PARTIE 7. LE PORTRAIT

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Grégory Walsh, un procureur de justice âgé d'une cinquantaine d'années, écoutait le message laissé sur le répondeur de sa ligne personnelle, que seuls ses proches et ses bons amis connaissaient. Il rappela immédiatement son correspondant, le Dr Alan Robinson qui, quelques années plus tôt, avait sauvé la vie de son fils cadet, atteint d'une grave maladie. Ce docteur avait permis à la famille Walsh de se battre contre le fléau avec courage et acharnement, sans jamais baisser les bras. Aux yeux de ce quinquagénaire au charisme époustouflant, Alan était plus qu'un médecin. Il était un ami.

La dernière fois qu'ils s'étaient vus, c'était à l'enterrement de Brittany et Ashley Robinson. Alan lui avait alors fait part de son besoin d'évasion. Ce qui était tout à fait compréhensible. Mais près d'un an et demi s'était écoulé depuis cette cérémonie d'adieux et Walsh n'avait plus jamais eu aucune nouvelle du doc. Souvent, il s'était demandé où il était et ce qu'il faisait. Il aurait tant aimé pouvoir lui rendre l'appareil en le sortant de son cauchemar.

A la grande joie du représentant fédéral, les nouvelles arrivèrent en cette douce soirée de septembre. Alan était revenu et il avait besoin d'un service. Et même si cela semblait bien peu comparé à ce que cet homme avait fait pour lui, il allait tout de même pouvoir l'aider. Il s'agissait d'intervenir dans une affaire d'adoption...

***

À St Fortuna, les premiers jours passèrent lentement pour Shawn. Ce ne fut qu'au bout d'une semaine, après s'être réhabitué à ingérer de la nourriture par voie naturelle, que les soins de l'hôpital laissèrent place aux soins plus actifs du centre de rééducation fonctionnelle. Forcément durant cette longue période d'immobilisation, les muscles du jeune miraculé s'étaient considérablement ankylosés. La rééducation était donc indispensable. A partir de là, les journées du garçon furent beaucoup plus remplies.

Cependant à son grand malheur, ses nuits étaient également bien comblées. En réalité, elles étaient peuplées de cauchemars. Pendant son sommeil, il revivait les pénibles moments que ses tortionnaires de parents adoptifs et son père biologique lui avaient fait endurer. Parfois, même son esprit inventait d'autres scènes de violence, mais toujours assez similaire. Il lui arrivait souvent de rêver de sa maman, aussi. Il éprouvait alors, non plus de la peur mais de la tristesse.

Et puis il y avait cette fillette à l'image floue. Une vision fantomatique en noir et blanc. Shawn savait qu'il la connaissait, mais il lui était impossible de l'identifier. Dans ce rêve, elle faisait toujours la même chose. Elle se tenait à distance dans l'un des recoins d'une grande pièce toute blanche et le fixait d'un regard sombre et insistant. Ensuite, l'un de ses bras s'étirait lentement comme du chew-gum dans sa direction, en vue de lui offrir une main froide, sans couleur et sans vie. Le son de sa voix parvenait alors à ses oreilles.

Tout d'abord sous forme de murmures et chuchotements indistincts, qui se transformaient par la suite, en véritables hurlements menaçants. C'était à ce moment-là qu'il se réveillait à chaque fois, le cœur battant à tout rompre. Ce rêve étrange lui semblait tellement réel, que c'en était effrayant.

En tout cas, les paroles étaient bien claires : "S'il te plaît Shawn, aide-moi. Aide-le." "POURQUOI EST-CE QUE TU M'IGNORES ? ARRÊTE DE M'IGNORER !"

Evidemment il n'en dit rien à personne, car il ne voulait pas quitter la rééducation pour la psychiatrie. Il détestait toujours autant les psys. Pourtant, se taire ne l'empêcherait pas d'y avoir droit à cause de son mauvais comportement, mais il préférait éviter un sujet qui lui vaudrait des heures supplémentaires de discussions hypocrites et assommantes.

Les semaines devinrent des mois, et grâce à de persévérants efforts conduits par la motivation de quitter son fauteuil roulant, (qui pour lui le faisait passer pour un être faible), il parvint rapidement à ses fins. Il passa tout d'abord en hospitalisation de jour, puis il continua ses séances de kiné chez un particulier, deux fois par semaine. Il put donc rependre sa scolarité normalement et rentrer le soir chez ses nouveaux adoptants. Autrement dit, son ancienne famille d'accueil : le couple Gray.

Au-delà de toutes rancoeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant