PARTIE 4. L'ARGENT D'UNE GRIPPE-SOUS, TU NE VOLERAS POINT

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Deux ans plus tard :

Dans la camionnette blanche de désinsectisation qui roulait à vive allure en direction du nord du Michigan et sur laquelle un immense cafard marron tout en plastique semblait voler dans les airs ; Gustave et César se querellaient au sujet d'un plan d'action qui avait mal tourné.

Petit, menu et chauve, Gustave surnommé Gus par son frère, était le cerveau du duo. Il portait constamment une perruque brune et frisée qui lui faisait une coupe à la Jacksons'five. Tandis que César de par sa corpulence, ressemblait plus à un géant. En guise de cheveux, une fine queue de rat lui descendait dans le dos. Il était le demeuré qui habituellement, exécutait les plans à la lettre. Les deux frangins n'avaient ni la même teinte de peau, ni la même couleur de yeux. Sur tous les aspects, ils étaient radicalement opposés. Cependant, jamais l'un n'allait sans l'autre.

- Mais qu'est-ce qui a encore bien pu se passer dans cette petite noix qui te sert de cervelle ? T'as ramené la vieille. T'es malade ou quoi ? Qu'est-ce qu'on va en faire ?

- Arrête de hurler, Gus. J'ai paniqué, elle avait un taser dans la main et elle s'apprêtait à faire sonner l'alarme. Comment tu voulais que je la stoppe avec cette saloperie de cagoule dans laquelle on ne voit rien ?

- T'es en train de me dire que t'as enlevé ta cagoule devant elle ? Elle a vu ton visage ?

- Ben à ton avis pourquoi je l'aurais ramenée, sinon ? Toi qui me prends toujours pour un idiot, tu vois bien que j'y ai réfléchi.

- Tu parles, si t'étais moins con, tu l'aurais assommée en restant dans l'anonymat et tu m'aurais rejoint dans la camionnette avec juste le contenu du coffre-fort.

- C'est là qu'intervient mon idée géniale. Quand je l'ai vue étalée comme ça sur son tapis persan, je me suis dit qu'on pouvait se faire encore plus de blé en faisant une demande de rançon à la famille. C'est la première fois que j'ai un éclair de génie comme ça.

- Ouais et je préfère que tu t'abstiennes de ce genre de connerie. Elle a vu ton visage ! T'as pas compris ce que ça signifie ? On va devoir la liquider.

- Bah, pas besoin ! Qui qui serait intéressé par les ragots d'une vieille de quatre-vingts balais ? A cet âge-là, ils ont tous Alzheimer, ils disent n'importe quoi.

- Non, ils n'ont pas tous Alzheimer. Et qui que ça pourrait intéresser ? Ben je ne sais pas, t'as pensé à la police, par exemple ?

- C'est bon, Gustave t'es toujours en train de me crier dessus et de critiquer tout ce que je fais. T'avais qu'à me laisser conduire et c'est toi qui serais allé vider le coffre. D'abord, elle était pas censée être chez elle, la vieille, à cette heure-là.

- Tiens donc tu m'en diras tant ! C'est toi qui as confirmé l'info, pourtant. GRRRRRR ! Bon et sinon... fais voir la malle.

La mallette du parfait dératiseur dont césar s'était servi pour entreposer le butin volé, regorgeait de bijoux, d'objets de valeur et d'une très grosse liasse de billets verts dont la somme s'élevait à vingt mille dollars. Gustave ne comprendrait jamais pourquoi ces vieux richards gardaient leurs trésors chez eux, comme ça plutôt que de les placer en sécurité à la banque. Il supposait que c'était parce que ces grippe-sous prenaient les banques, elles-mêmes, pour des voleuses. C'était tellement plus facile, du coup.

- Bon ! Il faut qu'on décide comment se débarrasser du corps. Ça chamboule tous mes plans, tes conneries.

- Pardon, Gus.

- Ouais, c'est ça tu peux être désolé. T'as une idée maintenant de la façon de la descendre sans laisser d'indices ?

Pendant que Gustave grondait son débile de frère, la dame âgée à l'arrière du camion reprenait ses esprits. Elle comprit vite ce qui était en train de se tramer en entendant les paroles du conducteur. D'une rapidité étonnante pour une femme de cet âge, elle attrapa le deuxième taser qu'elle avait planqué dans son soutien-gorge (les vieux grippe-sous ne sont jamais trop prudents), puis elle s'élança sur le gros dadais qui l'avait agressée durant la diffusion de son feuilleton préféré.

- Vous allez voir si vous allez me voler espèces de sales voyous. Je vais vous foutre la déculottée du siècle. Celle que votre mère ne vous a jamais mise.

Son gros chignon gris était tout défait mais ses cheveux tenaient encore en l'air, grâce à une considérable quantité de laque. Plusieurs petits épis partaient de tous les côtés. L'un des faux sourcils qu'elle aimait porter par pure coquetterie, entravait dès lors tout le long de son large et énorme front fripé. Elle approcha dangereusement l'arc électrique de la nuque de César.

- Putain, elle est encore armée. Vite occupe-toi d'elle, toute suite ! On dirait une vraie cinglée, s'écria Gustave qui gardait les mains sur le volant et les yeux sur la route.

Cependant au lieu de réagir promptement, le gros nigaud pris de panique à cause du son de la décharge et de l'apparence démente de la vieille femme, se mit à hurler comme un damné. Ce qui donna à l'octogénaire, l'occasion de réussir son attaque. Elle laissa l'objet appuyé tellement longtemps contre la peau de son adversaire, qu'une odeur de poils et d'épiderme brûlés se diffusa dans toute la cabine. Avant de tomber inconscient, César qui se débattait dans le vide, envoya son poing gauche directement dans la tête du conducteur. Celui-ci donna un coup de volant sur sa gauche, juste au moment où une voiture avait entrepris de les doubler.

La camionnette de désinsectisation se renversa sur son flanc droit, sous la force de l'impact du véhicule qui l'avait percutée. Elle glissa sur une cinquantaine de mètres, le cul à l'avant, en même temps que le gros cafard en plastique qui s'était détaché. Heureusement, ni elle ni le cafard ne heurta personne d'autre. Les minutes qui suivirent l'accident entre la camionnette des voleurs et la Mercedes grise qui avait choisi de doubler au mauvais moment, furent suffisantes pour provoquer un gigantesque embouteillage.

De l'autre côté de la route, les premiers témoins du drame ne constatèrent aucun mouvement à l'intérieur du camion. Pas plus que dans la Mercedes qui l'avait heurtée, d'ailleurs.

Hélas en se rapprochant de la scène accidentée, ils purent distinguer très nettement par le pare-brise fissuré de l'auto, les corps inconscients d'une femme et d'une enfant âgée entre huit et dix ans. Elles se ressemblaient énormément : couleur de cheveux châtain-clair, forme de visage ovale, petite bouche fine en forme de cœur. Il était incontestable qu'il s'agissait d'une mère et de sa fille.

Ces dernières n'auraient pas dû se trouver à cet endroit-là, à ce moment-là. En fait, à cette heure de la journée, elles auraient déjà dû être au zoo de détroit en train de nourrir les girafes, de s'esclaffer devant les singes farceurs, d'applaudir les éléphants joueurs ou de s'émerveiller devant l'immense maison des papillons. Mais le chef de famille qui avait promis de les y emmener, avait plus de trois heures de retard. Par conséquent, après l'avoir attendu si longtemps, son épouse avait décidé d'annuler, une fois de plus la virée à trois pour s'y rendre uniquement toutes les deux. Cela devenait une habitude de faire les choses seulement entre mère et fille.

Le mari et père des victimes de la collision rentra chez lui au moment de la tragédie. En bon médecin consciencieux qu'il était, il n'avait pas vu le temps passer. Sa femme lui avait pourtant bien supplié de ne pas passer à l'hôpital avant leur excursion. Mais il lui avait juré qu'il ferait juste l'aller-retour.

Seulement en ce beau dimanche ensoleillé, cet homme n'avait pas tenu parole et à cet instant, il ne trouva pas sa famille à la maison.


Au-delà de toutes rancoeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant