Chapitre 5 - Lauren

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Lauren court dehors pour ne pas laisser voir à ses enfants qu'elle perd son sang froid. Elle avait surprit Lysandre et Derek en train de rire en haut de l'escalier et sans même se forcer, elle avait voulu s'immiscer entre eux, partager leur complicité. Face à leur réaction hostile, elle avait battu en retraite et à présent, ses joues brulaient d'humiliation. Ses mains tremblantes portent avec difficulté une cigarette à sa bouche et elle cherche à l'allumer. Mais la pierre de son briquet est coincée et elle essaye plusieurs fois de sortir une flamme, en vain. De rage, elle jette le briquet à terre. Sa cigarette vient le rejoindre et elle piétine les deux, sans chercher à se contrôler.

« Vous faites bien d'arrêter. Je n'aime pas trop les femmes qui fument.

Lauren se retourne et pour voir arriver Ambroise. Comme à son habitude, quand il travaille au jardin, le jeune homme porte un débardeur, un large treillis et des chaussures coquées. Il enlève ses gants et pose le sécateur qu'il tenait. Il s'approche d'elle et cherche à l'embrasser mais elle le repousse violemment.

« Qu'est ce que tu fais, tu es fou ! Pas ici, les enfants pourraient nous voir.

Ambrose hausse les épaules en souriant, peu concerné par les inquiétudes de Lauren. Il ôte son débardeur et s'essuie le front avec. Sous le soleil, sa peau ruisselante de sueur prend la couleur du cuivre. Lauren le saisit par le poignet et l'entraîne avec elle. Ils dépassent la piscine puis le vieux figuier et s'éloignent vers le fond de la propriété, entre les vignes.

« Que s'est-il passé à l'intérieur ?

- Je n'en peux plus ! J'ai toujours su que je ne pouvais pas assumer le rôle de l'épouse bourgeoise. Et j'étouffe dans celui de mère.

- Il me semble que ce ne sont pas juste les vacances qui se passent mal, répond laconiquement Ambrose.

Lauren soupire profondément.

« Quand nous nous sommes mariés, Archi était un vrai peintre, un artisan menant une vie de bohème et de misère mais tellement attrayante. Mes parents s'étouffèrent de rage lorsqu'ils apprirent notre mariage secret. Mes sœurs me détestèrent tellement Archi les rendaient folles. Il était irrésistible bien sûr mais surtout, je l'avais choisi. Aujourd'hui, elles jubilent de nous avoir vu rentrer dans le rang, d'avoir vu Archi accepter le travail que lui proposait notre père. Elles jubilent de me voir tenir le rôle qu'elles ont toujours accepté, celui de la mère au foyer qui passe son temps entre les bonnes œuvres et ses résidences secondaires. Elles détestaient ma fierté, mon désir d'indépendance. Comme le temps leur a donné raison. Lysandre se comporte exactement comme moi à son âge et je ne sais pas ce qui me pousse à vouloir la réprimer. Je me comporte avec elle comme ma mère le faisait avec moi. Mais j'aurai aimé que ma mère m'encourage à fuir mon rôle ! ça n'est pourtant pas ce que je fais avec Lysandre. Est-ce que je me venge de ce que m'ont fait subir mes parents ? En voulant lui infliger la même chose ? Elle est si belle, si intelligente. Elle peut et elle va obtenir tout ce qu'elle veut si elle continue comme ça. J'ai été comme ça moi aussi, j'ai eu toutes les chances, mais je n'en n'ai saisies aucune. Est-ce que je me venge en souhaitant la voir prendre le même chemin que moi ?

Ambrose ne sait quoi répondre mais son interlocutrice ne cherche pas le dialogue et poursuit son soliloque.

« Et Derek ? Il est déjà tout ce que je rejetais, tout ce que son père rejetait à son âge. Je retrouve un peu d'Archi en lui. Dans ses faiblesses seulement, la même fragilité, le même désir désespéré de plaire. Pour les défauts, il ressemble tellement à mon père. Il sait bien obéir, ça oui ! Il se conforme à ce que la famille veut pour lui et ne sait rien cacher de ses sentiments.

Dépitée par ces effrayants constats, Lauren se laisse tomber par terre et Ambrose s'assied à côté d'elle. Le couple reste un instant silencieux. Le sol est dur et le soleil au zénith révèle la poussière suspendue dans l'air, que leurs pas ont soulevée. Le couple se presse contre un cep de vigne pour se protéger du soleil.

« Est-ce normal de ne pas supporter ses enfants ? J'envie Lysandre qui a le courage qui m'a manqué, qui prend le chemin que j'aurais du prendre. Et Derek m'insupporte, lui qui fait l'inverse de ce que j'ai toujours voulu.

Lauren regrette aussitôt ses mots violents et détourne la tête pour échapper au regard d'Ambrose. Elle se mord les lèvres pour s'empêcher de pleurer mais finalement des larmes coulent sur ses joues, qu'elle ne pense même pas à essuyer.

« Tu dois penser que je suis une bien affreuse mère pour oser parler de mes enfants de cette façon.

- Quand des enfants détestent leurs parents, au pire on pense qu'ils font leur crise d'adolescence, au mieux on les plaint ; leur désamour vient forcément d'un manque dans leur éducation. Quand il s'agit des parents, ce sont forcément des monstres. Ne cherchez pas à savoir si c'est normal de penser comme cela, mais si vous trouvez ça grave.

Lauren relève la tête, misérable, les yeux rouges et les joues inondées.

« Non, cela ne me fait rien. Je ne sais même pas si je les déteste, eux, où parce qu'ils me montrent mon échec à les éduquer.

- Alors pourquoi pleurez vous ?

- Pour les occasions manquées.

Lauren vient se blottir dans les grands bras d'Ambrose. Sa joue se colle sur son torse en sueur.

« J'ai été si belle, j'ai eu tellement d'opportunités et je n'en n'ai pas profité, j'ai tout gâché. Et il est impossible de faire marche arrière, de rattraper le temps perdu.

- C'est vous qui avez choisi Archibald, parce que vous en étiez amoureuse, vous avez partagé vos rêves avec lui.

- Pendant si peu de temps.

Lauren se tait puis laisse échapper un petit rire. Elle s'écarte d'Ambrose qui la regarde avec étonnement passer des larmes au rire.

« En plus de ça, je crois bien que Derek craque pour toi.

- Qu'est ce qui vous fait dire ça ?

- Je suis peut être une mauvaise mère mais comme femme, j'ai quelques qualités et je suis intuitive. Son regard énamouré, son comportement étrange quand tu es là, quand tu n'es pas là aussi d'ailleurs.

Ambrose baisse les yeux en souriant.

« Tu sais quelque chose, s'esclaffe Lauren en l'observant.

Le jeune homme s'obstine à détourner le regard et Lauren poursuit en riant :

« Je suis certaine que tu sais quelque chose !

- Cela vous poserait un problème ?

Lauren le regarde en biais, plus que soupçonneuse.

« Tu vas me trouver affreuse une fois encore, mais cela me ferait tellement plaisir. Ma famille s'étranglerait de rage bien sur. Et enfin ! Enfin ce pauvre garçon prendrait des décisions qui ne lui seraient pas dictées par les convenances. 

Une saison brûlanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant