Chapitre 10: Terreur

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Le ciel d'encre percé de points lumineux et le mince croissant de lune caché derrière quelques nuages de ténèbres offraient un aspect sinistre à la nuit. Le mausolée trônait au centre du cimetière, près d'une statue représentant un ange recroquevillé sur lui-même, étouffé par l'obscurité. De lourdes chaînes verrouillées par un cadenas refermaient la lourde porte. La lierre noire et desséchée serpentaient sur la pierre grisâtre.

Le bâtiment trembla. Emma frémit et garda un œil braqué sur la lugubre sépulcre. Son sang, glacé dans ses veines, ne fit qu'un tour. Assise sur une pierre tombale en compagnie de Laura, la peur ne la quittait pas. Parmi les morts, les siens à présent, elle n'éprouvait pas la moindre sécurité. Sa compagne avait proposé de venir là à cause de la présence de l'église tout près. Comme si un lieu béni devrait les protéger. Étrangement, l'idée lui paraissait incongrue. Elle manquait peut-être de foi en Dieu.

— Au moins, tes amis sont au courant de tout, maintenant, dit Laura.

— Toi aussi.

Son interlocutrice acquiesça. Elle tentait de masquer son inquiétude, mais Emma n'était pas dupe : leurs cœurs battaient toutes les deux au rythme de la terreur.

Un froid mordant envahit son corps. Elle regarda une nouvelle fois en direction du mausolée. Elle avait l'impression que la porte s'ouvrirait sur l'enfer et ses soldats démoniaques. Ce seul sentiment la laissait morte de frayeur. Sans vouloir faire de mauvais jeu de mots.

— Ils vont finir par nous retrouver, chuchota-t-elle.

Un sanglot resta coincé au fond de sa gorge. Encore une fois, elle frissonna. Au-delà, l'arche du portail en fer se découpait sous la voute céleste, près d'arbres dénudés de feuilles. Certains chênes s'élevaient avec majesté, aussi impressionnants que menaçants dans la noirceur. D'autres possédaient des branches aussi crochues que des doigts de sorcière. Emma détourna le regard vers le sol.

C'est alors qu'elle remarqua qu'une fine couche de rosée recouvrait peu à peu l'herbe, se dressant comme des pics de glace.

— E-Emma, murmura Laura la voix tremblante, ses yeux de biche brillants de peur.

L'interpellée releva la tête avec appréhension. Le portail s'ouvrit en grinçant. La démone était là. Vêtue d'une longue cape noire, elle franchit l'entrée du cimetière en laissant dans son sillage une traînée de glace. Ses prunelles devenues de la braise ardente reflétaient les flammes de l'enfer. Elle fit un sourire, dévoilant une série de dents blanches et aiguisées.

— Venez, mes chéries, susurra-t-elle. Je vous ai cherchées suffisamment longtemps.

— Cours ! hurla Emma, bondissant sur ses pieds et prête à s'enfuir à toutes jambes.

Laura s'apprêtait à faire de même lorsque la dame se mit à parler en latin. Dans son dos se déployèrent des ailes enflammées. Leur éclat orangé se projeta sur le profil de Laura. Cette dernière écarquilla les yeux, émerveillée.

— Laura ! Viens ! cria Emma de toutes ses forces.

Mais sa nouvelle amie demeurait clouée sur place, happée par le regard et la voix de la démone. Désespérée, Emma chercha une arme quelconque, une idée sur comment attaquer son ennemie. Mais que pouvait-on faire contre une force qui n'avait jamais vécu ?

— Viens là, ma belle, souffla la diablesse.

Elle lui saisit le menton en la fixant droit dans les yeux.

— Ton âme est à moi maintenant.

Puis, extirpant de sa cape un poignard, elle le lui enfonça violemment dans la poitrine. Une fumée blanchâtre s'en échappa aussitôt. Laura gémit de douleur. Emma se boucha les oreilles, au bord des larmes. Plus loin, le mausolée trembla si fort qu'elle faillit perdre l'équilibre. Les chaînes furent secouées et frappèrent lourdement la porte. La jeune fille recula avant de déguerpir, sachant qu'elle ne pouvait plus rien faire pour Laura. Elle entendit le déclic du cadenas déverrouillé suivie de l'ouverture de la porte.

Les jérémiades de Laura traînées de force jusqu'au mausolée continuèrent de résonner dans sa tête même lorsqu'elle fut très loin du cimetière. 

***


La tasse de café tremblait dans la main de sa mère. Annabella l'observa la déposer sur la table et agir comme si de rien n'était. Sa mère avait les yeux vitreux et vides et ne cessait de marmonner. Elle était au courant de plus de choses qu'elle ne voulait le lui avouer. L'atmosphère pesait déjà lourd sur ses épaules sans le silence inconfortable régnant dans la cuisine.

Annabella nettoya le comptoir de gravier et rangea la boîte de céréales dans l'une des armoires rustiques. Elle sentit une vibration. Elle s'immobilisa, interloquée. Plus rien. Elle jeta un coup d'œil à sa mère qui conservait une expression absente. Ses cernes se creusaient sous ses yeux et ses cheveux bouclés grisonnaient davantage que d'habitude. L'adolescente s'approcha et posa une main sur son épaule :

— Maman ? Ça va ?

L'interpellée acquiesça sans réellement lui porter attention. Annabella soupira, puis retourna à sa chambre préparer ses affaires pour l'école. Lorsqu'elle revint, sa mère griffonnait sur un bout de papier.

— Maman, vas-tu enfin me dire ce qui t'arrive ? s'exaspéra-t-elle.

— Il faut que j'aille dans un endroit un peu particulier aujourd'hui.

La jeune fille fronça les sourcils avant de répondre :

— Comment ça ?

Pour toute réponse, sa mère lui tendit ce qu'elle avait écrit.

— Voici l'adresse à ton père. Je veux que tu le rejoignes si jamais je disparais.

Son cœur manqua un battement.

— Maman, tu vas pas disparaître.

— C'est une simple précaution, Bella.

Cette dernière remarqua l'autre adresse inscrite plus bas. Elle questionna sa mère du regard.

— C'est un deuxième plan de secours, expliqua-t-elle.

— Je vais sûrement y aller en premier. Étant donné que papa et moi, c'est pas une grande histoire d'amour...

— Non, tu vas chez lui d'abord.

Son ton tranchant et glacial interdisait toute discussion.

Quelques minutes plus tard, Annabella referma derrière elle avec hésitation. Le sentiment que, ce soir, sa mère ne serait pas rentrée, la guettait, alors qu'elle se dirigeait vers le bord de la route pour attendre son autobus. Les lieux déserts étaient empreints d'une sorte de tension. Le vent glacial soufflait avec ardeur sur les vastes champs. Elle apercevait la maison de son voisin à quelques centaines de mètres. Les bois, dans l'autre direction, lui paraissaient toujours aussi énigmatiques, Elle eut alors un autre pressentiment : celui qu'elle ne tarderait pas à percer ses secrets. En observant les silhouettes des arbres, Annabella remarqua un corps fantomatique vagabonder sur le terrain avant de disparaître avec une étonnante rapidité. La jeune fille secoua la tête pour oublier ça.

Tout à coup, elle capta un mouvement sur le sol. Un caillou glissait sur le gravier devant elle comme pour attirer son attention. Les sourcils froncés, elle le ramassa.

Bella, je me sens si faible.

Annabella parcourut furtivement du regard l'endroit sans trouver nulle trace de sa meilleure amie.

J'arrive pas à apparaître.

Un sanglot résonna au lointain, une note triste dans tout ce silence. Son ventre se noua. Les nuages s'amassaient dans le ciel et l'atmosphère, lourde et humide, respirait la pluie. Le ciel aussi avait envie de pleurer, dirait-on.

Ils me cherchent. Ils ont eu Laura et ils m'auront moi aussi. Les choses vont de mal en pire...

— Je ne comprends pas, murmura la médium.

Je dois partir.... Me trouver une cachette. Je sens déjà qu'ils me possèdent, c'est horrible.

— Emma, je sais pas comment t'aider...

Tu ne peux pas, Bella. Tu ne peux pas.

Soudainement, l'air s'allégea. Annabella respira plus profondément comme si pendant tout ce temps un poids lui avait étouffé la poitrine. Il y eut quelques percés de soleil. L'autobus scolaire se dessina sur le chemin. L'adolescente monta, plus inquiète que jamais. 

Le Jugement du Diable - Tome 1 - La délivrance du malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant