Chapitre 26 - LE DOSSIER

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Le lendemain, je me lève et croise Steph dans la cuisine. Lorsque j'arrive près d'elle pour me servir un café, elle s'éloigne sans un regard. Je reste plantée là un instant, immobile, effarée. Ce n'est absolument pas son habitude, discrète mais enjouée et d'une gentillesse exemplaire, elle ne m'aurait pas ignoré de la sorte sans raison. Je m'installe dehors pour prendre mon petit-déjeuner seule, mais mon esprit est totalement accaparé par son attitude. Matt me surprend en s'installant près de moi en silence, les yeux encore gonflés de sommeil.

- Salut, il y a un problème avec Steph ? Elle ne m'a même pas adressé un mot tout à l'heure.

- T'inquiète, je pense plutôt que ça vient de son père, je l'ai entendu parler tôt ce matin, c'est ce qui m'a réveillé d'ailleurs. En général après ce type de conversation, je laisse un peu couler, le temps qu'elle se calme.

Après ces paroles, je me rends compte que je ne connais pas les relations de Steph et son père et qu'au fond, je ne la connais pas énormément non plus. Mais je l'apprécie beaucoup et je n'ai pas la patience de Matt, alors je monte et frappe à sa chambre. N'obtenant pas de réponse, j'ouvre doucement la porte et la voit penchée sur son écran, écouteurs sur les oreilles, elle semble absorbée par sa lecture.

Je m'approche et m'installe sur le bout du lit, elle ne peut que me voir de cette place, et j'attends en silence. Après un moment comme ça, toutes les deux silencieuses, Steph toujours les yeux rivés sur son écran à pianoter sur son clavier. Elle finit par se tourner tout en ôtant ses écouteurs.

- Mon père ne rentrera pas tout de suite.

Elle me dit ça d'un ton sec, la colère émane de sa voix blanche aussi je reste silencieuse, l'invitant à poursuivre. Après un moment elle reprend :

- Sans lui, ma mère n'est pas près de sortir et j'ai l'impression qu'il n'en a rien à foutre.

Sa voix tremble et une larme franchit le seuil de ses cils pour effleurer sa joue et enfin finir sa course sur le haut de son tee-shirt. Je m'approche d'elle pour lui poser une main sur l'épaule, des soubresauts agitent son torse et elle essuie d'un geste brusque ses larmes échappées malgré elle. Je me lève à demi et la serre dans mes bras.

- Il y a surement une autre solution.

Je lui souffle ces quelques mots à l'oreille et constate l'objet de ses recherches sur internet. Justement la règlementation permettant de déroger à l'autorisation de son père, j'ai l'impression.

Elle retient ses larmes tout en suivant mon regard puis me répond :

- Ça a l'air bien compliqué.

- A plusieurs, c'est toujours plus facile.

Une ébauche de sourire apparait et je commence à lire son écran pour voir ce que l'on peut faire. Or, en l'absence de l'autorisation de la personne qui a signé l'internement, soit son père, il nous faudra déposer une requête auprès de la commission de direction de l'établissement. Mais comment constituer ce dossier ? En fouillant un peu plus sur internet, on retrouve divers commentaires de personnes ayant affrontés ses démarches. Nous apprenons que pour un aboutissement positif de celle-ci, il nous faudra l'étayer d'un maximum d'avis favorable de la part du personnel encadrant ainsi que du médecin et psychologue en charge de sa mère. Effectivement cela ne sera pas une mince affaire.

Je commence à douter et me demande si tout cela permettra le retour de sa mère avant celui de son père. J'en apprends un peu plus sur lui pendant ce moment que nous passons toutes les deux. Enfin surtout sur son absence toutes ces années. Il travaille dans une compagnie des eaux, un poste relativement haut placé qui l'accapare aux 4 coins du globe. Je sens bien une rancœur profonde qui émane d'elle lorsqu'elle m'en parle. Probablement du fait qu'elle ait subi de plein fouet l'amnésie de sa mère lorsqu'elle n'était encore qu'une adolescente. C'est elle qui s'en occupait au quotidien, qui lui écrivait des mémos un peu partout dans la maison afin de lui rappeler toutes les choses simples de la vie qu'il fallait que Mathilde réapprenne. Chaque jour elle réalisait avec elle les exercices nécessaires au travail de sa mémoire. Heureusement que Matt était présent pour l'épauler, leur relation s'est bâtie sur cette proximité et cette entraide.

Je reprends un ton assuré et lui propose d'établir une liste des noms du personnel encadrant qu'elle connait. Il faut qu'on démarre rapidement et la prise de rendez-vous me semble à effectuer de toute urgence. Cette première étape lance sa motivation, elle prend son ordinateur sous le bras, me désigne sur son bureau un calepin et un stylo que je prends aussitôt et nous allons nous installer au salon. Une fois en bas, elle n'accorde qu'un bref regard aux garçons qui nous observent à travers la baie vitrée. Elle installe tout sur la table et s'en va récupérer le téléphone sur sa base. Une fois bien équipée, elle s'assoit et commence à mordiller son stylo, quelques secondes plus tard, la bille de celui-ci se met à gratter le calepin.

Prise dans sa concentration elle ne réagit pas à ma pression sur son épaule. Je l'abandonne à sa réflexion et me ressers un café avant de rejoindre Mike et Matt dehors. Je leur explique la situation et Matt affiche une mine déconfite en nous partageant que le père de Steph brillera toujours par son absence.

***

Au cours de cette semaine, nous rencontrons trois encadrants en plus du médecin et du psychiatre de Mathilde. Un rendez-vous par jour, on peut dire qu'ils se sont montrés disponibles et bienveillants. Je ne l'ai pas accompagnée à toutes ces rencontres, Matt prenait la relève sur certaines, mais toutes étaient très positives. Ils ont en effet constaté une évolution fulgurante dans l'attitude et la stabilité de Mathilde. La cohérence de ses propos sur ces derniers jours et sa participation aux tâches quotidiennes des groupes de travail dans la structure, leur ont tous fait approuver la demande de sortie.

Steph rayonnait de nouveau, le dossier était presque bouclé et il nous faudrait plus que le déposer à la commission de direction le lendemain.

Dans une ambiance plus détendue, nous profitons du barbecue pour cette soirée. Attablés devant nos apéros en attendant le rougeoiement de notre braise, je décide de prendre des nouvelles d'Hayden et Jess. Car cette semaine n'aura pas été productive du côté de notre mission première. Mais il était nécessaire d'aller au bout de cette démarche et je n'ai aucun regret. Je pose le téléphone en haut-parleur au milieu de la table, Mike commence à raconter notre labeur administratif et Hayden nous informe ensuite de l'évolution de notre groupe sur internet. Nous discutons un moment, puis vient le fait que je doive m'y connecter également. Les participants veulent en apprendre plus et Hayden ne peut pas continuer à faire l'intermédiaire. Il faut trouver quelque chose car tous ont compris l'enjeu et le délai qui nous sont impartis. Ils veulent agir, mais ne savent pas comment. Il me faut être le moteur. Hayden à raison.

Tout d'un coup Steph interrompt notre conversation et sans qu'on s'y attende, une lueur pétillante au sein de ses yeux couleur de l'océan, elle demande à Hayden et Jess de nous rejoindre ici chez son père.

- Cela faciliterait l'avancement de vos recherches tout en offrant un cadre de vacances pour tous. En plus mon père ne revient que dans un mois, juste avant le début des cours.

Son visage rayonne quand elle nous dit ça et ses arguments font mouche car on entend aussitôt les réactions de joies de Jess et d'Hayden. Après les éclats de rire de Steph et les exultations de nos amis, il est convenu qu'ils arriveraient dès le lendemain dans la matinée. Ils partiront donc ce soir et rouleront de nuit. J'entends déjà Jess nous dire qu'elle part préparer ses affaires.


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