Premier jour

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Me voici enfin prêt pour ce voyage. Prêt à échapper aux lueurs maussades de nos lunes ; aux brumes crayeuses de cette fin de saison ; aux quadrupèdes bulbeux (quelles sales bêtes).

Mon village natal... je le contemple une dernière fois : ma famille, mes amis, ma petite boule de plumes adorée ; je les quitte tous — malgré les protestations — pour des lieux inconnus et enchanteurs. Ils ne comprennent pas ; moi oui. Cette fibre qui embrase le cœur des aventuriers, qui les pousse à s'exiler au-delà des terres connues, faisant fi du danger, de la Mort elle-même... Cette fibre, je la possède ; pas eux.

Les premières secousses : signe d'un départ imminent.

La peur gagne les quais ; la foule prie.

Confortablement installé à trois rangées du chauffeur, je songe à ces multitudes de paysages célestes et marins qui défileront bientôt sous mes yeux ; prémices des futures merveilles qui s'offriront à moi au terme de cette traversée — en admettant que j'y survive.

Les tragédies passées étaient vivement ancrées dans les mémoires et seuls quelques rares téméraires osent en faire abstraction. En faisais-je partie ? Très certainement. Soit. J'en assumerai les conséquences.

Le silence : attente. Le vacarme : point de non-retour. Point de retour...

Les ferrailleuses machines aquatiques rugissent en saccades ; l'embarcation est malmenée.

J'observe — une dernière fois peut-être — les regards inquiets de mes pairs à mesure que nous disparaissons sous le tumulte des eaux troubles. La foule prie. Encore...

Les mécanismes grincent de douleur sous la pression de l'eau. De nouvelles secousses... (les rouages plient) de plus en plus violentes...

Au revoir ? Adieu ? Je ne saurais faire un choix.

L'un de mes compagnons de voyage griffonnait quelques notes sur un vieux calepin — ses ultimes pensées peut-être — qu'il rangea ensuite soigneusement. Faisons de même.

Voyages d'un touristeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant