Chapitre 8: Fanelle

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- Puisque je te dis que je n'avais jamais ressenti ça de ma vie ! insista Soren.
- Et personne ne l'aurait repéré avant toi, ce soir ? Ça me semble improbable, pour ne pas dire impossible, relança Milo, plus perplexe que jamais.
- Il faut absolument lui mettre la main dessus. Et espérer qu'il est moins de quinze ou seize ans, après ils sont trop difficiles à conditionner.


Milo se renversa dans son siège et passa une main sur son visage fatigué. Soren pouvait lire sur ses joues mal rasées les frasques de sa nuit. Il retint une remarque acerbe et ravala une bile amère. Milo travaillait pour lui, mais il était libre de faire ce qu'il voulait en dehors, avec qui il voulait. La mâchoire du marchand se contracta à cette pensée et il détourna les yeux de son ami pour calmer la jalousie qu'il sentait poindre en lui. Finalement, la pique qu'il retenait franchit le barrage de ses lèvres alors qu'il se levait pour quitter la pièce.

- On se voit tout à l'heure pour entraîner Déa. La prochaine fois que tu iras au bordel, tu pourrais poser quelques questions. On ne sait jamais. Belinda a peut-être entendu quelque chose.

Il claqua la porte derrière lui et fut soulagé de ne pas avoir à affronter le regard chagrin de Milo qu'il pouvait sentir dans son dos.

Il se dirigea immédiatement dans la salle de simulation. Il avait besoin d'un environnement neutre pour réfléchir et échafauder un plan qui lui permettrait de mettre la main sur ce nouveau don. Peut-importe sa nature, avec un tel niveau de pouvoir, il pourrait le placer n'importe où. Le meilleur investissement du siècle. Ses pensées dérivèrent sur la petite invisible, Déa, et une stratégie commença à se former dans les méandres de son esprit tordu. Il était plus que temps de s'occuper sérieusement de cette gamine. Il s'assit dans le large fauteuil qui trônait au milieu de la pièce et commença à passer en revue tous les exercices auxquels il pourrait la soumettre avant de l'emmener chez l'Artisan.


*


Déa fit cliqueter son bracelet à son poignet par inadvertance. Elle se mordit l'intérieur des joues, se morigénant pour sa bêtise. Les bruits de pas qui sillonnaient la pièce s'arrêtèrent brusquement. Déa retint son souffle, priant pour que ceux qui la cherchaient ne l'aient pas entendu. Elle maudit Soren et son bracelet qui l'empêchait de moduler et de devenir invisible malgré les règles du jeu. Elles étaient très simples et reprenaient pour la plupart les règles d'Anita. On ne quitte pas la maison, interdiction de se cacher au dernier étage et interdiction d'utiliser son don. Cette dernière règle avait été ajoutée spécialement pour Déa. La petite fille fit la moue et serra son bras contre son ventre pour empêcher le bracelet de faire plus de bruit. Quelques secondes plus tard, le visage constellé de tâches de son de Fanelle apparut dans son champ de vision, illuminé d'un large sourire.

- Vu !
- C'est toujours toi qui la trouve, grommela un garçon dans le dos de la petite fille.
- C'est parce que c'est mon amie.
- Ou alors vous trichez...
- Tais-toi, idiot, s'énerva Fanelle en aidant Déa à se relever.
- Moi je dis que vous êtes des tricheuses ! Je vais le dire aux autres.

Déa, mal à l'aise, dansait d'un pied sur l'autre. Elle avait l'habitude de ce genre de comportements mais Fanelle persistait à prendre sa défense quand l'un ou l'autre des enfants de l'orphelinat se moquait d'elle. Son petit visage se marbrait de rouge et ses poings tremblaient. Déa posa une main sur son épaule mais Fanelle se dégagea brusquement et fit un pas vers le petit garçon aux cheveux de paille qui les jaugeait d'un air narquois.

- Brett, retire ça tout de suite, exigea Fanelle en pointant un doigt vengeur dans sa direction.
- Non. Toi t'es rien qu'une tricheuse et elle, c'est un monstre !

Fer et SangWhere stories live. Discover now