Chapitre 7: Les Arènes

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L'arène les accueillit avec un bruit assourdissant. Les cris des combattants se mêlaient à ceux des parieurs qui frappaient les barreaux de fer des cages pour les encourager. Roche sentit un frisson de plaisir lui parcourir le corps comme un courant électrique, presque douloureux. Instinctivement, son corps se tourna vers les arènes closes où se déroulaient les combats. Les vociférations volaient au-dessus de lui, couvrant presque le son mat de la chair qui explose. Il frissonna de plus belle, appelé au plus profond de lui par cette violence libérée et malsaine. Il fit quelque pas avant de voir que Soren ne le suivait pas. Le marchand était planté au milieu du passage, indifférent aux gens qui le bousculaient, les yeux rivés sur le sol, plus livide que jamais. Une sueur brûlante lui couvrait le front tandis qu'il luttait visiblement pour se ressaisir. Roche émit un sifflement paniqué en retournant précipitamment vers son maître. Sans Milo pour faire écran autour de lui, Soren était livré à la débauche de dons qui se déployaient autour de lui. Il crispait les poings pour s'empêcher de se déchirer lui-même la peau tant la démangeaison était forte. Chaque personne faisant usage de son pouvoir, Soren le sentait. Roche se demandait souvent comment il n'était pas devenu fou avant d'avoir rencontré Milo. Il s'approcha de son compagnon et posa fermement ses mains sur ses épaules. Soren sursauta et accrocha son regard.

- Concentrez-vous sur moi, maugréa Roche dans le vacarme ambiant.

Il modula lentement, resserrant sa prise sur Soren pour le forcer à ne plus penser qu'à lui et à son pouvoir. Petit à petit, Soren sembla reprendre le contrôle de lui-même et ses traits se détendirent suffisamment pour que Roche le relâche.

- Allons faire un tour, pour voir s'il y a des gens aussi intéressants que le suggère Lori, dit finalement le marchand d'une voix rendue rauque par l'effort.

- Vous êtes sûr ?

- Oui. Reste près de moi.

Roche lança un regard dépité en direction des cages où un homme aux membres extensibles étranglait son adversaire en enroulant plusieurs fois sa jambe autour de son cou. Ce n'était que partie remise, Soren ne revenait jamais sur sa parole. Il grimaça un sourire en direction des parieurs qui l'avaient reconnu et suivit Soren qui commençait à déambuler sous les arcades de pierres.

*

Soren avançait avec précaution au milieu de la foule. Sa peau crépitait d'un millier d'arcs électriques qu'il tentait de distinguer les uns des autres. Il se sentait comme un rocher prit au milieu d'une tempête, seul dans la mer déchainée. Il se morigéna intérieurement pour sa faiblesse. Lori n'aurait pas pris le risque de lui refiler ce tuyau si elle n'avait pas été certaine de son coup. Seulement, maintenant qu'il se retrouvait là, au milieu des Arcades sans Milo pour le protéger, il regrettait d'avoir foncé bille en tête. La nausée lui retourna l'estomac tandis qu'il fermait les yeux pour se concentrer et faire le vide dans son esprit. Ils déambulèrent entre les plateformes, s'arrêtant juste assez longtemps pour que Soren puisse capter le niveau des combattants et des gens autour. Souvent, les meilleures affaires se trouvaient en périphérie des cages. Des gosses en guenilles slalomaient entre les jambes des parieurs. Il se concentra sur eux mais aucun n'avait vraiment de pouvoir. Il relâcha un peu la tension qui lui crucifiait les épaules et le cou en s'appuyant sur Roche. Les yeux de son compagnon luisaient de plaisir tandis qu'il regardait un colosse ravager son adversaire. Le match tirait à sa fin et Roche trépignait d'impatience.

- Vas-y, lui dit Soren d'une voix tendue. Mais ne te fais pas démolir.

Roche hocha de la tête sans lui adresser un regard et se dirigea vers l'entrée du ring d'un pas raide, les muscles de son dos jouant sous sa chemise lorsqu'il retira sa veste. Soren prit une grande inspiration et enfouit ses mains dans ses poches pour contenir l'envie de se gratter qui le rendait fou et se tourna vers la petite table qui flanquait la scène.

- Tiens, tiens, tiens, regardez qui voilà, dit l'homme derrière la table.

Soren adressa un sourire crispé à Brett, qui tenait les paris ce jour-là. Brett était efflanqué, tout en membres décharnés à la peau translucide, de ceux qui n'avait jamais vu autre chose que le soleil nucléaire des bas quartiers. Il répondit à son sourire en lui offrant la vision de ses chicots noircis et Soren dut se faire violence pour ne pas reculer.

- Ça faisait longtemps que t'avait pas trainé tes guêtres de dandy par ici, Soren. Les affaires marchent bien ?

- On ne peut mieux, répondit le marchand en sortant quelques billets.

- Milo est pas avec toi ?

- Non, lâcha Soren, de plus en plus raide.

- Comment vont tes petits protégés ? demanda Brett d'un air mauvais. Il se murmure par ici que t'es un peu en rade de nouveaux talents, à ta place je ferais attention.

Soren frémit à cette menace à peine voilée. Les infos circulaient vite dans la Sangle, il faudrait qu'il prévienne Anita et Antioche d'être prudents. Ils étaient nombreux les truands et les petites raclures qui lui enviaient sa réussite. Il afficha tant bien que mal une expression neutre sur son visage et déposa l'argent sur la table. Brett fit lentement léviter les billets jusqu'à lui.

- Sur Roche.

- Roche est là ? demanda Brett en se redressant pour regarder par-dessus l'épaule de Soren. Et bien ma foi, c'est une réunion de famille ce soir. Comme j't'ai dit, fais gaffe à tes fesses.

- Merci de ta considération, lui lança Soren avec une courbette avant de faire demi-tour.

Il dut se retenir de se retourner pour contempler l'expression incrédule de son interlocuteur et s'avança d'un pas qu'il espérait sûr vers le ring.

Le colosse du combat précédent haranguait la foule en beuglant et en levant les bras. Roche pénétra dans la cage, la mine plus sombre que jamais et contempla son adversaire. On referma la porte sur lui avec un claquement métallique. Le géant finit par remarquer que ses admirateurs ne le regardaient plus et réalisa qu'un nouvel adversaire lui faisait face. Un sourire carnassier fleurit sur son visage épaté, au nez visiblement plusieurs fois cassé. Il laissa échapper un hurlement animal avant d'ouvrir la bouche en grand, les mains légèrement tendues devant lui. Ses dents s'allongèrent de plusieurs centimètres, de même que ses ongles qui prirent une teinte jaunâtre en durcissant. Soren ne put retenir un rire amusé. L'homme avait déjà poussé ses capacités de modulation au maximum et si c'était là tout ce dont il était capable, Roche n'en ferait qu'une bouchée. Il regarda avec pitié l'homme-bête se jeter sur son compagnon et se désintéressa du combat qui commençait à peine pour scanner à nouveau la foule. Son regard fut attiré par l'un des rares holo-écrans qui survolaient les Arcades pour retransmettre l'évolution des paris. Et c'est là qu'il le sentit.

Un frisson brûlant lui remonta depuis le bout des doigts jusqu'aux coudes, chassant toutes les autres sensations. Le souffle coupé par la soudaineté et la violence de cette apparition, il redressa vivement la tête, scruta la foule amassée autour de lui. Le picotement désagréable s'accentua encore, envoyant une décharge douloureuse le long de ses épaules. Il pivota sur lui-même. Quelqu'un, près de lui, détenait un pouvoir assez puissant pour éclipser tous les autres. Il fronça les sourcils, étrécit les yeux pour essayer de repérer ce prodige, espérant au fond de lui qu'il s'agirait d'un gosse sans famille ni attache. La brûlure reflua faiblement, lui indiquant que l'individu s'éloignait de lui. Il se déplaça un peu au hasard jusqu'à ce que la douleur dans ses muscles ressurgisse de plus belle. Mais il eut beau dévisager chaque personne passant à proximité, il ne réussit pas à mettre la main sur la source de ce pouvoir. Puis, aussi brusquement qu'elle s'était manifestée, la douleur qui enflammait ses muscles s'éteignit comme une flamme soufflée par le vent. Plus rien. Les démangeaisons des dons inintéressantes reprirent leurs droits sur sa peau. Et Soren recommença à respirer normalement. La tête encore embrumée par la douleur, il ne vit pas Roche pulvériser son adversaire sous les vivats des spectateurs en délire. Une dent sauta jusqu'à lui et retomba près de sa chaussure. Il contempla la canine rougie, pensif. Au milieu de ses dégénérés, qui noyaient leur misère dans la violence, se trouvait un être exceptionnel, peut-être un changeforme, ou un moléculaire, capable de se régénérer presque indéfiniment en modulant ses propres cellules. Soren ressentit un besoin sauvage s'emparer de son esprit. Il devait mettre la main sur ce monstre, c'était une nécessité. Il se redressa un peu et fit signe à Roche d'enchainer avec un second combat, avant d'entreprendre de faire le tour des combattants présents.


Fer et SangWhere stories live. Discover now