PARTIE 6. LA PORTE DE L'AU-DELÀ

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Situé à près de quatre mille sept cents mètres d'altitude sur le flanc Ouest de l'une des nombreuses chaines montagneuses tibétaines, le temple bouddhiste de Wong Hue Shen[1] paraissait comme suspendu dans le vide. Incrusté dans la roche, il se confondait avec le spectaculaire relief naturel. Seuls ses épais piliers rouges et ses luisantes tuiles couleur or, se distinguaient du massif graniteux gris. Un antique escalier tout de bois permettait de rallier le premier village, quelques kilomètres plus bas. Autant dire qu'il ne fallait pas avoir la phobie du vide, ni manquer de confiance en la solidité de l'architecture. Apparemment, Alan Robinson ne craignait ni l'un, ni l'autre et y semblait même à l'aise.

Ces derniers mois, il avait trouvé asile dans cet endroit insolite établi à l'autre bout du monde. Avant le Tibet, il avait connu d'autres lieux de quiétude, notamment en Thaïlande et en Inde. Mais ici, c'était la première fois qu'il laissait une adresse où le joindre. Bien sûr le courrier était délivré de temps en temps et de façon irrégulière, mais le monastère n'était pas totalement coupé du monde. Lorsqu'il était arrivé dans cette région de l'Asie, c'était à ses proches qu'il avait pensé. A Kathy qui devait être guérie de sa maladie. A la volonté de vivre des enfants du service pédiatrique de St Fortunat. A la transplantation cardiaque d'Emmy. Et à Shawn. Comment tous ces êtres chers s'en sortaient sans lui, depuis le début de son pèlerinage, il y a maintenant un an et demi ?

Après la disparition de sa famille, il avait complètement perdu pied. La culpabilité avait violemment affecté son cerveau et l'avait déconnecté de la vie. Aujourd'hui sa souffrance existait toujours, mais il commençait à revenir à la raison. Il réintégrait cette réalité où sa femme et sa fille, qu'il avait tant négligées, étaient parties pour toujours. Voilà pourquoi il avait écrit à Ted Gray, son ami d'enfance. Il s'inquiétait et voulait des nouvelles. Cependant, les nouvelles en retour n'étaient pas bonnes. Pas bonnes du tout....

Plusieurs jours plus tard, à l'unité de réanimation de l'hôpital St Fortunat :

BIP...BIP...BIP...

Dans la chambre 2306, l'activité cardiaque délivrée par le moniteur, laissait planer une bien funeste mélodie. Toutefois, elle était stable, régulière et cadencée à rythme tout à fait normal.

- Comment est-ce arrivé, Ted ?

Alan Robinson qui se trouvait derrière la porte de la chambre d'hôpital, s'entretenait avec son ami qu'il venait de retrouver après plus de dix-huit mois d'absence. Ted avait été choqué par la perte de poids importante d'Alan, revenu précipitamment au pays, après la réception de son court message indiquant qu'un malheur était arrivé.

- Il a atterri dans une famille de malade, voilà ce qui s'est passé. Son père adoptif ne valait pas mieux que son père biologique. En fait, Shawn ne se laissait pas faire
et comme il se rebellait, il prenait des corrections de plus en plus fortes. Oh Alan, on a pourtant essayé de le récupérer après la rémission intégrale de Kathy. Mais c'était trop tard, il s'était fait adopter.

CRACCC !

Tout à coup, un objet en plastique bleu se brisa entre les doigts de l'ancien tuteur de l'enfant. On pouvait voir sur son visage toute la colère qui bouillonnait en lui. Ne manifestant aucun intérêt pour le malheureux stylo, il continua aussitôt ses explications.

- Ses nouveaux parents l'utilisaient comme main-d'œuvre dans une ferme. Tu sais, Shawn n'était pas le seul enfant là-bas, ils étaient les victimes d'un trafic ignoble. Dire qu'on nous a refusé la garde à cause de la maladie de Kathy pour son bien-être. Ces lois sont vraiment illogiques et cruelles.

Le regard embué du doc qui laissait échapper quelques grosses larmes, se posa sur la porte de la chambre 2306 où Shawn Mckinley luttait entre la vie et la mort. Lourdement ébranlé, Alan pénétra à l'intérieur de la pièce baignée par les rayons du soleil couchant qui filtraient le store. Alors qu'il s'installait sur une chaise au chevet du garçon dans le coma, il se remémora les bons moments passés avec lui, avant de se lancer dans un pénible monologue.

Au-delà de toutes rancoeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant