Au-delà de toutes rancoeurs

PARTIE 8. LE DON (1)

Le lendemain après l'étrange épisode qui l'avait tant effrayé, Shawn quitta la maison des Gray très tôt pour se rendre en cours, emportant avec lui son précieux carnet à dessin, qui n'était encore jamais sorti de sa chambre. Il n'avait plus fermé l'œil après ce qui s'était passé et tout ce dont il avait besoin sur le moment, était de prendre l'air. Son cerveau s'était focalisé sur le fil des évènements de la veille, ne cessant de diffuser en boucle dans sa tête, les images de ce qu'il avait fait avant de s'assoupir. Comment avait-il pu dessiner le portrait d'Ashley Robinson sans s'en rendre compte ? Et puis cette légende ? Elle lui était adressée. Quel intérêt d'écrire un tel message à sa propre intention ? Souffrait-il d'un genre de schizophrénie ?

Comme il avait au moins une heure d'avance et qu'il était seul devant l'établissement scolaire, il s'assit sur un muret devant la grille, se munit d'un crayon gris ainsi que de son bloc et commença à reproduire le funeste portrait. A cette heure de la matinée, il faisait un peu frais en plein mois d'octobre, mais cela ne dérangea pas l'adolescent à l'esprit torturé. Il fut toutefois interrompu par une voix familière et désagréable qu'il ne connaissait que trop bien. Celle d'Eric Palmer.

- Hey mec, qu'est-ce que tu fous-là ? T'étais pressé de venir étudier ou quoi ?

Le dénommé Eric qui l'avait interpellé sur un ton arrogant et qui dégageait l'odeur de la frime à plein nez, portait des vêtements d'une grande marque de luxe. Son chic jean noir était volontairement déchiré au niveau des genoux et ses baskets sentaient encore le neuf. Ce garçon n'était pas très grand mais sa large carrure et sa tête de pitbull, imposaient le respect aux autres ados.

Il était accompagné de deux jeunes du même âge que lui, c'est-à-dire de quinze ans (un an de plus que Shawn). Contrairement au meneur du groupe, ces deux-là ne paraissaient pas obsédés par leur look puisqu'ils étaient vêtus de vieux survêtements quelconques dont les hauts et les bas étaient dépareillés. L'un se nommait Justin. C'était un grand rouquin musclé, aux oreilles décollées et à la peau ravagée par de nombreuses cicatrices d'acné. L'autre se faisait uniquement appeler par son nom de famille, Spencer. Trouvant le prénom dont ses parents l'avaient affublé bien trop ringard, il ne supportait pas que l'on s'adresse à lui en l'utilisant. De par son gabarit, lui aussi faisait penser à un molosse.

Shawn rangea son carnet dans son sac à dos de façon nonchalante, pour ne pas attirer l'attention dessus.

- Je pourrais vous poser la même question, les gars ? Je ne savais pas que vous étiez capable de sortir de votre lit, si tôt le matin. Surtout pour aller en cours.

Eric ricana.

- T'inquiète, on n'est pas venus en avance pour fayoter mais pour se venger. Tu te souviens de la façon dont le prof d'histoire m'a traité, l'autre jour ? Ce sale con va regretter d'avoir fait ça. On va repérer sa caisse et quand tout le monde sera en classe, on va lui démolir.

Shawn se leva du muret et s'approcha de son interlocuteur, laissant les deux autres garçons dans son dos. Bien qu'il fût plus jeune qu'Eric Palmer, il le dépassait déjà de deux têtes. En seulement deux années, la petite crevette avait bien grandi et il s'était largement rattrapé. Il avait conservé sa jolie couleur claire de cheveux et était devenu un jeune homme au physique agréable. Sur sa joue gauche, juste en dessous de sa pommette, une petite cicatrice qui continuait à s'estomper avec le temps, était l'unique témoignage physique du mauvais traitement qu'il avait subi chez les odieux personnages qui l'avaient adopté.

- Ouais, je me rappelle de ça, il t'a humilié devant tout le monde avec une excellente repartie. Mais tu l'avais cherché donc c'était de bonne guerre. Maintenant assume, Palmer.

- Tu te fous de ma gueule, là ? C'est pour ça qu'on ne t'a pas mis dans ce coup. Tu es un type imprévisible et parfois on se demande si t'es bien des nôtres. D'ailleurs si on s'est fait pincer hier au centre commercial, c'était de ta faute. Tu étais au courant pour la caméra. Justin t'a vu lui montrer ton majeur. Tu nous as placés en plein dans son champ de vision, exprès. Comme si ça t'amusait de te faire prendre. T'es complètement débile comme mec.