1ère partie - Le rocher noir sur la mer

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L'île est, d'une certaine manière, plus désertique encore que Jakku. Un désert bleu, mais tout aussi vide. Au lieu d'un horizon accidenté de sable jaune, la ligne de l'océan parfaitement plane s'étire si loin, qu'elle peut même distinguer la courbe de la planète. Il n'y a pas de source d'eau douce sur l'ile. A la place, c'est un condensateur semblant constitué en partie de pierres, à l'arrière d'une des huttes, qui génère quotidiennement quelques litres d'eau de l'humidité ambiante. Lorsque Rey a demandé à Luke comment un Maitre Jedi a pu construire une chose pareille avec des moyens aussi rudimentaires, il lui a souri avec une pointe de tristesse et a répondu, "j'ai grandi dans une ferme hydroponique".

Et Rey était pilleuse d'épaves autrefois, mais ça paraissait si loin désormais, bien qu'il ne se soit écoulé qu'un mois depuis son dernier troc de pièces détachées contre des rations déshydratées. Luke n'a jamais parlé de l'entraîner, et refuse de regarder le sabre, encore moins d'y toucher. Au moins, il a arrêté de la repousser. L'obstination naturelle de Rey a fini par avoir raison de lui, mais elle ne sait pas ce qu'elle fera si Luke persiste à ignorer le sabre laser. Elle est venue sur ce minuscule Rocher au milieu de nulle part pour rejoindre le plus puissant Maitre Jedi de la galaxie - le dernier vivant, mais il reste si peu des Jedis en lui à ce stade, ou en tous cas si peu à sa portée!

Au fil des longues nuits glacées sur Jakku, elle a entendu des récits de toutes origines, mais toutes les ethnies avaient des récits de Jedis. Ils transcendaient les peuples. Et le socle commun à toutes les légendes parlait des Jedis comme de nobles chevaliers qui affrontaient les forces du mal le sabre laser au poing, et possédaient un pouvoir immense que peu de gens comprenaient. Le dernier, et le meilleur d'entre eux, avait été Luke Skywalker, avant de disparaître et devenir un mythe.

Et pourtant il est là, avec ses airs d'ermite grognon qui regarde la mer et vit d'algues et de poisson. Il fixe l'horizon et médite plusieurs heures par jour, parle peu, et malgré la persévérance de Rey, ne dit pas grand chose à propos de l'Ordre Jedi ou de son propre passé. Tout ce qu'elle parvient à obtenir de lui sont des commentaires du genre "c'était il y a longtemps, ça n'a plus d'importance à présent." Bien que parfois, il soupire en l'écoutant raconter les légendes qu'elle a entendues, et commente, "il est malheureux qu'on ne se souvienne des Jedi que comme des guerriers, et rien d'autre."

Il n'a peut-être plus rien d'un guerrier, mais il est indubitablement demeuré un Jedi. Et Rey fait de son mieux, pour faire comme lui. Quand il se lève, elle se lève. Quand il médite, elle médite - ou du moins elle essaie. Quand il cuisine, elle participe. Quand il l'envoie chercher de l'eau, elle obéit sans une plainte.

Elle se demande si elle parviendra un jour à progresser avec cette méthode, jusqu'au jour de la vision.

Ça arrive un matin alors qu'elle est assise en pleine méditation, par une sensation dans son estomac qu'elle n'avait plus ressentie depuis l'appel du sabre laser. Quand elle ouvre les yeux et se redresse maladroitement, pour se secouer, c'est déjà trop tard. Elle ne voit plus l'île verte et l'océan bleu, mais un paysage monochrome qui sent le souffre et la fumée. De sinistres constructions noires comme des dents cassées et pourrissantes se dressent dans le paysage sur des monticules de terre rouge aussi sombre que du sang séché.

Des sensations inconnues l'envahissent. Elle se sent fragile, brisée comme du verre qui se lézarde. Elle baisse les yeux sur ses mains - trop grandes, enveloppées de noir, les doigts se crispant telles les serres d'un rapace. Ce n'est pas ses mains. Ce ne sont pas ses yeux.

A l'instant où elle comprend ceci, elle sent qu'il l'a compris aussi. Son tempérament colérique rugit, réagissant à elle avec la même fureur qu'elle avait ressentie la dernière fois qu'elle avait touché son esprit. Elle essaie de reculer, sentant qu'il s'engouffre dans leur connexion, comme s'il pouvait se forcer un passage vers elle - envahir sa tête et éclipser tout ce qui s'y trouve. Rey pousse un cri de panique et se jette en arrière. Son coude s'écorche sur le rocher et son dos s'enfonce dans la mousse. Elle dresse la main pour repousser l'attaque, mais autour d'elle il n'y a plus que le ciel laiteux et le bleu de la mer.

La Lune, le Soleil, et l'étoile au milieuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant