Chapitre 10 : Le Flegme Anglais

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Léopoldine avait vécu des choses désagréables, au cours de sa vie. Mais cette fin de nuit fut bien la pire de toutes. Bien droite dans son fauteuil, les mains crispées sur ses genoux et toujours habillée de l'unique robe de chambre de monsieur Florentin, elle se trouvait sous le feu du regard réprobateur de la Duchesse de Millicent.

Oh, et une centaine d'ectoplasmes plus ou moins amicaux se massaient autour d'elle, source du pouvoir qui les avait réveillés de façon particulièrement abrupte.

-Bien, fit Angèle.

Les jambes croisées, sa chemise de nuit affriolante, certainement destinée à son mari, défiant quiconque de la regarder dans les yeux, elle avait une prestance inattendue dans cette tenue.

-Je suppose que vous avez une bonne explication pour tout ce remue-ménage.

Remue-ménage ? C'était l'euphémisme du siècle ! Trois barons étaient morts, terrifiés par les apparitions fantomatiques. La majorité des invités courraient en tous sens avec des cris terrifiés, et le Duc tentait de calmer tout le monde. Aurore et son futur époux sillonnaient le château armés de haches, pour une raison inconnue de Léopoldine. Aliénor se trouvait dans le salon avec elle. L'air tout à fait à l'aise, enveloppée dans une robe de chambre doublée de plumes d'oies, la cadette des Millicent semblait hésiter entre finir sa nuit et écouter la conversation.

-Effectivement, j'ai une explication.

-Pourrais-je l'entendre ?

-Monsieur Florentin voudra certainement en faire de même. Autant attendre son retour.

La Duchesse plissa les paupières, Aliénor se redressa sur son siège, soudain en alerte. La sueur perla aux tempes de la sorcière. Elle avait peut-être commis une erreur en parlant ainsi, mais bon sang, elle n'était pas entièrement responsable de cette catastrophe !

-Pardon ?

-Qui est Lord Abiscon ? s'enquit Léopoldine.

-Un ami de la famille.

-Lors Abiscon doit venir !? s'exclama Aliénor, parfaitement réveillée à présent.

-Oui, fit sa mère avec irritation. Et c'est l'homme qui vous a offert de prendre sa calèche, mademoiselle de Briac, lors de votre fuite de La Cuisse Dorée.

Léopoldine réfléchit rapidement. Elle se souvint vaguement d'un individu flegmatique lors de leur sortie en fanfare, mais rien d'autre. La sorcière eut un frisson incontrôlable, lorsque la main spectrale d'un mort passa au travers de son épaule. Elle fusilla du regard l'auteur de cette mauvaise farce. Aussi surpris qu'elle, le fantôme regarda ses doigts avec étonnement, sans parvenir à s'excuser.

-En quoi cet anglais peut-il nous venir en aide ? D'ailleurs, ne se trouve-t-il pas actuellement à Paris ? Il faudra des jours pour qu'il arrive.

-Bien sûr que non, rétorqua la Duchesse. N'oubliez pas notre mode de transport, mademoiselle.

Oh, effectivement. Le cercle de champignons risquait de leur être bien utile, dans cette entreprise. Néanmoins...

-Cela ne répond pas à ma question. En quoi peut-il nous aider ?

-Et vous ? Quelle est votre explication, mademoiselle de Briac ?

Les deux femmes s'affrontèrent du regard. Aliénor, installée entre elles d'eux, commençait à s'amuser. La tension était à son comble lorsqu'Aurore de Millicent ouvrit la porte à la volée. Toujours avec sa hache à la main, elle ne parut pas surprise par la population fantomatique du salon.

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