait en cherchant une ligne particulière qui lui arrachait un soupire.


      Il soupira lui-même un instant. Il se demanda pourquoi on n'avait pas voulu l'éliminer dès qu'elle avait changer la direction de sa thèse. Le soldat aurait pu le faire facilement, rapidement. Seulement, elle était encore bien jeune. Elle était curieuse, simplement. Du moment qu'elle ne l'était pas trop. Elle n'était pas la première à évoquer la théorie du complot dans l'affaire du président Kennedy. Hydra n'avait pas tué tous ceux qui s'étaient questionnés sur la chose.



      Mais où était-elle? Rapidement, l'homme se redressa, alerte. Elle n'était plus à sa table. Elle n'était pas revenue d'entre les étagères. Il s'appuya au muret de sécurité du toit et y appuya son sniper. Il régla le viseur et fixa la table. Rien. Son sac n'était plus là, plus de livres. Le préposé de la bibliothèque la cherchait visiblement, lui aussi.


«– Merde... MERDE! s'écria-t-il de rage, remballant son arme si rapidement qu'il renversa sa chaise.»


      Il descendit de l'immeuble en courant et se retrouva dans la rue. Elle n'y était pas. Nulle part en vue. À cette heure, elle devait rentrer chez elle. Peu importait ce qu'elle ferait; ce serait là-bas qu'il la retrouverait. Alors il prit ce chemin qu'il commençait à connaître par cœur. Instinctivement, il ralentit le pas devant les ruelles, les coins de murs, devant les baies vitrées des commerces encore ouverts.

Brise d'été et vent d'hiverWhere stories live. Discover now