Chapitre 18

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_ Tu penses qu'il lui reste combien de temps ? me lance Ely visiblement stressée.
_ Je ne pourrais pas te dire exactement... Peut-être une journée...
Malgré tous ses efforts pour se retenir, elle se remet à pleurer. Et pour une fois, ses sanglots ne m'exaspèrent pas, j'en suis émue. Lorsque j'essaie de la consoler en plaçant mon bras autour de ses épaules, elle me repousse violemment et s'énerve :
_ Tu trouves ça normal toi, de ne rien nous avoir dit ? Tu ne penses pas que j'avais le droit de savoir ? Si j'avais su j'aurais au moins pu lui dire au revoir...
Ses plaintes sont vite étouffées par des larmes, et à mon tour, je m'écroule sur le sol. La vie sans Bob, je n'ose même pas l'imaginer. J'étais persuadée qu'il allait vivre, que notre théorie allait s'avérer juste, que le vie continuerait dans sa joie et sa bonne humeur. Mais depuis qu'il a perdu connaissance, tout s'obscurcit. Le jour s'est levé mais il fait sombre, on peut encore apercevoir les ombres de quelques étoiles et un voile brumeux a recouvert l'arène. Sans Bob, il n'y a plus rien. Tout sonne creux, nos paroles, nos actes, mon c?ur. Les tentatives de Jasper pour me consoler échouent lamentablement, et je suis incapable de rester aux côtés de Bob. Je ne supporte pas de l'observer tout en sachant que c'est la dernière fois que je vois ses jolies tâches de rousseur pleine de vie. Il y avait Lou à qui je n'ai pas pu dire au revoir, et maintenant lui, à qui je n'ai pas non plus dit adieu en toute connaissance de cause. Ma gorge se serre lorsque je me remémore ma première rencontre avec Bob. Déroutante. Notre relation était tout d'abord basée sur la provocation. Il remettait en cause mon rôle de chef, bien qu'aujourd'hui il me considère comme tel et bien plus. Ely me sort de mes pensées et face à son visage, d'autres souvenirs viennent caresser mon esprit. Les piques lancés par mon beau brun aux allures de soldats, nos disputes concernant Ely, nos interminables débat sur le bunker, ses yeux, ses beaux yeux charbons. Sous le coup de l'émotion, la tristesse me submerge et je me mets moi aussi à pleurer. Me voyant dans cet état, Ely se calme et tente de me résonner.
_ Je ne t'en veux pas pour ça. Pense à ce que je t'ai dit hier Juliane. Si tu m'en avais parlé, j'aurais pleuré toute les larmes de mon corps avant même qu'il ne nous quitte, je n'aurais pas pu profiter de nos derniers instants. Là, j'ai pu profiter de la vie sans penser à demain, profiter de mon Bob, de son sourire, de son amour.
Je relève la tête et tente de me calmer. Elle a raison après tout. Mais comme toujours, elle pense que les mots vont résoudre tout nos problèmes.
_J'aimerais être seule Ely si ça ne te dérange pas, pour réfléchir à tout...
Jasper arrive essoufflé devant le bunker et me coupe la parole.
_Il s'est réveillé !
Sans prendre le temps de lui poser plus de questions, nous nous dirigeons au pas de course vers la cabane. Peut-être reste-t-il de l'espoir finalement, celui de dire au revoir à Bob comme il se doit, comme il le mérite. Lorsque nous passons la porte, Bob tourne vivement la tête. Il me semble apercevoir une étincelle dans ses yeux quand il nous reconnaît. Ely court vers lui et s'accroupît à son lit. Il est pale et semble avoir perdu du poids. À côté de lui se trouve un seau. Il a vomit toute la nuit. Peut-être bien les as-t-il réellement maigri. J'ai peur tout d'un coup, si peur de vivre sans lui. Ely lui parle mais il paraît insensible. Alors qu'elle continue de lui déblatérer ses mots d'amour, il la coupe en tendant une main molle dans ma direction. Sans réfléchir je me précipite moi aussi à son chevet. À ce moment, Ely comprend qu'elle est de trop, alors, sans faire de scène elle recule doucement et rejoins Jasper en arrière plan. Les boucles de Bob ont perdues toute leur brillance, même son visage est terne : ses cernes sont grises, il ressemble déjà à l'un d'entre eux. Il semble puiser énormément de force pour me parler, et lorsque ses lèvres s'entrouvrent, j'arrive à entendre :
_ Continue chef, même sans moi. Tu peux vivre.
Il marque une pause pour reprendre sa respiration.
_ Tu dois vivre.
Une larme coule le long de sa joue, et du dos de ma main, je caresse son visage déjà si froid. Je refoule un sanglot avant de me lever et de courir vers la forêt. Je ne prends même pas le temps de lui répondre. Vivre ? Je ne peux pas. Pas sans lui.

*

Bob est mort le soir même. J'étais près de la rivière quand c'est arrivé. À vrai dire, je ne me sentais pas vraiment capable de le faire. Jasper s'est proposé mais Ely a refusé, elle tenait à le faire elle même. J'ai compris que c'était fini quand elle a hurlé. À ce moment, c'est comme si mon c?ur s'était arrêté. J'ai cessé de respirer comme pour comprendre ce qu'il ressentait, comme pour me sentir plus proche de lui une dernière fois. Cette fois-ci c'est différent de Lou, je ne ressens pas une haine profonde, mais plutôt une anesthésie glaciale. Celle ci parcourt mes veines me figeant dans le temps, ce temps où Bob quitte notre monde. C'est comme si j'avais suspendu la vie pour ne pas avoir à continuer sans lui. Je n'ai même plus la force de pleurer. La mort de Lou m'a prouvé que les larmes étaient inutiles dans ces cas là, que la haine et le désespoir ne menaient à rien. Mais alors que faire ? Se terrer dans un espace temps où Bob est entre la vie et la mort ? Je ne pourrais pas lui infliger ça. Je dois le laisser partir je le sais.
Mon corps est toujours sur pause lorsque je me retrouve face à son cadavre. Il est recouvert d'un linge blanc. Mes mains tentent de relever celui-ci pour apercevoir une dernière fois ses yeux noirs mais mon esprit refuse. Ce n'est pas ce souvenir là que je veux avoir de lui. Ely à dû le nettoyer, aucun sang ne dépasse. J'entrevois encore son sourire provocateur, ses tâches de rousseurs et ses boucles brunes dansant au vent. Une larme m'échappe. La dernière. Tu n'aurais pas aimé me voir pleurer.
Je suis désolée Bob. Désolée que ça ait finit comme ça. J'aurais aimé que ce soit différent, notre vie, nous deux.
Je fixe ce linge blanc déposé avec soin sur ton corps. Il représente la pureté, celle qui a quitté notre monde depuis bien longtemps. Toi-même tu n'étais pas pur. Malgré tout il y avait de la beauté dans ton être. Ta façon de penser peut être. Tu avais foi en l'humain et je ne t'ai jamais suivi sur ce point. Pour toi, tout avait un sens, rien n'était dû au hasard. Je ne suis pas d'accord non plus Bob. Tout ne se justifie pas. La mort ne se justifie pas, encore moins la tienne. L'univers est vide de sens. Mon corps est vide. Je me sens blanche tout comme ce linge qui marque la fin de ta vie. Le blanc de tout une relation effacée, envolée. Nos souvenirs s'évaporent de mon corps, tu les emportes avec toi et il ne me reste plus rien. Plus rien que ce drap blanc. Je réussis à réunir toute la tendresse de mon âme pour la concentrer en un baiser. Si chaud lorsqu'il se dirige vers toi. Si froid lorsqu'il rencontre ta bouche que je devine sous le linge. Tu peux partir maintenant.
Je n'ai pas non plus la force de les accompagner pour l'enterrement. Tout ça est trop concret à mes yeux. Te voir mort, c'était bien assez. Je décide de me baigner pour me changer les idées. L'eau est froide pour une fois mais je n'en ressens pas les effets. Je plonge simplement mon corps dans l'eau et tout cela me rappelle la fois où tu m'a sauvée de la noyade. Tout me ramène à toi. Il m'est impossible de faire un pas sans que quelque chose ne me remémore un souvenir où tu es présent. Tu es partout. Tu es les arbres, tu es la rivière, tu es la vie. Tu es l'arène elle même. Tu es partout.
Ainsi, je m'endors, allongée près de la rivière. Tout est paisible, ton âme flotte dans l'air, je la ressens. Je hume la fraicheur du vent. Elle ressemble à celle qui nous caressait la peau lors de nos interminables discussions sur le bunker. Il se met à pleuvoir. Il pleut, il pleure. Qui est « il » ? Il est le ciel, l'univers, le monde entier qui pleure ta perte et moi aussi. Je me sens si lamentable, si inhumaine. J'aime. On meurt. Et le pire dans ta mort, c'est que ta survie aurait sauvée l'espèce humaine, elle aurait donné un sens à notre combat, à tout ces sacrifices. Mais tu n'es qu'un cadavre de plus, une pièce rajoutée à la montagne de victimes. Elle s'élève si haut si tu savais. Je me noie, je me fais submerger par toutes ces vies perdues. Et au milieu de ce chaos, je ne distingue même plus les voix et les esprits. C'est le lieu de la mort anonyme, celui du sacrifice superfétatoire qui rend vos décès insignifiant face à l'immense univers. Dans quel but ? Tout cela pour rien. Je t'en veux, je t'en veux tant d'avoir abandonné l'humanité, de m'avoir abandonné moi, de n'être qu'un macchabée parmi les autres. Où est ton âme ? Ta si belle âme qui chantait à la vie, a l'espoir ? Ne la laisse pas se noyer sous la montagne, je t'en pris envole toi, ne sois pas mort pour rien.
C'est Jasper qui me réveille brusquement en se précipitant sur moi sur moi. Il me secoue, tentant de me ramener à la réalité. Il y a dans ses yeux une étincelle nouvelle, celle de l'espoir. Je le regarde sans réellement comprendre la raison de cette agitation. À vrai dire, je ne tente même pas de deviner ce qu'il a à me dire, plus rien n'a de sens. J'attends patiemment qu'il cesse de me malmener et qu'il m'explique enfin.
_ Juliane! Me lance-t-il en espérant que je comprenne le pourquoi du comment.
En vain, j'attends toujours qu'il me dise.
_ Les fruits Juliane !

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⏰ Dernière mise à jour : Dec 08, 2016 ⏰

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