Chapitre 14

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Je hurle, de toute mes forces et même de celles que je n'ai pas. Je hurle mais reste immobile. Mon corps est mort, mon âme vacille. Le monde est flou presque sans vie, ils me parlent, Ely me parle, Léna se tient la tête et se recroqueville, moi je ne bouge pas, moi je ne bougerais plus. Moi je veux crever. Dans un monde où elle n'est pas moi je veux crever. Moi je veux la retrouver alors moi je me griffe, rouvre mes cicatrices, laisse mon sang couler à flot pour qu'il retrouve le sien. Moi je hurle, je hurle à n'en plus pouvoir hurler, je hurle à en vouloir crever. Mais dans le flou, dans l'espérance de toute une vie qui disparaît, elle ouvre les yeux, ses yeux verts desquels elle dévorait la vie. Et en arrière plan, tandis que je parviens à me libérer de mes chaîne pour la voir une ultime fois, il y Léna qui fuit, qui fuit dans l'ombre obscure de cette forêt maudite. Bob s'écarte, et pose la tête de la petite sur mes genoux. Elle est encore en vie. Elle tremble, tout son corps est couvert de sang et à chaque seconde qui passe, elle en perd un peu plus. Mon coeur vacille, l'espace d'un instant je reste immobile, ne sachant quoi dire. Il n'y a plus qu'elle et moi dans un tourbillon ardent d'amour et de regrets, celui de ne pas avoir passé plus de temps à ses côtés, celui de ne pas avoir été avec elle quand c'est arrivé. Et parmi ce mélange mortel de sentiments, j'ai au fond de moi une conviction profonde, celle de vengeance. Pourtant à ce moment précis je n'y pense pas, j'oublie la haine, mon amour pour elle prend bien trop de place. Elle est belle, belle comme la rosée du matin, féroce comme une tempête, et tendre comme un jeune fille qui aimait manger des framboises au coin du feu. Je ne pourrais plus dormir sachant qu'elle ne verra plus le soleil se lever. Dans sa petite main un foulard. Des quelques forces qu'il lui reste elle le glisse dans la mienne. C'est un foulard jaune recouvert de sang, je ne l'ai jamais vu avec et pourtant j'ai la certitude qu'il représente beaucoup pour elle. Après quelques seconde d'inertie de ma part je me mets à pleurer, j'ai mal, ça fait tellement mal. Quant à elle, elle me regarde fixement avec cette nostalgie qu'ont les enfants qui grandissent. Qui grandissent, et non qui meurent avant d'avoir connu la vie. C'est injuste. Je la serre contre moi en me perdant dans un sanglot profond qui résonne de toute ses forces dans l'arène. Elle se retire et parvient à mettre ses mains autours de mon visage, le couvrant ainsi de sang. Ses beaux yeux verts se remplissent de larmes à leur tour ; ils brillent. De ses lèvres pâles s'extirpent quelques mots qu'elle prononce à bout de souffle, avec une lueur d'espoir et de reconnaissance dans le regard.
_ N'aie pas peur, me dit-elle.
Puis elle sourit. C'est simple, c'est beau, c'est Lou.
Oh mon amour, mon bout d'espoir, ce serait te mentir que de t'avouer que je n'ai plus peur, car la vie sans toi m'effraie à un point inimaginable. J'ai peur du moi sans toi comme du toi sans moi. Je t'aime, je t'aime et ça me détruit de te perdre. Tout allait bien lorsqu'il n'y avait que moi, mais tu es là et tu es si belle ! Cette douleur physique que le vie nous inflige n'est qu'un pré quel, une idée, une préparation à celle morale que l'on subit plus tard, celle de te perdre, qui nous tue autant que toi. Ne me laisse pas, ou alors si tu t'en vas, ne te retourne pas, c'est mauvais pour le coeur.
Je me rapproche de son visage et malgré ma voix tremblante je lui chuchote en articulant chaque mot :
_ Sois forte.
Puis dans un souffle, elle disparaît et son maigre corps d'affaisse dans mes bras. Je me remets à hurler. Des milliers de souvenirs me frappent en plein c?ur tandis que je serre sa silhouette inerte dans mes bras en criant que je l'aime.
_ Je t'aime, je t'aime, reviens, me laisse pas.
Ses nattes blondes qui dansaient derrière elle pendant nos interminables balades.
Ses anecdotes qu'elle me contait le soir dans la cabane.
La joie de vivre, ainsi que l'espoir qu'elle diffusait partout autour d'elle.
Disparus.
Tout n'est plus que poussière. Tout n'est plus que sang, il n'y a plus rien.
Bob pose une main tremblante sur mon épaule, et je me relève brusquement. Il pleure, ils pleurent tous. Mais pourquoi pleurez vous ? C'est faux, tout ça n'est qu'un cauchemar, et dans les rêves personne ne pleure. Alors arrêtez, ne faites pas semblant.
_Juliane, il faut que tu viennes avec moi maintenant.
Bob me prend dans ses bras. C'est donc ça, il a fallut que Lou meure pour que tout s'arrange entre nous ? Mais Lou n'est pas morte, elle est aussi invincible que moi, elle résiste à tout. Et je ne peux pas y croire, il faut que je me réveille et vite. Je me défais de l'étreinte de Bob et tombe violemment par terre. Ma tête entre mes mains, je me cogne plusieurs fois contre le sol dur. J'ai besoin de retourner à la réalité, il le faut. Les chocs répétés ne m'heurtent même plus, ils résonnent dans mon esprit vide de pensées et rempli de haine. Ils essaient de m'en empêcher, mais je me débats, de toute façon si c'est vraiment arrivé je veux la rejoindre. Elle se s'en sortira pas toute seule là bas, elle a besoin de moi tout comme j'ai besoin d'elle. Tandis que Bob tente de reprendre ses esprits et de rassurer tout le monde, je m'affaisse sur le sol à bout de souffle.
_ Ely, Jasper, transportez Lou jusqu'à la cabane le temps que Juliane se calme.
_ Tu restes là, toi ? demande Ely d'une voix saccadée de pleurs.
_ Oui, il ne faut pas qu'elle soit seule.
_ Et Léna ? Il faut que quelqu'un retrouve Léna.
_ Plus tard.
_ Bob, il faut vraiment que quelqu'un aille la chercher, insiste Ely.
_ Plus tard ! crie Bob, visiblement plus préoccupé par moi que par Léna.
Léna.
Tout d'un coup, la scène repasse dans ma tête. Et ma vision se pose sur elle, les mains en sang. Elle tient un couteau. Sa poigne est ferme. Si ce n'est pas un rêve, alors c'est elle, c'est elle qui a tué Lou.
Je me relève. Je cours. Bob n'a pas le temps de réagir. De toute façon je cours si vite qu'il ne pourrait pas me rattraper. Il faut que je la retrouve. Je sens mon sang courir dans mes veines, et ma vision s'obscurcit de rouge. De la haine bouillonne en moi, et j'ai besoin d'assouvir ma vengeance. Je sais que cela ne fera pas revenir Lou, mais c'est comme un symbole : le meurtre de Léna représente le début du deuil pour moi. Quelqu'un court dans la même direction que moi et me rentre dedans sans même que je ne m'en rende compte. C'est Jasper. Il me cloue au sol et alors même que je résiste, il réussit à m'immobiliser.
_ Arrête.
_ C'est de ta faute Jasper, c'est de ta faute !
Je hurle.
_ Non, ce n'est pas de ma faute, me répond-t-il calmement.
_ C'est Léna qui tenait le couteau mais c'est toi qui l'a tuée ! J'aurais pu l'aider ! J'aurais pu être à ses côtés !
_ Mais tu étais avec moi c'est ça hein ?
_ C'était une erreur, tous nos moments étaient une erreur, tu l'as tué !
Mes paroles le blessent, elle l'atteignent en plein c?ur, comme le couteau de Léna dans le corps de Lou. Il me lâche, visiblement vexé, et recule. Tandis que je me relève sur la défensive, il me lance :
_ Ce n'est pas de ma faute Juliane. Et ce n'est même pas celle de Léna. Tu veux savoir qui l'a vraiment tuée ? C'est toi. Toi et tes priorités de survies. Mais regarde autour de toi bordel, à vouloir tuer les enragés c'est nous que tu tues. On veut pas devenir des monstres. Oui parce que c'est ce dont tu fais de nous, des monstres. Regarde Léna, si la haine l'a poussé à faire ça c'est uniquement de ta faute.
Sa voix jusqu'ici si calme commence à trembler. Et il finit par hausser le ton.
_ Tout est de ta faute ! Tu nous tues Juliane ! Tu as tué Lou, et tu nous tueras tous !
Je me bouche les oreilles, titube. Je sais qu'il a raison, je le sais et ça me bouffe. Ses paroles pénètrent mon esprit et broient mon cerveau. Ça fait tellement mal d'entendre la vérité. Alors je me remets à courir, et mes fantômes me suivent. Lorsque je comprends qu'il faut arrêter de fuir la vérité, je m'arrête brusquement. Tout les anciens de l'arène sont là. Ils chuchotent que je les ais tué.
_ Tu nous as tué.
Lou est présente aussi. Elle semble un peu affaiblie par la mort mais ses yeux pétillent encore. J'aimerais la prendre dans mes bras mais elle recule.
_ Moi aussi tu m'as tuée tu sais.
C'est trop. Je hurle. Je me recroqueville par terre et me met à crier de toute mes forces. Dans ma détresse interminable il y a des remords. Ceux de ne pas avoir mené la vie que j'aurais aimé avoir. Certes ce n'est pas de ma faute mais je regrette quand même. Il y a aussi ceux d'être en vie tout simplement. D'avoir vu ou réalisé toutes ces horreurs qui font parties de moi. J'ai vécue tellement de choses qui m'ont détruite, tellement d'évènement qui ont tué la part d'humanité qu'il me restait, qu'il me semblait impossible de vivre à nouveau. Mais Lou a réussit, elle a réanimé la flamme de mes yeux, au moins pour quelques instants. J'ai vécu tellement de choses qui m'ont détruite, mais ça, c'était la chose de trop.
Des bruits de pas me sortent de mes pensées, je sursaute. Léna se tient devant moi, le regard désolé. Je n'ose pas bouger de peur qu'elle m'échappe, alors j'attends. Elle semble vouloir me parler mais ses lèvres tremblent trop pour pouvoir esquisser ne serait-ce qu'une syllabe. C'est la première fois qu'elle paraît si vulnérable, on pourrait presque penser qu'elle possède une âme. Mon corps boue, je n'ai qu'un envie : la faire souffrir, je veux la tuer, je veux qu'elle meure en hurlant. Ma vision s'obscurcit et devient de plus en plus rouge, les battements de mon c?ur s'accélèrent, je les sens dans mes veines et dans tout mon corps. Elle réussit à bégayer :
_ Je suis désolé, je ne voulais pas...
C'en est trop. Elle ne voulait pas ? Comment peut-on tuer quelqu'un sans le vouloir ? Certes, je l'ai déjà fait avec Josh, mais c'était différent ! Tout était différent ! Elle a tué Lou. Elle ! Pas moi !
Je me jette sur elle, elle n'a pas le temps de riposter.
Je hurle.
Elle est a terre, mes mains encerclent son visage de monstre.
Elle l'a tuée. Elle. Pas moi.
Mes pouces sont dans ses yeux, je les enfonce de toutes mes forces.
C'est elle qui l'a fait.
Elle hurle. Elle souffre : je veux qu'elle souffre.
Ses globes oculaires disparaissent sous son crâne et celui-ci ne va pas tarder à exploser. Je puise cette force surhumaine dans le souvenir du sourire de Lou. Plus celui-ci s'élargit, plus mes doigts s'enfoncent et plus ma haine s'accroît.
Puis vient le moment fatidique.
Dans une douleur intense, le crâne de Léna se fend en deux, et mes mains broient son cerveau. La scène est répugnante, et moi je suis soulagée.
Quand je relève la tête, Jasper et Bob me dévisagent, effrayés, horrifiés. Je n'ai pas la force de me justifier, alors, traversée par une vague de folie je me mets à rire. Rire de toutes mes forces comme je venais d'hurler auparavant. Je porte mes mains à mon visage en étalant sur celui-ci un mélange de sang et de cervelle des restes de Léna. Lorsque je me relève, les garçons tentent de me calmer mais je ne cesse pas de rire. Je parle à Lou, je lui parle et elle m'écoute.
_ Je l'ai tuée. Elle t'a tuée et je t'ai vengée. Je t'aime ! N'est-ce pas que je t'aime ? Je t'aime et tu es partie. Je t'en veux ! Je t'en veux reviens !
Soudain, mes rires s'étouffent en un sanglot si violent, que j'ai du mal à me contrôler. C'est la première fois que ça fait aussi mal de pleurer. Dans une dernière vague de larme, je sens la crosse d'un pistolet m'assommer, et face aux vaines tentatives des garçons de me calmer par la parole, j'entends Ely répliquer :
_ Vous avez toujours pas compris qu'avec Juliane, il n'y a que la violence qui marche ?
Puis, serrant le foulard jaune contre moi, je m'endors avec l'image magnifique de la petite fille blonde qui mangeait des framboises au coin du feu.

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