Chapitre 8

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Après avoir rassemblé toute les armes utiles à l'entrainement nous nous postons devant le bunker. Bob me rejoint et me chuchote :
_Tu sais comment tu vas t'y prendre?
Je grimace et lui réponds, hésitante:
_Je leur en donne un chacun, et ils se débrouillent avec non?
_Quelle diplomatie! s'écrie-t-il en s'éloignant.
Je l'ignore car je n'y peux rien, je n'étais pas censée les former au début, maintenant s'ils veulent que je les aide, ce sera à ma façon. Je prends mon air déterminé, du moins têtu mais Bob se met a faire sa Juliane et improvise l'organisation du cours sans me consulter.
_Voilà comment ça va se passer, Juliane, diplomate et pédagogue, commence-t-il sur un ton ironique, va d'abord vous montrer la meilleur technique pour les tuer, ensuite, vous simulerez sur l'un d'entre nous, puis enfin, vous vous entrainerez avec un enragé.
Je renonce à répliquer et suit finalement ses conseils, de toute façon, ça ne pourrait jamais être pire que si j'avais pris les commandes. Un grognement m'interpelle, et je m'avance en affirmant:
_Pour éviter qu'ils ne vous mordent, donnez lui un coup de pied dans le tibia.
Je m'exerce, brise l'os de l'enragé et il s'effondre sur le sol.
_Ensuite, achevez le.
J'enfonce ma lame dans son oeil et il s'affaisse dans un souffle.
_Visez l'oeil, c'est mieux, le couteau rentre plus facilement.
Je lève ensuite la tête vers eux, fière de mon cours, et tous me regardent, béats.
_Quoi? je lance.
_Bon, ok, pas si pédagogue que ça, les rassure Bob avec un sourire gêné. Tu aurais pu miser un peu plus sur la délicatesse je pense, me marmonne-t-il.
Je grimace.
_C'est le mieux que je puisse faire.
J'agrippe ensuite un enragé qui sort du bunker par le col de sa chemise déchiré et déclare :
_Qui se sent prêt? J'interviens si vous ne vous en sortez pas.
Tout le monde baisse les yeux, après la première horde, personne ne semble plus vouloir tuer quoi que ce soit. Mais dans le fond, un petit regard croise le mien.
_Moi je veux bien, hésite Lou.
Mon visage se crispe, non, pas Lou. Je ne veux pas faire preuve de favoritisme mais je ne voudrais pas non plus la perdre à cause d'un stupide entrainement.
_Juliane, s'il te plait, réplique Lou, bien plus sur d'elle qu'elle n'y parait.
Je cède finalement, aux aguets. L'enragé lui fonce dessus et la fait tomber à la renverse, il est bien plus fort qu'elle. Je m'apprête à l'aider quand Bob m'arrête en posant une main ferme sur mon épaule. Il me fait signe d'attendre. Et en effet, il a raison, car Lou se relève et attrape ses armes. Elle pousse de ses doigts enfantins l'enragés et celui-ci se déséquilibre, elle en profite pour le renverser en lui assenant des coups de machettes dans les genoux. Elle s'assoit enfin sur la poitrine du monstre et lui enfonce sa machette dans le crâne. Je souris et elle se relève en s'essuyant le front de la main gauche, elle laisse sur sa peau une trainée de sang et grimace en s'en apercevant.
_Bravo, intervient Bob, fier.
_Oui, je continue, tu as réussi et je suis désolé d'avoir douté de toi.
Elle affiche un sourire grand comme le monde mais son visage pâlît d'un coup et ses commissures s'affaissent finalement lorsqu'elle se met à vomir au pied d'un arbre. Léna réprime un "Beurk" en s'éloignant, Ely se couvre la bouche de sa seule main et affiche une mine dégoutée. Jasper lui, tient les cheveux de Lou tandis qu'elle rejette son petit déjeuner. Je décide de remettre ces deux pestes à leur place.
_Elle a dix ans. Vous faisiez quoi vous à dix ans?
_Surement pas ça, me soutient Bob.
Ely qui le remarque, enlève sa main et baisse les yeux, gênée. Je souffle et me retourne à la recherche s'autres enragés.
_A vous maintenant. On verra qui gardera son déjeuner le plus longtemps dans le ventre.
Les catastrophes s'enchainent, Ely panique lorsqu'un de ces monstres se jette sur elle, Léna plante son couteau n'importe où, sauf dans le cerveau et Jasper les évite, coûte que coûte. (Lou, elle, est rentrée se reposer). Bob et moi sommes obligés d'intervenir à chaque fois, et aucun d'entre eux n'a finalement réussi à en tuer un. La tension est palpable, et chacun semble redouter ma colère. Ils ont raison, je ne vais pas les louper.
_Vous vouliez de l'aide? Et bien la voici. Regardez ce que vous en faite! je leur dis en levant mes mains pleine de sang vers eux.
J'ai du mal à comprendre. Ils ont tous réussi à tuer au moins un enragé pendant la horde. Les a-t-elle traumatisé à ce point?
_Tu ne comprends pas, intervient Léna qui semble -pour une fois, avoir abandonné son ton provocateur. Ils ont été avant ça, je veux dire, c'était des humains comme nous.
Tous les regards se tournent vers moi. "Qui va-t-elle agresser, encore?" semblent-t-ils vouloir dire. Je reprends alors mon souffle en essayant de me calmer.
_Je... Essayez d'oublier ça d'accord? Oui, ils ont été, mais ils sont morts maintenant, je réponds le plus calmement possible.
_Et si jamais on trouvait un remède? Je ne pourrais pas vivre avec l'idée d'avoir tué des gens qui aurait pu être sauvés, continue Léna.
Cette fois, je laisse tomber la pédagogie. "Comme si tu l'avais adoptée" m'aurait dit Bob. Je souris intérieurement puis revient durement à la réalité. Je renonce à répliquer et décide de leur montrer à quoi ils ont a faire. Je saisis le dernier enragé qui sort du bunker, le met à genou devant eux et leur dis :
_Vous pensez vraiment qu'il y a quelque chose à faire pour eux? Certes ils ont été vivants, mais maintenant ils ne cherchent plus qu'a vous tuez.
Je lance un regard vers le bras d'Ely.
_ Regardez le dans les yeux. L'étincelle qui brille dans les nôtres vous la voyez? Ils sont presque mort, vous, vous n'avez plus qu'à tuer ce qu'il reste de vivant là haut, je continue en pointant du doigt leur cerveau. Ils ont tué nos amis. N'ayez pas de pitié pour des monstres incapable d'en ressentir.
Bob pose un regard insistant sur moi, car il sait que je n'ai pas fini. Les autres baissent les yeux sauf Léna qui bougonne.
_Ça ne change rien pour moi. J'en ai tué mais je ne veux plus voir personne souffrir.
La colère m'envahit. Comment peut-elle être aussi têtue? Je traine violemment l'enragé près du bunker, celui-ci grogne au bout de mon bras mais ne manifeste aucun signe de résistance. Bob me retient et me lance des yeux intrigué, un regard que je déchiffre comme un "Tu es sure de ce que tu fais?"
_Ils voulaient un cours, mais ils ne peuvent se battre tant qu'ils n'auront pas compris à quoi ils ont à faire.
Il me lâche et malgré son hésitation, il semble me faire confiance. Léna quand à elle, fait demi tour en direction de la cabane, visiblement lassé de mon acharnement.
_Oh! je lui hurle.
Elle se retourne et me défie du regard. Je n'en prends pas comte et continue en criant.
_Tu penses vraiment qu'ils souffrent?
Je tords d'un coup sec le bras de l'enragé qui se casse en deux morceaux, l'os est brisé et la chair a vif. Celui ci n'émet aucun cri et continue à grogner naïvement. Je tiens d'une main le monstre, et de l'autre, son bras. Léna fait mine de m'ignorer mais je m'obstine.
_Je te parle Léna!
J'agrippe la tête de l'enragé et l'éclate contre le bunker. Une première fois, une deuxième puis une troisième, pour que enfin son crâne se fende. Je cours rattraper Léna, l'attrape par les cheveux et la traine jusqu'au cadavre du monstre. Elle hurle, se débat mais je n'y prête pas attention. Même Ely, Bob et Jasper me laissent faire. Je la mets face au macabé. Son nez touche presque sa chair à vif.
_Quand tu seras en train de te faire bouffer par un des ces trucs, tu regretteras ta sympathie.
Je la relâche et elle me lance un dernier regard, avant de s'étouffer dans des sanglot et de courir vers la foret. Je crois même l'avoir entendue proférer une menace à mon égard. "Tu le regretteras, toi aussi.". Ce qui confirme les soupçons de Lou, elle veut vraiment ma peau. Je me retourne vers Ely et Jasper et leur lance :
_N'ayez plus peur de tuer les morts. Vous pouvez y aller maintenant.
J'avais décidé de m'isoler sur le toit du bunker, et voila une heure que je fixe le ciel.
_Tu regardes les étoiles? me surprend Bob.
_Oui, enfin non. Je veux dire, je ne peux pas me permettre de les regarder.
_Pourquoi donc? dit-il en me rejoignant.
_Je ne peux plus relâcher ma garde.
Je repense soudainement à Josh, à ses dernières paroles et cela m'attriste. Bob change de sujet, ne comprenant pas trop où je veux en venir.
_Tu n'aimerais pas trouver un sens à tout ça?
Je baisse les yeux, il ne lâchera pas le morceau, il veut savoir, il a besoin de savoir. Tel un enragé assoiffé de chair lui à soif de réponses. J'aimerais lui dire que j'ai renoncé depuis bien longtemps à trouver une explication, que nous sommes uniquement le fruit de la folie et du sadisme de l'être humain, mais j'aurai tort et il le sait. Si nous sommes ici ce n'est pas dû au hasard. Je renonce finalement à l'ignorer, parce que c'est Bob, il aura raison de moi tôt ou tard.
_Si, bien sur.
_Je pourrais t'aider.
Je l'interroge du regard.
_Tu connais pas mal de chose sur l'arène et ce qu'il y a dehors, et moi, je me souviens des camps, continue-t-il. Si on apprend pourquoi on est là, ce serait plus simple de survivre. Tu ne comptes quand même pas rester là dedans toute ta vie? Il y a une suite à cette histoire.
J'hésite à m'embarquer, c'est une question de détermination mais au fond je sais qu'il a raison.
_On pourrait en parler de temps en temps, oui, je lui réponds.
Je remarque dans sa main un objet en métal.
_Qu'est-ce que c'est?
Bob baisse la tête et suit la direction de mon doigt qui pointe le bijou, il parait d'abord gêné, puis enjoué.
_Un cadeau pour Ely, réplique-t-il finalement avec ce sourire qui lui va si bien. Elle est perdue tu sais, par rapport à toi, puis à la vie en général, continue-t-il. Elle dit que vous étiez amies.
Je fais mine de ne pas comprendre
_Elle dit beaucoup de chose, Ely.
_Et toi tu en sais plus que nous, c'est vrai. Tu sais te battre mais tu ne te souviens pas. Tu ne sais pas aimer.
Je lève mon regard vers lui, il me provoque, encore.
_On en est toujours au même point, Bob?
Son visage affiche une mine triste.
_Je crois que...
Il peine à terminer sa phrase et tandis que je redoute toutes sortes de suite, il déclare solennellement:
_...je ne t'aime pas.
Je souris, et m'étonne moi-même de cet acte. Puis je me mets à rire et m'en étonne encore. Bientôt, nous rions tout deux aux éclats comme des enfants. J'ai envie de dire que je me sens bien avec Bob mais se serait faux, je ne me sens pas bien, je me sens mieux, et c'est tout ce qui compte.
_Merci, je lui murmure.
Lorsque je rentre me coucher l'air est frais. Je redoute le lendemain, je n'ai pas envie de leur apprendre à tuer, je préfèrerais me débrouiller seule comme je l'ai toujours fait. Mais une petite voix au fond de ma conscience me souffle que je n'y arriverais pas sans eux, que tout est différent cette année. Ma main se pose sur un des barreaux de l'échelle quand Jasper me lance:
_Tu me suis? J'aimerai te montrer quelque chose.
Il semble tel un enfant, excité et déterminé. Je sais déjà que quoi que je dise il ne me laissera pas tranquille. Je décide alors sans grand enthousiasme de le suivre.
Nous cheminons à travers la foret en direction de la rivière. Je ne dis rien, comme si un malaise c'était immiscé entre nous, puis, au bout de quelques minutes de froid, Jasper me tend la main et me lance un regard rempli d'espoir, comme pour dire : "Prends ma main, on ira tellement plus loin à deux." Et je te crois Jasper, je sais que tu as raison et que l'amour est une barrière contre la mort, une solution à la survie et la raison de tout ce qui nous maintient sur terre. Mais je sais aussi que je ne veux pas de ton amour.
_N'ayez pas de pitié pour des monstres incapable d'en ressentir, je murmure en ignorant la paume de Jasper toujours tendue vers moi.
_Quoi?
Je m'arrête brusquement et me poste devant lui.
_C'est ce que je vous ai dit ce matin pendant la leçon.
_Oui je me souviens, mais pourquoi tu me dis ça?
Je prends alors une grande inspiration et entoure son visage de mes mains.
_Tu ne comprends pas Jasper. Je parlais des enragés mais ce ne sont pas les seuls monstres ici.
Ses grands yeux bleus s'éteignent soudain et il retire son visage de mon étreinte en reculant.
_Je ne suis pas ici pour débattre de ton animosité. Je voulais juste être avec Juliane. La Juliane qui tue, la Juliane qui déteste. Tes beaux discours garde les pour Bob, je ne suis pas lui et tu devrais m'accepter comme je le fais avec toi.
Il fait ensuite demi-tour et part d'un pas décidé. Il me laisse seule, noyé dans une mer de sentiments. Mais lorsque qu'il s'arrête net et se retourne vers moi, une vague de chaleur m'envahit.
_Je...je voulais juste te montrer les lumières bleues. Tu as tout gâché.
A ces trois mots mon cerveau ne fait qu'un tour. Les lumières bleues? De quoi parle-t-il? Je connais une lumière bleue, symbole de mon enfer, mais plusieurs... Ma curiosité et l'arc en ciel de sentiments qui brûlent en moi me poussent à avancer, courir vers lui. Je ne pense plus, j'agis. Lorsque j'arrive à sa hauteur je lui attrape le bras et l'oblige à me faire face. Il tente de m'interroger sur mon acte mais je l'empêche de dire quoi que ce soit et colle ma bouche à la sienne, son corps au mien. L'intensité et la chaleur de ses lèvres réveillent mes sens, j'entends la brise légère siffler dans mes oreilles, le souffle fort et régulier de Jasper contre ma joue. On pourrait croire que je l'embrasse pour arriver à mes fin, mais plus rien de tout ça n'existe à cet instant précis. L'arène, les enragés, ma folie meurtrière, rien n'est plus vrai que ce baiser, et rien ne m'importe plus. Jasper glisse ses doigts dans mon dos et effleure mes cicatrices, je tressaille à ce contact et s'en apercevant, il m'embrasse de plus belle. Et puis ce moment arrive. Le moment où je fais face à ce qu'il m'arrive, et que je me rends compte que j'avais tort depuis le début. Le moment où la tueuse devient la tuée.
La divinité de ses lèvres sur les miennes me consomme à petit feu. Ce baiser est bien plus fort que tout autre monstre sur terre, ce baiser me tue. La douleur commence de l'estomac, tel un enragé grattant, cherchant une issue, puis elle remonte dans le coeur, m'empêchant de me retirer, car mon corps en veut plus. Quand à mon cerveau lui, il fond, toute mes idées, mes pensées, ne sont désormais que lave brulante et inaccessible, comme si la tête vide, on embrassait mieux. Malgré tout, c'est une douleur agréable, une douleur qu'on serait prêt à ressentir tout les jours, seulement pour être vivant, seulement pour en avoir encore. Mais c'est lorsque Jasper se détache de moi, et colle son front contre le mien, que je comprends ce qu'il m'arrive, ce que je ressens. Pourtant c'est impossible, je le sais c'est impossible.
_C'est de l'amour ça Juliane, me chuchote Jasper en instant sur chaque mot, comme s'il avait lu dans mes pensées.
Je me retire, prise de panique.
_Non, non...
Jasper tente de me rassure en m'effleurant la joue du dos de sa main.
_Arrête! C'est impossible.
Je hurle désormais.
_Arrête!
J'ai perdu tout repères, et j'ai besoin de redevenir moi-même, alors je me mets à courir. Je n'ai aucune idée de ma direction mais je m'en fiche. Mes jambes effleurent à peine le sol, je ne cours plus je vole. Peut être que si je continuais assez longtemps, je passerais par dessus le mur, je verrais le monde et ses secrets, et surtout, je vivrais seule, sans amour, ni douleur à ressentir. Mon chemin me mène dans les broussailles, et alors que je m'essouffle, je ne songe pas une seconde à m'arrêter, je veux partir loin de Jasper et de cet agréable parasite qui me rongeait en sa compagnie. "De l'amour." a-t-il dit. Je n'aime pas Jasper. Je n'aime personne. La nuit est noire, mais mes yeux se sont habitués à l'obscurité, et je distingue tout les détails de la forêt. Malgré tout mon visage est strié de griffures, les branches et ronces m'ont mordue la peau, je n'ai plus la force de les esquiver. De toute manière je ne ressens rien, je n'ai jamais rien ressenti.
_Je n'aime pas, je tue.
Tandis que je répète la même phrase à voix haute, mon pied heurte un obstacle. Je n'ai pas le temps de baisser les yeux sur celui-ci et me retrouve projetée en avant. Mon corps effectue plusieurs roulades dans une pente abrupte dont je ne connaissais pas l'existence. Je cogne de nombreux rochers durant ma chute et je sens un liquide poisseux me brouiller la vision. Ai-je mal? C'est la question que je me pose sans cesse. Non, bien sur, je n'ai pas mal, je n'ai pas le temps d'avoir mal. Je me demande quand est-ce que je cesserai de tomber, ce n'est pas une sensation agréable, de se sentir attiré par le vide sans pouvoir résister. Je déteste ça, encore plus que de voir mon corps couvert de sang sans rien ressentir. Quand je ralentis enfin, j'aperçois ce qui stoppera ma chute une fois pour toute : la rivière. Ma tête s'écrase violemment contre une ultime pierre avant que mon corps ne plonge dans l'eau rafraîchie par la nuit. Je m'enfonce dans l'obscurité quand je cherche la force de me propulser à la surface. Et si je renonçais? Cette idée effleure mon esprit, ce serait plus simple de mourir. Mes multiples blessures se réveillent finalement et un mal de crâne brouille mes pensées. Je tente d'ouvrir mes yeux mais tout est flou et noir, je ne distingue rien. Je continue à m'enfoncer dans le néant quand l'improbable se produit. Une lumière bleue. Puis deux, puis une centaine s'illuminent au fond de l'eau, on dirait des étoiles. La curiosité l'emporte sur l'envie d'en finir, et je puise dans mes ultimes ressources pour remonter à la surface. Je manque d'air, il faut que je me dépêche si je veux savoir. Un coup de jambe, une décharge de douleur. Un mouvement de tête vers la surface, un étau qui se resserre sur mon crâne. Je vais mourir. Je dois savoir. Je m'encourage intérieurement mais je perds de l'air à force de hurler de douleur. Pourtant je réussis, et pour la première fois je suis heureuse de ne pas être morte, de m'être battu pour savoir. Peut être que ces lumières bleues sont la réponse à mes questions, et à celles de Bob par conséquent. L'air frais rempli mes poumons, je respire enfin. Je n'ai jamais été aussi heureuse de respirer. Je rejoins la rive et me hisse sur le rebord en crachant toute l'eau contenue dans mon corps. L'air de dehors effleure ma peau écorchée de toute part. Mon corps me lance des signaux de détresse, comme si le moindre effort ne me tuerait. Mais je ne dois pas renoncer, pas maintenant. Je prends le temps de reprendre mon souffle et me lève dans un énième grognement de douleur. Le spectacle qui s'offre à moi est incroyable. Le ciel se reflète dans l'eau claire et limpide et les lumières bleues se fondent aux étoiles. Comment est-ce possible? Lorsque je retrouve entièrement ma vision je comprends que les lumières ne sont pas disposées au hasard. Ceux qui les ont placées là ont surement un message à faire passer. Soudain, une idée s'éclaire au fond de mon esprit brouillé par la douleur. Les formateurs, ça ne peut être qu'eux. Je me concentre plus attentivement pour déchiffrer ce qu'il est écrit au fond de l'eau quand quelqu'un me surprend.
_Chef?
Bob. Il ne pouvait pas mieux tomber. Je me retourne et découvre son regard paniqué devant mes multiples blessures. Il ne prête même pas attention aux lumières qui brillent pourtant dans la nuit.
_Tu vas bien? aboie-t-il en m'examinant de toute part.
Je le repousse gentiment.
_Ce n'est rien que des égratignures.
_Des égratignures? répète-t-il, incrédule. Juliane tu es impossible. Tu es couverte d'hématomes, de contusions, je suis sure que tu ne peux même plus marcher et je te vois trembler. Tu tiens à peine debout!
Je souffle et l'ignore. Je ne veux pas recevoir de leçons, certes je suis mal en point, mais je suis vivante, et je viens de faire une découverte qui pourra peut être nous en apprendre plus sur le pourquoi du comment.
_Bob je ... Comment m'as-tu trouvé au faite?
Il baisse les yeux, désespéré que je ne prenne pas compte de son diagnostic. Il abandonne, comprenant que je ne me laisserai pas faire avant d'avoir obtenu une réponse.
_Jasper est arrivé, paniqué, en disant que tu t'étais enfuie et que tu serais capable de faire une bêtise. Il allait repartir te chercher mais...
Il fait la moue, ne semblant pas vouloir me conter la suite de l'histoire, ce qui me donne encore plus envie de savoir.
_Si tu ne me dis pas tout je ne te laisserai pas me soigner.
Il se détend et sourit, amusé de mon chantage.
_Tu ne me laisseras pas te soigner de toute façon.
Je ris à mon tour et lui pousse l'épaule. Ce simple geste me fait grimacer de douleur et Bob retrouve son air sérieux en observant mes coupures se remettre à saigner.
_Très bien chef. J'ai ensuite dit à Jasper que s'il t'avait fait fuir, se serait peut être mieux que ce ne soit pas lui qui parte à ta recherche. Il s'est énervé, alors moi aussi. Que voulais-tu que je fasse? Le laisser partir? Je ne voulais pas prendre ce risque.
_Quel risque Bob? Celui que je ne me tue moi même ou bien que je ne le tue lui?
Cette question le fige.
_Tu sais bien de quoi je suis capable, arrête de faire semblant, je continue.
Il reste silencieux, ne sachant quoi répondre. Je change alors de sujet.
_Bon, vous vous êtes battu et puis?
_Ely nous a séparés, clamant qu'elle irait elle même te chercher. Et tu devines la fin de l'histoire.
J'acquiesce, Bob avait peur pour sa princesse, après tout il a raison, j'aurai surement pu passer mes nerfs sur elle.
_On peut rentrer maintenant?
Son âme d'infirmier s'impatiente, il meurt d'envie de soigner mes blessures qui ne cessent de saigner.
_Je vais bien.
Lorsque j'articule chacun de ces mots, ma tête se met à tourner, et ma vision se brouille, je sens alors mes jambes lâcher prise et le sol se dérober sous moi, je m'évanouie. Les bras de Bob me rattrapent de justesse. Avant de me laisser emporter dans un trou noir, je parviens à murmurer:
_Bob, retourne toi et regarde. Tu voulais des réponses.

Les Lumières BleuesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant