Chapitre 15

17 1 0
                                    

Il fait noir. Je me suis encore réveillée en pleine nuit. C'est de plus en plus fréquent ces temps ci. Il faut dire que mon esprit ne me laisse aucun répit, les cauchemars s'enchaînent, toujours plus horribles les uns que les autres.
_ Essaye de te rendormir, me chuchote Bob qui s'est glissé près de moi dans la pénombre.
Il me dit ça toute les nuits. Il sait que je ne me rendormirais pas, et que d'ailleurs, je ne dors presque plus, mais il s'obstine à me dire ça. C'est comme si ça lui enlevait un poids. En faisant ça, il ne culpabilise plus et il a l'impression de m'aider. À vrai dire, il n'a toujours pas compris que personne ne pouvait m'aider. J'étais claquemuré dans un état de paralysie total, seul mon esprit était encore éveillé. J'avais renoncé à la paroles depuis bientôt un mois. Depuis que c'est arrivé. Durant tout ce temps ils ont essayé de me sortir de mon coma, mais impossible. La parole, les coups, rien n'y fait. Alors Ely et Jasper ont abandonné. Je les ai entendu me hurler les pires choses, et même ça, ça ne m'atteignait pas. Aujourd'hui il ne reste que Bob à mon chevet. Il me répète que ça ne tient qu'à moi de sortir de cet état, que le deuil a envahit mon corps, plongeant celui-ci dans une paralysie totale. Il paraît aussi que mes pensées ont lié des chaînes autour de mes membres, et qu'une fois libérée de mes démons, je pourrais de nouveau marcher. Marcher. Ça paraît si futile. Ce n'est pas ça qui la fera revenir.
Bob pleure parfois. Je l'ai même entendu dire que je lui manquais. Tout les jours, il me prend la main et me supplie de revenir. Mais ça ne sert à rien, elle n'est plus là. Quelques fois, je perçois des bribes de ses conversations avec Ely, il lui dit que s'il continue à me parler, c'est qu'il attend un déclic, il espère pouvoir trouver les paroles qui me feront réagir. Hélas, un mois s'est écoulé et toujours rien. Il désespère un peu mais s'accroche coûte que coûte. Je crois qu'il se sent seul sans moi. Ely l'ignore, je ne les entend même plus parler, quand il le font, c'est toujours de moi. Je voulais me faire oublier, et voilà que je suis au centre des attentions. Seulement Jasper m'a littéralement rayé de sa vie. La première semaine il dormait toujours avec moi, me chuchotant les plus belles choses. Puis un jour, il a compris que je n'étais tout simplement plus en vie. Il a hurlé qu'il ne voulait pas aimer une morte, et que si j'étais réellement amoureuse de lui, je devais me réveiller. J'ai fermé les yeux et je me suis endormie. Il continuait à crier. Il disait qu'il me détestait, et que si finalement je devais revenir, il me tuerait. Ses cris et ses plaintes se sont éteints pendant un instant puis ils ont repris de plus belle dans mes cauchemar. Lorsque je me suis réveillée en sursaut, il n'était plus là, et il faisait noir.
_ Tu sais j'ai longuement réfléchit à propos C.R.I, j'ai même établi une liste de ce que ça pourrait signifier. Tu veux que je te la lise ? me demande Bob.
Je ne le vois pas vraiment, mais à son ton, je devine que ses grands yeux noirs pétillent. Il aimait bien me parler de ses recherches, comme nous le faisions avant.
_ J'ai d'abord pensé à « Communauté de Résistant au ... » et le nom du virus commencerait pas un I, bien sûr.
Il me déballe sa liste de propositions sans même que j'enregistre une seule de ses paroles. De toute façon, ce sigle pourrait signifier n'importe quoi. Je ferme les yeux faisant mine de m'endormir, ne disposant plus de la parole, c'est le seul moyen que j'ai trouvé pour qu'il me laisse tranquille. Je n'ai pas la tête à ça, à vrai dire, je n'ai plus la tête à rien depuis que c'est arrivé. Il arrête alors de me déballer sa liste, et, sachant que je ne dors pas réellement, il chuchote :
_ Demain c'est mon anniversaire Juliane. Je vais avoir dix-huit ans. Je ne te dis pas ça pour que tu te réveilles, j'ai bien compris que ni moi, ni personne ne pourra la remplacer. C'est juste que...
Il hésite, et moi je n'écoute que d'une oreille, ne voyant pas très bien où il veut en venir.
_ Tu ne peux pas continuer comme ça.
Lorsque je rouvre les yeux, il me dit avec un air triste :
_ Tu te fais du mal, tu te tortures nuit et jour, et j'en peux plus de te voir te détruire. On va voter ce soir tu sais... renifle-t-il.
Il m'explique fatalement mais non sans regrets dans la voix que Jasper veut mettre fin à mes jours. Les battements de mon c?ur ne s'accélèrent pas, ce qui semble étonner Bob qui me tient la main. Je savais que ce moment arriverait, et c'est à eux de le faire, pas à moi. Je me suis condamné à une vie de souffrance morale, je me suis promis de me torturer sans cesse jusqu'à devenir folle. Je ne me suis pas suicidée car je considérais que je ne méritais pas de m'en sortir aussi facilement, et qu'un tel acte serait lâche de ma part. S'ils veulent me tuer, qu'ils le fassent. Je le mérite après tout, je veux moi aussi rejoindre les enragés : au fond, j'ai toujours été des leurs. Bob m'explique qu'il votera contre mon exécution, et que tout repose sur Ely. Il me dit même que si le résultat s'avérait pour, il serait prêt à se battre pour que je reste en vie. Mais selon lui, Jasper puise dans la haine que je lui ai infligé, une force surhumaine, et qu'il n'hésitera pas à me tuer s'il le faut.
_ Depuis que tu es partie, tout est déréglé ici. Ely disparaît sans cesse tandis Jasper passe son temps à proférer des menaces de mort contre toi. On avait transformé l'enfer en foyer. En sans passer par la case destruction, on a retrouvé l'enfer. Tu vois, il a beau dire Jasper, mais moi j'ai compris que les monstres ce n'était ni les enragés, ni toi, mais que c'était l'humain par excellence. On est passé du stade où on s'entretuait pour vivre à celui où on vie pour s'entretuer. Toi, tu maitrisais les choses, à ta façon certes, mais tu agissais comme un régulateur dans cette arène. Des fois je pense à ces gens qui nous observent probablement et je me demande ce qu'ils pensent de la situation actuelle. Je ne connais pas vraiment leur but, mais je sais qu'on s'apprête à tuer leur héros. Bien sûr, si tu avais été là, tu aurais déclaré n'être le héros de personne, mais n'oublie qu'au delà du sang et du carnage, tu es le mien, et inévitablement celui de Lou.
Son nom me fait frissonner, et Bob, remarquant ce geste de ma part, continue dans sa lancée.
_ Pense à elle. Je sais que tu ne fais que ça, mais fait le différemment cette fois. Autour du feu ce soir là, tandis que les deux personnes qui t'idolâtraient voteront pour t'assassiner, il y aura l'insolent brun des premiers jours, et la jolie petite fille aux nattes blondes qui lèveront la main pour te sauver.
Une larme glisse le long de ma joue, et les fines lèvres de Bob se posent en un baiser fin sur celle ci. Il sait que je l'écoute, et il en semble heureux.

Les Lumières BleuesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant