Le Jugement du Diable - Tome 1 - La délivrance du mal

Chapitre 2: Les funérailles

L'atmosphère possédait une telle lourdeur. Dominic n'aurait su dire si cela était dû à l'humidité et au froid qui lui collait à la peau ou à l'amertume qui lui étreignait le cœur. Les nuages obscurcissaient le ciel de la même manière que semblaient le faire les ténèbres avec son âme.

Comme il s'en voulait.

Emma était morte sans savoir. Elle resterait pour toujours dans l'ignorance, à penser qu'il l'avait trahi, alors que pourtant, la vérité en était tout autre. Un simple malentendu qui se serait réglé en quelques temps en d'autres circonstances. Mais voilà, les faits étaient là. Incontournables. Insupportables.

Comme il ferait tout pour qu'elle soit encore là.

Le jeune homme se frotta les paupières qui brûlaient de fatigue. Ses nuits s'étaient révélées particulièrement difficiles, peuplées par des visions d'une Emma tourmentée et emplie de rancune envers lui. Il lui arrivait également de verser des larmes, naturellement, et, si ses yeux rougis le trahissaient, il n'oserait jamais l'avouer. Ses paumes moites se resserrèrent sur la rose qu'il tenait à la main et qu'il déposerait sur la tombe de sa défunte petite amie. Le garçon prit une profonde inspiration pour trouver du courage et rejoignit les autres.

Une rafale de vent souffla dans ses cheveux tandis que les feuilles mortes craquaient sous ses pas. Il frissonna sous son veston. Dominic jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, se sentant observé pour un bref instant. Il avait presque cru distinguer Emma au bout du chemin, mais secoua la tête pour chasser ses illusions avant de pénétrer dans l'église avec ses parents. Sa famille et lui prirent place près de celle de Michel, son meilleur ami. Ce dernier arborait un air sombre qui s'accordait parfaitement à sa chemise noire et déteignait avec sa chevelure de feu. Tous deux échangèrent un regard compatissant.

***

Emma laissa ses pupilles s'attarder sur chacun d'entre eux, sur chaque personne présente dans cette foule. Ses parents paraissaient plus détruits que jamais. Leur regard éteint lui donna mal au cœur. Les autres membres de sa famille se succédaient, chacun réagissant différemment au deuil qu'ils subissaient. Quelqu'un jouait de l'orgue, mais cela n'enlevait en rien le sentiment de vide, le sentiment que quelque chose manquait désespérément.

La jeune fille marcha lentement entre les rangées de bancs. Elle avait tellement envie d'essuyer les larmes qui perlaient, d'effacer le chagrin qu'elle voyait sur tous ces visages, crié au monde entier qu'elle était encore là, qu'elle n'était pas partie. Malheureusement, c'était impossible.

Enfin, presque. Une seule personne pouvait remarquer sa présence. L'adolescente se dirigea vers un banc et s'y assit. La sensation du bois contre son corps lui paraissait absente, voire presque inexistante. Ses doigts se glissèrent dans ceux de sa compagne. Annabella. Sa meilleure amie. Cette dernière lui jeta un coup d'œil, et, pour une fois, Emma n'eut pas cette impression de n'être qu'un vulgaire écran de fumée. Quelqu'un la voyait. Elle réussit ainsi à oublier pour un bref instant qu'elle n'était plus rien, rien d'autres qu'une pauvre âme insignifiante qui vagabondait dans un univers inconnu du sien et de tout ce qu'elle avait pu connaître dans sa jeune vie. Cependant, la réalité la rattrapa bien vite lorsqu'elle entendit le murmure d'Annabella :

— Em', je ne te tiendrai plus jamais la main.

Emma demeura figée jusqu'à ce qu'elle ait finalement le courage de retirer sa main non sans hésitation et frayeur. Elle détailla plus attentivement sa meilleure amie de près. Celle-ci possédait un teint laiteux, toujours très pâle. Sa chevelure ébène se terminait en boucles. Ses yeux, verts comme la forêt, aussi profonds qu'un lac opaque, aussi perçants qu'une épée, pouvaient fixer n'importe qui sans sourciller. Pourtant, ses yeux qui ne manquaient jamais de vaillance fuyaient, à présent, vers une voie autre que celle de la douleur. Ça, Emma le vit tout de suite. Elle sut alors que le don de médium de sa meilleure amie ne l'avantagerait pas à faire son deuil.