Chapitre 4: Premier test

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Anita conduisit Déa jusqu'à une porte au fond du couloir du premier étage. La petite fille lança un regard paniqué par-dessus son épaule et capta le sourire encourageant de Fanelle dans les ombres qui peuplaient le corridor. Elle déglutit avec difficulté et se laissa entraîner.

— Va, il t'attend, lui dit Anita d'une voix douce.

— Ça... ça va faire mal ? ne put s'empêcher de demander l'enfant.

— Je ne sais pas, je ne pense pas. Allez va.

Elle la poussa doucement de la main avant de faire demi-tour en l'abandonnant là. Déa resta de longues secondes figée devant la porte, à en observer le mécanisme archaïque. Aucun code à entrer, pas de caméra pupillaire ni de boitier pour les empreintes digitales. Rien qu'une poignée de fer patinée par le temps et le passage des mains. Elle prit une grande inspiration et poussa la porte.

De l'autre côté, un monde éclatant l'accueillit. Exempte de toute fenêtre et de toute autre ouverture que celle par laquelle elle venait de passer, la petite pièce était entièrement peinte en blanc. Au milieu trônait un large fauteuil de réalité augmentée dans lequel Soren était affalé, ses longues jambes négligemment passées par-dessus les délicats accoudoirs argentés.

— Ah, te voilà enfin ! Nous allons pouvoir commencer. Milo !

La porte claqua dans le dos de Déa qui fit volte-face. Un jeune homme, presque un adolescent, à la tignasse blonde s'accroupit dos à la porte. La petite fille frémit lorsqu'elle croisa le regard sombre de Milo. Il la scrutait avec un intérêt certain, la jaugeait de ses prunelles noires. Ainsi tassé sur lui-même, il ressemblait à ces hologrammes de félins qu'elle avait vus à la bibliothèque. Prêts à bondir, à l'affut. Mal à l'aise, Déa tenta de lisser sa robe froissée d'une main tremblante. Un mince sourire étira les lèvres pleines de Milo qui reporta son attention sur Soren. Déa l'imita, les mains moites à présent et le cœur battant la chamade. Qu'allaient-ils lui faire ? Sa main se crispa sur le bracelet qui entourait son poignet et l'empêchait de disparaître. Soren aussi la dévisageait et son sourire ne lui dit rien qui vaille. L'angoisse se mit à ramper le long de sa peau comme un insecte invisible. Elle se gratta le bras.

— Approche, je ne vais pas te manger, lança Soren depuis le milieu de la pièce.

Il se redressa et s'assit correctement entre les bras de son fauteuil. Il tendit une main vers elle. Déa jeta un regard inquiet à Milo, toujours assis au sol et s'avança prudemment.

— On est où ici ?

— C'est une salle de simulation, pour tester ton pouvoir.

— Et lui, c'est qui ? demanda Déa en se retournant encore une fois.

— C'est Milo, il travaille pour moi. Ne fais pas attention à lui. Viens, je vais te retirer ton bracelet. Nous allons commencer par quelques tests simples.

— Pour quoi faire ?

— Tu en poses des questions, s'agaça Soren. J'ai besoin de savoir si ton pouvoir va encore se développer ou s'il a déjà atteint ses limites.

— Pourquoi ? demanda Déa avec aplomb.

— Parce que.

— Parce que quoi ?

— Parce que si ton pouvoir est déjà à son maximum alors tu ne vaudras plus rien !

La dernière phrase claqua dans l'air comme un coup de fouet. Déa se figea à quelques centimètres de Soren, les yeux écarquillés d'effroi. Les questions se bousculaient sous son crâne d'enfant. On allait encore la vendre, comprit-elle dans un éclair de lucidité. Elle n'était rien d'autre qu'un paquet encombrant qui passait de mains en mains, sans intérêt. Elle voulut disparaître, instantanément. Sans réfléchir, elle banda sa volonté, se concentra sur cette unique pensée : disparaître. Disparaître juste assez longtemps pour s'enfuir, se recroqueviller dans un endroit où personne ne la retrouverait. Le sourire éclatant de Soren la ramena à la réalité. Elle relâcha la tension qui broyait ses épaules et fixa le bracelet qui l'empêchait de moduler.

*

Soren jubilait. Milo ouvrait de grands yeux surpris à l'autre bout de la petite pièce. Ils avaient tous les deux sentis la petite fille tenter de se fondre dans le décor. L'angoisse qui se dégageait d'elle était presque palpable. Et alors qu'ils ne s'y attendaient pas, la petite silhouette de Déa s'était brouillée. Comme une image subliminale, elle avait brièvement clignoté malgré le bracelet annihilant qu'elle portait. Une joie carnassière enflammait le ventre de Soren, il avait vraiment bien fait d'acquérir cette petite. Si elle arrivait, si jeune, à court-circuiter les bracelets, alors son pouvoir ne pouvait que se développer. Il la modèlerait pour en faire une œuvre d'art exceptionnelle. Elle avait la capacité de devenir quelque chose de magnifique, il le sentait.

Mais pour l'instant, Déa pleurait en silence. De grosses larmes coulaient le long de ses jours pâles. Agacé, il sortit un mouchoir de sa poche et le lui tendit. Elle leva vers lui deux yeux remplis d'eau et il agita de plus belle le tissu sous son nez. Elle le prit en hésitant.

— Bien, Déa, voilà ce qu'il va se passer. Je vais t'enlever ton bracelet, mais ne va pas croire que tu vas pouvoir nous fausser compagnie. Milo est là pour s'assurer que tu seras une gentille fille.

— Comment ? renifla la fillette.

— Tu n'as qu'à voir Milo comme un bracelet annihilant humain très performant. Il peut annuler les pouvoirs des autres, c'est très pratique. Bien maintenant, passons aux exercices.

Soren se laissa aller contre le dossier du fauteuil et ferma les yeux pour se connecter à l'interface du logiciel. Sur les murs blancs de la pièce, une jungle apparut.


Une heure plus tard, Soren arrêta la simulation et Déa se laissa tomber par terre, les jambes tremblantes. Il se leva pour la rejoindre et fixa à nouveau le bracelet autour de son petit poignet, avant de poser une main satisfaite sur ses cheveux.

— Tu seras incroyable Déa, tu verras. Tu pourras être tout ce que tu as jamais désiré, le monde n'aura aucune limite pour toi !

La petite fille épuisée lui rendit un regard lourd de fatigue.

— Je vais la ramener dans sa chambre, proposa Milo qui desserrait les lèvres pour la première fois.

— Merci, je dois emmener Carreau à son rendez-vous, dit Soren en consultant sa montre.

Milo se leva et souleva délicatement la petite fille dans ses bras. Sa tête dodelina contre son torse alors qu'elle luttait pour garder les yeux ouverts. Un film de sueur perlait au front du jeune homme, preuve s'il en est qu'il avait dû déployer une grande part de son talent pour contenir le pouvoir de la petite fille. Soren repensa à la facilité déconcertante qu'elle avait de se fondre dans les différents décors qu'il lui avait imposés, les faisant varier à un rythme de plus en plus rapide pour tester sa capacité de réaction à son environnement. Elle avait beaucoup de potentiel mais il savait qu'elle restait méfiante et qu'il devrait encore travailler longtemps avec elle avant qu'elle ne rejoigne véritablement les rangs de ses enfants. Il n'était pas inquiet, il n'était pas pressé.

Il leur emboîta le pas et referma la porte de la salle de simulation d'un tour de clef qui alla se perdre dans la poche intérieure de sa veste. Puis il se dirigea d'un pas guilleret vers l'aile des garçons. Un autre rendez-vous d'importance l'attendait et on ne faisait pas attendre l'Artisan.

Fer et SangWhere stories live. Discover now